lundi 3 janvier 2011

Un soutien manifeste et renouvelé

Marc Boulnois, maire de Norrent-Fontes, une petite localité de moins de 1500 habitants sise dans le Pas-de-Calais, vient de recevoir de son préfet, monsieur Pierre de Bousquet, une lettre qu'il pourra faire encadrer et placer en évidence dans son bureau. C'est un bel exemple d'appel à collaboration active, adressé sur un ton plutôt menaçant à un élu que l'on juge récalcitrant.

Cette missive est datée du 24 décembre 2010, et elle a mis une petite semaine pour faire de trajet d'Arras à Norrent-Fontes.

Objet: Campement illégal d'étrangers en situation irrégulière

Des étrangers en situation irrégulière se sont installés depuis plusieurs années sur un terrain communal au lieu dit « La Marnière ». A l'origine inorganisées et en faible nombre, ces personnes ont progressivement mis en place un campement d'importance sur votre dépendance domaniale, pour arriver à constituer un regroupement pouvant atteindre une cinquantaine d'individus.

Ce campement se maintient avec votre soutien manifeste et renouvelé puisque, pleinement et régulièrement informé de la situation par les services de sécurité vous avez à ce jour refusé de prendre quelque mesure que ce soit pour en faire cesser l'existence. Vous n'avez ainsi ni porté plainte, ni demandé à la justice civile de prononcer l'expulsion des occupants sans titre de votre propriété communale. Au contraire, vous avez à plusieurs reprises apporté publiquement votre soutien à ces personnes en situation irrégulière.

Vous savez pourtant que la localisation de ce campement sauvage sur le territoire de votre commune ne doit rien au hasard : placées là par des réseaux de passeurs ces personnes tentent régulièrement d'embarquer dans les camions stationnés sur l'aire autoroutière voisine de ST HILAIRE COTIES, afin d'entrer clandestinement en Grande- Bretagne et de s'y établir illégalement.

Le mode opératoire, mis en évidence par de nombreuses enquêtes des services de police ou de gendarmerie, suivies de condamnations pénales, est en effet avéré : à la nuit tombée, après avoir fracturé le grillage d'enceinte de l'aire d'autoroute, les passeurs prennent en charge les étrangers en situation irrégulière à partir du camp, les conduisent sur l'aire d'autoroute, puis tentent de procéder à leur embarquement en forçant les accès aux camions.

Des incidents multiples ont depuis plusieurs mois mis aux prises ces trafiquants avec les conducteurs de camions dont plusieurs ont été menacés par des armes de poing. Des règlements de compte violents sont intervenus entre groupes de trafiquants pour s'assurer le contrôle du campement et de ses trafics. Des troubles à l'ordre public ont ainsi été constatés non seulement sur l'emprise du camp, mais également sur l'aire d'autoroute et, en aval , sur l'ensemble du ruban autoroutier jusqu'à Calais. Le campement de « la Marnière » est ainsi devenu la cause majeure directe et le fait générateur de multiples troubles qui dépassent le seul territoire de votre commune et sont de nature à engager votre responsabilité.

Outre les infractions à la législation sur les étrangers (délit) et les troubles à l'ordre public dont l'existence du campement est à l'origine, je relève au surplus que les conditions sanitaires dans lesquelles vivent ces personnes sont gravement insalubres, du fait de l'absence de point d'eau, de toilettes et de ramassage régulier des ordures.

Je vous rappelle enfin que la France et la Grande-Bretagne se sont mutuellement engagées à prévenir et à combattre le trafic illicite de migrants et que, en votre qualité d'officier de police judiciaire et de responsable de l'ordre et de la tranquillité publique sur le territoire communal, vous avez la charge d'assurer l'exécution des lois et règlements.

Les services de gendarmerie m'ont signalé que, du fait des récents aléas climatiques, le campement de « La Marnière» était actuellement vide de toute occupation.

