samedi 26 septembre 2009

Mairie et bibliothèque sous influence

«La bibliothèque du 4e a fermé l’exposition pour se laisser le temps de la réflexion, non pas sur l’exposition mais sur l’accueil des sans-papiers (pour le débat, ndlr), prévu ce soir dans le cadre de la projection débat. Cela ne remet pas en cause la qualité de l'expo ou le fait qu’elle ne doit pas être censurée».

Selon Oriane Raffin et Elisa Frisullo, qui signent l'article de 20minutes.fr signalé en post-scriptum dans mon billet de jeudi, c'est en ces termes que la mairie de Lyon aurait expliqué, ce même jeudi, en milieu d'après-midi, la fermeture inattendue et inexpliquée de la salle présentant l'exposition Les chiffres ont un visage, du photographe Bertrand Gaudillère (qui ne l'a appris que de manière incidente...)

Cliquer sur l'image pour accéder au diaporama des 27 photos exposées.

Cette exposition avait été programmée du 15 septembre au 17 octobre par les responsables de la bibliothèque municipale du 4ème arrondissement lyonnais, qui avaient pris contact avec le photographe au mois de juin dernier. Bertrand Gaudillère n'est pas un inconnu, il fait partie du collectif lyonnais Item et une partie de ses réalisations est accessible sur le site du collectif. Il ne cache pas le caractère engagé de ses travaux et, à ma connaissance, il n'a pas mené un siège téléphonique en règle pour être invité à exposer ses tirages, résultats de plus d'un an de rencontres avec des sans-papiers et avec des associations comme le Réseau Education sans Frontière et le collectif des Amoureux au ban public.

En revanche c'est bien un siège téléphonique mené par des sympathisants du mouvement des Jeunesses identitaires de Lyon, simulant à peu de frais une vague soudaine de mécontentement et d'indignation de la part des usagers (inscrits sur les listes électorales) de la bibliothèque, qui a entrainé la fermeture de la salle d'exposition, et l'annonce de l'annulation du vernissage, suivi d'une projection et d'une table ronde, prévu en soirée, le jeudi 24.

Cette décision fut prise le mercredi 23, dans des conditions de transparence que le courriel adressé à Rebellyon par un(e) bibliothécaire laisse deviner:

Vous aviez sans doute reçu mon mail sur une animation "La rentrée avec ou sans papiers".

Aujourd’hui, à la veille de cette rencontre avec RESF, la direction de la bibliothèque vient de se rétracter et, face au sujet trop polémique et la pression d’un groupe d’extrême-droite, cette animation débat, n’aura pas lieu.

Je vous invite à venir tout de même demain à 19h à la bibliothèque de la Croix Rousse pour rencontrer le directeur de la bibliothèque qui viendra expliquer le pourquoi du comment et surtout à écrire à la bibliothèque pour vous indigner de l’annulation d’un tel débat ou soutenir la politique d’animations courageuse de vos bibliothèques !


Le programme initialement prévu et accepté par la direction.

C'est en piaillant un peu rapidement leur victoire sur leur site internet (comme d'habitude, il vous faudra le trouver vous-même...) que les nazillons lyonnais ont attiré l'attention sur leur rôle.

Un article d'Alice Géraud, paru dans LibéLyon, revient sur ce rôle et permet de suivre les méandres de la réflexion qui a nécessité la fermeture temporaire de l'exposition, en donnant la parole aux différents acteurs de cette réflexion exigeante.

Monsieur Patrick Bazin, le directeur de la bibliothèque municipale de Lyon, prétend avoir découvert mercredi matin les "questionnements posés en interne" par cette exposition et l'organisation de son vernissage.

On peut le remercier de son attention et reconnaître qu'il manie avec élégance le vocabulaire manageurial de l'administration française...

Il assume, nous dit Alice Géraud qui le cite amplement:

"Effectivement, ce débat, tel qu'il était organisé, ne respectait pas notre devoir de pluralisme. Je ne veux pas que la bibliothèque municipale soit perçue comme un lieu de militance" (…) "Je n'ai rien contre les sans-papiers, ni contre ceux qui les défendent, mais je crois que nous devons, dans notre mission de service public, être soucieux d'un certain équilibre".

