lundi 3 mars 2008

Un journal qui appartient à de riches managers...

"Un journal qui appartient à de riches managers n'a pas à être lu par quelqu'un qui n'est ni manager ni riche."

Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?


Je ne suis ni manager, ni riche, mais je lis encore les journaux.

C'est compulsif.

Il y a bien longtemps, j'ai participé au lancement d'un journal qui n'aurait jamais pu, en l'état, être racheté par un riche manager. Il a été racheté et, sous le même titre, Libération, paraît un "journal de référence". Ne lisant que très exceptionnellement sa version "papier", je ne sais si la section "Contre-Journal" de Libération.fr est publiée "en vrai" de temps en temps. Ce serait bien, car c'est dans cette partie que je retrouve, un petit peu, ce qui faisait la Une, quand Libération était Libé.

Karl Laske, le journaliste du service société qui anime cette page, reconnaît que "se situer sur le terrain de la contre-information au sein même d’un média, qui malgré son indépendance rédactionnelle est souvent perçu comme "dominant", peut sembler paradoxal."

Je trouve aussi, mais si ça peut me consoler des articles qui ne sont que des dépêches AFP dont on a corrigé l'orthographe…

Il dit aussi: "Au sein d’un journal, on voit et mieux qu’ailleurs les sujets occultés, chassés, ou parfois simplement oubliés… Parce qu’ils sont discutés. Un exemple : le traité de Lisbonne. En conférence de rédaction, le service politique constate que la demande d’un référendum n’a pas ou peu de relais politique, et juge qu’il n’y a pas de débat."

C'est moi qui ai pris la liberté de grasseyer quelques expressions pour souligner la hardiesse du service politique. Si j'étais un riche manager, je nommerais K. Laske à la tête du service politique (dictatorial, je serais!).

Parmi les questions n'ayant "pas ou peu de relais politique", je relève le traité de Lisbonne, la question de la laïcité…

Et.

Et, samedi dernier, un entretien avec Olivier Le Cour Grandmaison, enseignant en sciences politiques à l’Université d’Evry-Val-dEssonne, intitulé «Nous assistons à l’avènement d’une xénophobie d’Etat».

Olivier Le Cour Grandmaison Olivier a codirigé le livre "Le Retour des camps?" aux Editions Autrement, en 2007.



On comprend qu'après avoir choisi un titre comme ça, qui doit écorcher les oreilles des locuteurs de la novlangue politiquement euphonique, il ait besoin de s'expliquer...

Le "chapeau" de l'article:

«Les incidents au centre de rétention de Vincennes ne sont pas des bavures, ce sont des violences structurelles» estime Olivier Le Cour Grandmaison (…). Désormais il est assumé au plus haut niveau de l’Etat que l’étranger en situation irrégulière est une source de troubles et de maux. La traque, l’arrestation et l’expulsion deviennent donc une priorité nationale» analyse-t-il.

Sur la notion de "camp":



« (…) Des lieux très hétérogènes peuvent être effectivement transformés en camp, s’il est possible rapidement d’y parquer un nombre relativement important d’individus en exerçant sur eux un contrôle très strict. Dernièrement à Roissy, des hôtels, des salles d’attentes pour voyageurs normalement, des gares… sont devenus des camps. Le point commun de tous ces lieux, c’est la technique répressive utilisée : l’internement administratif. Il s’agit de priver quelqu’un de sa liberté non sur la base d’un jugement prononcé par un tribunal, mais en vertu d’une décision prise par une autorité administrative. Désormais, nous, et c’est un «nous» collectif, considérons comme normal le fait d’interner des étrangers en situation irrégulière, (…). À droite comme à gauche (pour ce qui est de la gauche parlementaire), l’enfermement des étrangers apparaît comme la solution adéquate. »
«Ces camps nient assurément un principe de base : il ne devrait pas être possible de priver quelqu’un de sa liberté en dehors d’un crime et d’un délit dûment jugé par un tribunal compétent ! Cela ne signifie pas que les internés sont privés de tout droit, mais les garanties sont notoirement insuffisantes. Un état d’exception permanent est mis en place, à l’intérieur même de l’Etat de droit, conçu par l’Etat de droit!»

Je n'ai cité que des extraits du début de l'entretien, en espérant que vous irez le lire en entier.

Pendant votre lecture, vous pourrez voir clignoter une pub qui affichera périodiquement:

"C'est le moment de l'ouvrir."

C'est marrant, la pub…

P.S.

Que l'existence des camps de rétention administrative ne fasse pas débat au sein de la classe politique, on le sait.

Que l'instauration d'un état d'exception passe inaperçu de la majorité de nos concitoyens, on s'en doute.

W. Benjamin écrivait, dans Sur le concept d'histoire: "La tradition des opprimés nous enseigne que l'état d'exception dans lequel nous vivons est la règle"; mais les traditions se perdent, et qui se sent opprimé ?

5 commentaires:

Anonyme a dit…

"qui se sent opprimé ?"

Tous ceux au moins qui sont "en rétention" (rétention = prison, reconduction = expulsion, mais... chut... les vilains mots que voilà, interdits de novlangue).

Guy M. a dit…

Ah! Je repère une faute de votre part: éloignement=expulsion, selon Mr Hortefeux soi-même...

Anonyme a dit…

Où avais-je la tête ! Je ne maîtrise pas encore tout à fait le nouveau vocabulaire. Merci de me corriger. :)

Anonyme a dit…

J'adore cette phrase de Badiou placée en exergue. Même si évidemment, elle ne se vérifie pas : comme toi, je ne suis ni riche, ni manager, mais il m'arrive encore de lire Libé. De moins en moins, tant m'énerve cette impression de lire un résumé de dépêches d'agences, mais quand même…

(Participer au lancement de Libé. Waouh : ça pète !)

Sinon, je ne peux que tristement approuver des deux antennes. Au billet comme à sa conclusion : "
Que l'instauration d'un état d'exception passe inaperçu de la majorité de nos concitoyens, on s'en doute."
Pas mieux…

Guy M. a dit…

@Françoise
Faute reconnue est tout à fait pardonnée. Amen.

@Charançon
Au lancement de Libé, quantité de gens ont participé (dans les AG, les comités de lecteurs, les diffusions/animations), c'était très bordélique...
Si je dis que j'ai "participé", c'est pour respecter l'esprit de l'époque.