Dans ces conditions eu égard aux troubles graves et manifestes que le maintien de ce campement est de nature à occasionner à l'ordre public, particulièrement si de nouveaux migrants en situation irrégulière devaient être amenés à l'occuper à nouveau, je vous demande et vous mets en demeure dans un délai d'un mois suivant la réception de cette lettre, de prendre toutes les dispositions nécessaires pour faire disparaître le campement en cause et d'interdire à l'avenir l'utilisation de cette parcelle ou de toute autre parcelle du territoire communal, pour faciliter le franchissement clandestin de la frontière avec la Grande-Bretagne.

Les services de l'État se tiennent prêts à vous apporter leur concours pour ce faire.

Pierre de BOUSQUET

On appréciera la "formule de courtoisie"...


Les services de l'Etat en train de rendre service à l'humanité.
20 décembre 2007 à 8h30, destruction du camp rue de Rely,
température extérieure -6°.
(Extrait du site de l'association Terre d'Errance.)

Il faut souhaiter au maire de Norrent-Fontes "un soutien manifeste et renouvelé" de la part de ses électeurs, et des ses collègues élus, pour faire face à cette menace préfectorale.

Sa première réaction a le mérite d'une grande clarté :

Nous dénonçons le procédé : l’état menant sa politique absurde d’immigration n’a qu’à en assumer les conséquences. Il est hors de question d’utiliser le maire de Norrent-Fontes pour faire la chasse à l’homme. Nous sommes un village solidaire !

Il ajoute qu'il étudie "le dépôt d’un recours devant le tribunal administratif sur la forme comme sur le fond" de cette mise en demeure.

Il apporte une réponse immédiate au constat d'insalubrité du campement que le préfet "relève au surplus" :

L'état sanitaire dans le camp est maintenu grâce à l'effort des bénévoles, des infirmiers, de la commune pour l'eau, des communes voisines pour les douches et de la communauté Artois-Lys pour les déchets.

Il pourrait renvoyer monsieur Pierre de Bousquet de Florian à quelques reportages qui ont été faits (par exemple celui-ci, sur DailyNord) pour se tenir informé. Mais il est vrai que pour un préfet, les bénévoles de Norrent-Fontes ne doivent guère compter, sauf s'il s'agit de modérer, par l'intimidation, leur esprit de solidarité - merci encore, madame Monique.


C'est beaucoup plus salubre comme ça.
20 décembre 2007 à 8h30, destruction du camp rue de Rely,
température extérieure -6°.
(Extrait du site de l'association Terre d'Errance.)

Mais, "au surplus", cette question des conditions sanitaires dans un campement destiné à disparaître importe assez peu à notre grand administrateur.

Il développe davantage, et de manière circonstanciée, son accusation larvée de quasi complicité du maire de Norrent-Fontes avec les "trafiquants" et les "passeurs". Il détaille avec tant de précision de "mode opératoire" de ces "réseaux" qu'on peut supposer que les rapports qu'il a reçus de ses troupes lui en ont appris beaucoup plus qu'il n'en dit. On se demande alors pourquoi ces "réseaux de passeurs" ne sont pas promptement démantelés par "les services de l'État". Pour cela, nul besoin d'attendre qu'un maire porte plainte ou saisisse la "justice civile"...

6 commentaires:

emcee a dit…

Lamentable! Dire que des types du même genre ont été mis à des postes de responsabilité partout ailleurs en France et qu'ils s'acharnent à démanteler des camps et déloger ces gens manu militari, sans aucun état d'âme.
L'histoire finit bien par se répéter, hélas.

Cette France pue. Les dirigeants de la planète, que ce soient les marionnettes politiques ou ceux qui tirent les ficelles, les grands groupes financiers, sont des barbares.

schlomo a dit…

quelle différence (mince) entre ce préfet et le préfet Delpeyrou qui à Bourg-en-Bresse, en juillet 1944 a obtenu des autorités allemandes nazies et de la Milice, la libération d'environ 1200 "bons Français", des Français "innocents" comme a dit un jour Raymond Barre...,emprisonnés du 10 au 14 juillet, contre l'exécution de juifs et de résistants, les 14 et 20 juillet?

