Sur le site du Nouvel Observateur on peut trouver une lettre ouverte adressée par quinze sportifs français à Monsieur Hu Jintao:
«Monsieur le Président,
Pour obtenir l'organisation des jeux Olympiques à Pékin, le gouvernement chinois s'était engagé à respecter les droits de l'homme. Aujourd'hui, la violente répression des émeutes au Tibet remet gravement en cause cette parole donnée au mouvement olympique. Les droits les plus fondamentaux ne sont pas respectés: ni l'intégrité des personnes ni la liberté d'expression ne sont possibles en Chine. Monsieur le Président, certains d'entre nous seront vos invités dans cinq mois. Les sportifs que nous sommes avons consacré toute notre existence pour mériter cette récompense: participer au plus bel événement inventé par les hommes. Nous croyons que les Jeux, au-delà de la marchandisation du sport, des rivalités politiques, des récupérations, représentent ce que l'humanité a de plus pur: le dépassement de soi, la fraternité, l'amitié et le respect entre les peuples. Nous ne pouvons pas être les otages de la politique ni la caution d'un régime autoritaire. C'est pour cela, Monsieur le Président, que nous vous demandons, aujourd'hui, solennellement, de respecter votre parole. Ne gâchez pas les Jeux.»
Le recours, dans cette lettre, aux expressions les plus convenues de l'idéal sportif ou olympique souligne une certaine inquiétude. Mais on peut se demander ce qui préoccupe tant nos athlètes. Les droits humains bafoués au Tibet et plus généralement en Chine? Ou la perspective de participer à des Jeux qui resteront parmi les Jeux de la honte (il y en a eu d'autres)? Ou pire encore la peur de voir annulés les jeux de Pékin.
La piteuse supplique finale "Ne gâchez pas les Jeux" me fait penser que l'évocation des droits des hommes n'est que pure rhétorique, car quand on est bien convaincu que ce sont des vies que l'on gâche, des vies que l'on massacre, on ne vient pas pleurnicher pour sauver le prétendu "plus bel événement inventé par les hommes".
Mais rassurez-vous donc, on ne remet pas en cause, sur un coup de tête, le déroulement des jeux olympiques
Prenez l'exemple des Jeux de Mexico, en octobre 1968.
Le 2 octobre 1968 une malencontreuse fusillade éclate sur la place des Trois-Cultures de Mexico. L'armée mexicaine se voit contrainte, pour rétablir l'ordre, d'ouvrir le feu sur une manifestation étudiante. Ce fâcheux événement, resté dans certaines mémoires sous le nom de "massacre de Tlatelolco", a fait, selon les organisations des Droits de l'Homme, entre 200 et 300 morts mais, selon le gouvernement mexicain, seulement une vingtaine.
Cela n'a pas empêché la tenue de la cérémonie d'ouverture des Jeux, dix jours après ce massacre. La présence assez voyante de l'armée mexicaine a garanti le bon déroulement de la cérémonie, et si certaines personnes un peu sensibles se sont senties un peu oppressées, cela devait être un effet de l'altitude. Avery Brundage, président du Comité International Olympique, avait déclaré, quelques jours avant: "Les jeux de la XIXème Olympiade, cet amical rassemblement de la jeunesse du monde, dans une compétition fraternelle, se poursuivront comme prévu...s'il y a des manifestations sur les sites olympiques, les compétitions seront annulées".
Rassurez-vous donc: tout s'est bien déroulé aux Jeux de Mexico. Et ceux qui n'ont pas profité des médailles acquises l'avaient bien cherché.
Je veux bien sûr parler des trois médaillés du 200 mètres messieurs, le 16 octobre 1968.
Sur le podium, doivent donc monter le vainqueur Tommie Smith (USA), le deuxième Peter Norman (Australie) et le troisième John Carlos (USA).
Les deux américains entendent protester contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis. C'était une époque bénie où tout le monde protestait! En route pour le podium, ils associent à leur action Norman qui accroche sur sa poitrine un macaron portant l'inscription "Olympic project for human rights" (Projet olympique pour les droits humains). Les trois athlètes ont dû l'emprunter au passage à un spectateur.
Quand retentit l'hymne étatsunien Tommie Smith et John Carlos baissent la tête et lèvent un poing ganté de noir. C'est un geste d'adhésion au Black Power. Des huées s'élèvent, des menaces de mort. Peter Norman reste impassible à leurs côtés.
Ce geste scandaleux fut rapidement sanctionné par le Comité International Olympique: Smith et Carlos furent suspendus jusqu'à la fin des jeux de Mexico et exclus à vie des jeux Olympiques. Leur vie et leur carrière dans l’athlétisme international furent brisées.
Peter Norman revendiqua clairement sa solidarité, en déclarant notamment: "Je crois aux droits civiques. Tous les hommes naissent égaux et devraient être traités ainsi." Il fut lui aussi sanctionné, mais de manière plus sournoise. Alors que ses performances le qualifiaient pour les Jeux olympiques de Munich de 1972, il a été délibérément écarté de la sélection australienne. Plus tard, alors qu'il était enseignant, ses diplômes ont été sommairement contestés: renvoyé, il a dû revenir un temps à son premier métier, celui de boucher, avant d'être rétabli dans ses droits. Lors des jeux olympiques de Sydney, en 2000, on a délibérément oublié de l'inviter et c'est Steve Simmons, représentant d’USA Track and Field (Athlétisme américain), qui lui a permis d'assister aux jeux.
Il est mort le 3 octobre 2006, d'une crise cardiaque.
Aux obsèques à Melbourne, Smith et Carlos, solidaires et fraternels jusqu'au bout, portaient le cercueil de leur ami Norman.
PS: Les sources principales sont Wikipedia et un article de Margaret Rees .
2 commentaires:
Le panache, l'honneur, la compassion, l'autre vu comme moi-même ?
Ah... La mode en est passée.
Money ! Money ! Money !
Une lettre athlètiquement mièvre et naïve (les promesses d'état ne durent que ce que durent les roses), et Hop ! Les consciences sont apaisées.
On ne va quand même pas ne pas participer aux Jeux alors que ça fait des années (d'esclavage volontaire ou pas) qu'on se "prépare" (adjuvants recommandés), qu'on fait de l'argent et que l'on compte bien en faire encore plus après.
Très beau billet Guy, plein de souvenirs reviennent...
Je suis à peu près aussi sportif que l'était Churchill, mais j'ai regardé la course du 200m avec une certaine émotion... (les coureurs me semblent plus légers que les sprinters massifs que l'on voit maintenant.)
Par ailleurs la fidélité (et la discrétion) de Peter Norman me semble exemplaire. Smith et Carlos ne sont pas venus porter son cercueil pour faire une photo.
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