Que penser d'un directeur de bibliothèque municipale, probablement esprit éclairé, s'oubliant jusqu'à employer cette bonne vieille figure caricaturale de la dénégation: "Je n'ai rien contre..., ni contre..." ?

Mais son assortiment des mots clés de "pluralisme", "équilibre" et "service public" est encore plus inquiétant, si l'on accepte la frileuse et étroite conception qu'il révèle et si on l'extrapole.

Au nom de ce "devoir de pluralisme" du "service public", ne faudrait-il pas veiller à un strict "équilibre" des opinions sur les rayonnages de nos bibliothèques municipales ? De nombreux ouvrages sont parus sur les questions d'immigration ces dernières années, dont un bon nombre, signés de démographes, historiens, sociologues ou philosophes reconnus, critiquent ouvertement la politique de "gestion des flux migratoires" et ses conséquences. Je crains que, faute de pouvoir réaliser une stricte en qualité et quantité, on ne soit obligé de désherber les rayons et d'envoyer au pilon la plupart de ces livres - il serait maladroit de les brûler en place publique.

Il faudrait aussi veiller à ce qu'aucune conférence, causerie ou intervention, dans une salle des bibliothèques lyonnaise ne soient parfaitement équilibrées. Comme ce n'est pas un mince travail, il faudra, je pense, que monsieur Bazin soumette à son conseil d'administration le projet d'embaucher un contradicteur universel. Il pourrait, par exemple, recruter sur ce poste un brillant jeune identitaire lyonnais...

Le pilon, où les bonnes feuilles se ramassent à la pelleteuse.

Les propos de monsieur Dominique Bolliet, le maire socialiste du 4è arrondissement de Lyon, également rapportés par Alice Géraud dans son article, introduisent un nouveau motif:

"Il y avait deux problèmes. Un problème de déséquilibre du débat. N'étaient invitées que des personnes qui défendaient la même position. Le second problème est lié à la présence de sans-papiers à ce débat. Est-ce qu'une bibliothèque peut réellement accueillir des personnes qui sont hors-la-loi et pour qui être là peut représenter un risque ?"

Je ne crois pas un seul instant au souci que monsieur le maire semble se faire concernant le "risque" encouru par les sans-papiers du fait de leur "présence" "à ce débat". Il s'agit là d'un "risque" parfaitement assumé par ceux qui acceptent de se présenter ainsi en public: monsieur Dominique Bolliet semble oublier que la vie d'une personne sans-papier est une vie qui comporte beaucoup de risques...

Le souci de monsieur Bolliet est ailleurs: "Est-ce qu'une bibliothèque peut réellement accueillir des personnes qui sont hors-la-loi (...)"

En utilisant ce mot étrangement connoté de "hors-la-loi", il me semble que le maire du 4è arrondissement de Lyon, peut-être sous influence de la prose identitaire récemment parcourue, prononce un verdict d'exclusion sans appel, qui dépasse même le vocabulaire habituel de ses influenceurs, qui se contentent de "délinquants", "clandestins illégaux", etc.

L'usage de ce terme de "hors-la-loi" constitue une prise de position politique.

Un élu n'a pas le droit au lapsus.


PS: D'après 20minutes.fr:

La salle a rouvert hier après-midi et la soirée-débat, finalement maintenue, s'est déroulée en l'absence des sans-papiers. "La loi l'interdit", précise la ville.

4 commentaires:

Marianne a dit…

Courageux mais pas jusqu'au bout dommage ! Les seuls qui prenaient des risques , à mon avis ,ce sont les sans papiers. Vont- ils trier aussi les ouvrages proposés à la lecture ?

Guy M. a dit…

Courage très relatif...

Par ailleurs, si j'ai bien compris les infos, un débat (ou une table ronde) a été annulé(e) ce même soir à la bibliothèque du 8è arrondissement.

JBB a dit…

Oui. Pas de courage du tout, même. C'est incroyable qu'un directeur de bibliothèque municipale, homme supposé de culture et "progressiste", puisse ainsi se comporter. Et assumer sans fards sa lâcheté face aux nazillons autant que face à l'air du temps.

C'est finalement, comme tu le soulignes en filigrane, aussi révélateur que le coup de balai de Calais.

Guy M. a dit…

Il y a d'étranges idées qui progressent chez les "progressistes"...