Guy M. a dit…

@ emcee,

L'acharnement à détruire ces camps se banalise à tel point qu'on n'en parle plus...

Rien ans la presse nationale sur la réaction de ce "petit" maire, qui pourrait pourtant faire réfléchir quelques "grands", dits de gauche.

@ schlomo,

La comparaison se situe certes au-delà du point Godwin. Mais on sait aussi que c'est en comparant ce qui est déclaré non comparable que certaines vérités se dévoilent...

Sue Pollet a dit…

C'est donc à ça que sert le statut d'officier de police judiciaire que l'article 16 du code de procédure pénale confère aux maires ? À leur rappeler à qui ils sont censés obéir et faire pression sur eux ?...

emcee a dit…

"Mais on sait aussi que c'est en comparant ce qui est déclaré non comparable que certaines vérités se dévoilent.."
Exact! On nous interdit (mais de moins en moins, hélas) de faire des comparaisons avec des événements qui se sont produits sur notre sol encore de mémoire d'homme, comme si ces événements étaient une erreur de l'histoire, qu'ils étaient uniques et ne pouvaient se reproduire et comme si l'horreur des camps à l'époque ne pouvait plus ni être égalée,ni être dépassée.
C'est justement cette attitude qui endort la vigilance et permet à d'autres tortionnaires de rester impunis.
Quand un préfet ordonne la destruction de camps de réfugiés à Calais, quand il interdit, et criminalise, toute aide extérieure à des êtres humains, etc. il se situe dans la barbarie.
Les camps de concentration pendant la guerre ne sont qu'une partie de l'horreur: il y a eu avant cela: la terreur d'être pris, la spoliation des personnes, la séparation des familles, les humiliations, le mépris des "bien-pensants", les tortures etc.
La mort au bout de tout cela n'est qu'une partie du problème.
Sinon, ceux qui en ont réchappé auraient pu s'estimer "heureux" et "chanceux". Or, combien sont revenus, la fleur au fusil en disant: "I'm back!"?
Au contraire, ils en sont revenus fracassés, beaucoup se sont suicidés, d'autres n'ont jamais pu reprendre une vie un tant soit peu "normale".
Quand on chasse tous les réfugiés d'un camp, quand on détruit impitoyablement leurs maigres possessions et qu'on ne leur laisse qu'une vie d'errance: on est dans la même démarche barbare: humiliations, mépris et criminalisation. Certes, on ne les envoie pas à la mort, mais où les envoie-t-on sciemment?
Et quand ce sont les autorités qui les chassent, qui justifient cette barbarie en se réfugiant derrière la loi, qui criminalisent ceux qui résistent, et tout cela avec l'aval d'une majorité de la population, qui se satisfait de voir qu'il y a plus humilié qu'elle, on se retrouve dans le cas de figure où les Juifs, les Tsiganes et autres homosexuels, qui étaient obligés de se cacher ou de vivre une vie errante et secrète pour échapper à ces autorités.
N'est-ce pas déjà la barbarie indicible?
Le "plus jamais ça" incantatoire se produit tous les jours sur toute la planète et il est orchestré par ceux-là mêmes qui reviennent constamment sur des faits qui se sont produits il y a bien longtemps, pour masquer et minimiser ceux qui ont lieu actuellement sous leurs ordres ou avec leur consentement.

Arrêté pendant l'Occupation à cause de ses origines juives, Tristan Bernard a été déporté au camp de Drancy. À son départ pour le camp, il a dit à sa femme : « nous vivions dans l'angoisse, nous vivrons désormais dans l'espoir».

Désolée. J'ai un peu monopolisé :-(

Guy M. a dit…

@ Sue Pollet,

Ce statut, dont certains maires sont si fiers, en fait aussi de bons petits soldats que l'on peut rappeler à l'ordre au besoin. Il n'est pas encore prévu de les foutre au gniouf, mais ça viendra peut-être.

@ emcee,

Tu n'as pas à être désolée : tu es la bienvenue. C'est le monopole de la barbarie rampante qu'il faut casser.