We the undersigned petition the Prime Minister to apologize for the prosecution of Alan Turing that led to his untimely death.
(Traduction: "Nous soussignés demandons au premier ministre de s'excuser pour les poursuites engagées contre Alan Turing qui ont abouti à sa mort prématurée" - article de Damien Leloup dans Le Monde.)
Les citoyens britanniques peuvent signer, jusqu'au 20 janvier 2010, cette laconique pétition qui est hébergée sur très officiel site officiel du Prime Minister's Office.
Les britanniques ont parfois d'étranges usages, n'est-il pas ? On imagine mal le site de l'Élysée ou de Matignon abriter des pétitions lancées par de simples citoyens, alors que le site du 10 Downing Street améliore ses statistiques de fréquentation de cette manière.
Cette demande d'apology a été adressée à monsieur Gordon Brown à l'initiative de monsieur John Graham-Cummings, un informaticien qui insiste beaucoup pour que les médias signalent qu'il est l'auteur du Geek Atlas.
A l'heure où je me suis levé, il y avait 30 142 signatures en ligne. Comme je ne suis pas sujet de sa gracieuse majesté, je n'ai pas signé.
Alan Turing (1912-1954) est l'un des mathématiciens les plus marquants du siècle passé, mais je ne me hasarderai pas à décider de la hauteur du superlatif à employer. Comme, par ailleurs, cela fait une éternité, à quelques mois près, que je n'ai pas mis le nez dans les textes de Turing et les gloses y afférant, je ne m'aventurerai pas non plus à vous faire un résumé de son œuvre. Pour cela, je vous renvoie, par exemple, à l'article sommaire de Boris Manenti, dans la série d'été du NouvelObs La cyberculture, intitulé Qui est Alan Turing ? Cet article a l'avantage de donner des liens qui permettent d'accéder aux textes de Turing.
Ce n'est que dans les années 1970 que furent révélées les activités de Turing durant la seconde guerre mondiale, au centre secret du service du chiffre, à Bletchley Park, où il a contribué à "casser" le code de la machine Enigma utilisé par les allemands.
On peut donc dire, pour ceux qui aiment cette phraséologie, qu'il fut un artisan essentiel de la victoire du monde libre face à la barbarie des nazis.
Ce que le monde libre lui rendit d'étrange façon.
A la suite d'un cambriolage sans grande importance pour lequel Alan Turing porte plainte, les enquêteurs découvrent qu'il a une liaison avec un certain Arnold Murray (qui avait donné les renseignements utiles au cambrioleur). Turing rédige lui-même une déposition de cinq pages où il ne fait aucun mystère de sa relation homosexuelle, et ne feint aucun remord. Il tombe sous le coup de la loi: Gross Indecency contrary to Section 11 of the Criminal Law Amendment Act 1885.
L'affaire est jugée en mars 1952. Turing est condamné, mais on lui laisse la possibilité d'éviter la prison, à condition de se soumettre à un traitement à base d’œstrogène, sensé réduire sa libido, autrement dit à condition d'accepter une castration chimique.
Transformations physiques, transformations psychiques. Et sans doute, le désir bridé, inassouvi, mais toujours vivant (car je doute que le désir ne soit qu'une affaire d'hormones).
Sans parler de la probable surveillance des services secrets du Royaume-Uni, qui se méfient des homosexuels réputés plus faciles à approcher et à retourner...
Le 7 juin 1954, Alan Turing croque dans une pomme qui a macéré dans du cyanure. Sa femme de ménage le trouvera le lendemain. Mort.
Peut-être avait-il chantonné une dernière fois la chanson de Blanche Neige et les sept nains, qu'il aimait beaucoup:
Dip the apple in the brew
Let the sleeping death seep through
Sa mère soutiendra la thèse de l'accident, en arguant du fait que son fils ne rangeait jamais rien et laissait trainer ses produits chimiques n'importe où, n'importe comment. Les mères sont admirables, certes, mais elles disent toutes cela de leurs fils. Et en Grande-Bretagne, c'est presque aussi embêtant d'être suicidé qu'homosexuel...
On peut aussi penser qu'Alan Turing a été acculé au suicide par l'application d'une loi ignoble d'un grand pays du monde prétendu libre.
Que monsieur Gordon Brown présente des excuses ou pas, peu importe. On lira encore les textes de Turing quand le nom du nain Gordon Brown sera complètement oublié.
PS: A signaler sur la vie et la personnalité d'Alan Turing, l'article de Jean-Philippe Renouard, intitulé L’énigme Alan Turing qui est reproduit sur uZine.net.
2 commentaires:
Je ne sais ce qui fait le plus froid dans le dos, constater la façon dont on traitait la différence voilà seulement cinquante ans dans un pays se prétendant civilisé et moderne ou prendre acte du manque de reconnaissance dont sont capables les Etats et les sociétés. Je sais, pourtant, que ce ne devrait plus être une surprise. Mais voilà : on ne s'y fait pas. Merci pour ce billet.
De rien, de rien...
La même loi a permis de condamner Oscar Wilde, et tant d'autres, et tant d'autres...
Je ne sais pas comment elle a été amendée, et quand (tu penses bien que mon anglais ne m'a pas permis d'aller très loin sur ce point). Mais j'aimerais bien savoir.
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