mercredi 4 juin 2008

La France d'après, c'est toujours aujourd'hui



J'ai un temps imaginé que l'intervention au lycée Paul Bert (voir ici) de monsieur François Fillon, notre fort populaire premier ministre, avait pu ressembler à cela.

Il devait en effet tenir des propos éclairés sur le thème de l'addiction aux drogues plus ou moins douces en milieu scolaire.

Je me demande quelle est sa compétence en ce domaine. Pour ma part, à sa place, j'aurais refusé d'y aller: bien que j'appartienne à la génération qui a l'un des taux le plus élevé de consommateurs réguliers, je ne suis pas pratiquant. Je n'ai jamais supporté bien longtemps les ricanements à la Stéphane Bern et les éructations franglo-saxonnes qui me semblent assez coutumiers chez les fumeurs de roulées qui font rigoler en fin de soirée. Et puis, j'ai toujours prétentieusement estimé que j'avais assez de talent pour faire le con, avec ou sans drogue.

C'est peut-être aussi le cas de monsieur Fillon, qui commence ainsi son intervention:

«Madame le proviseur,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais d’abord vous dire pourquoi, avec Xavier Darcos et Rachida Dati, nous avons choisi de venir ce matin, ici, au lycée Paul-Bert. Nous allons rendre public le Plan gouvernemental de lutte contre la drogue pour la période 2008-2011. C’est la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie qui le fera connaître, et nous avons voulu illustrer ce plan à partir d’un débat dans un établissement qui a choisi déjà depuis longtemps de prendre ce problème à bras le corps.»

Je reviendrai peut-être un jour sur cette notion extrêmement féconde pour le pouvoir en place, et qui est celle de débat bidon illustratif d'un ensemble de décisions déjà arrêtées. Pour faire court, je crois qu'il y a là une réponse éclatante aux défaitistes de tout poils qui pensent que la démocratie est en panne. Non, messieurs-dames, elle progresse à grands pas vers le néant.

Je vous laisse consulter le texte complet du premier ministre, sur son site à lui (je ne vais pas lui donner mon espace, quand même), pour passer à son intervention de clôture, après le fameux "débat", où, comme d'habitude un certain nombre de personnels de l'éduknat et un certain nombre d'élèves ont dû se prendre au sérieux pendant que monsieur Fillon guettait les quelques mots clés attendus pour ficeler sa conclusion.

«D’abord, moi je voudrais vous remercier en vous disant que votre lycée n’a pas besoin de la venue du Premier ministre, du ministre de l’Education nationale et du garde des Sceaux, pour prendre des mesures et prendre conscience de l’importance du problème et réagir, puisque je vous ai dit dès le début de mon propos que si on était venu ici à Paul Bert, c’est justement parce qu’on a le sentiment que dans ce lycée, il y a un effort particulier qui a été fait. Donc, ne prenez pas notre venue comme une leçon de morale supplémentaire mais, au contraire, comme l’utilisation du dialogue qui existe dans votre établissement, comme point de départ d’une action de communication de grande ampleur que le Gouvernement veut lancer avec la Mission interministérielle de lutte contre les toxicomanies et la drogue. Donc, on part de votre exemple, du dialogue qui existe ici, des situations que vous avez évoquées, pour illustrer cet effort.»

(…)

«Je vous remercie. Je sais que je vous ai fait perdre une heure ou deux heures de cours. Mais j’espère que vous comprendrez que c’est pour que, au plan national, la campagne qu’on va conduire s’appuie sur votre expérience, et donc soit plus crédible que si elle était née, comme ça, simplement de notre imagination.»

Quel talent!

Monsieur Darcos, en son temps, avait reçu une formation en communication, monsieur Fillon en a peut-être suivi une également, mais sûrement avec le module d'approfondissement "foutage de gueule".

On peut trouver sur le site de la FCPE du lycée Paul Bert cette lettre ouverte fort lucide:

Lettre ouverte de la communauté scolaire Paul Bert à Monsieur le Premier Ministre, Monsieurle Ministre de l’Éducation et Madame la Garde des Sceaux.

Madame et Messieurs les Ministres vous n’êtes pas les bienvenus

Nous avons appris votre présence au Lycée Paul Bert (Paris XIVe) le lundi 2 juin au matin dans le cadre de la prévention des conduites à risques chez les adolescents.

Si cette action nécessite vraiment votre venue dans notre établissement, nous sommes tout d’abord étonnés de l’absence de Madame Bachelot, Ministre de la Santé, dans la mesure où dans notre conception de l'éducation, aux yeux des citoyens que nous sommes, ce problème nous paraît relever principalement de son ministère. Le décalage manifeste entre la dimension scientifique du travail entrepris au lycée Paul Bert sur l’addiction et l’opération de communication politique parachutée dans ce même établissement suscite la méfiance de l’ensemble de la communauté éducative.

Par ailleurs notre établissement accueille de nombreux élèves qui ont besoin de travailler dans un climat de sérénité. Or le fonctionnement de la cité scolaire se trouve fortement perturbé par tous les préparatifs qui entourent cet événement.

Enfin, alors que dans nos demandes quotidiennes ainsi que dans le mouvement de la communauté éducative qui se poursuit depuis plusieurs mois, nous ne cessons de demander des moyens pour lutter à la fois contre l’échec scolaire et contre ces comportements à risques, le gouvernement dont vous êtes les représentants refuse de nous entendre. Depuis des années en effet nous réclamons pour assurer la réussite de tous les élèves l’amélioration de leurs conditions d’études : plus d’encadrement tant pédagogique qu’éducatif, des équipes stables d’enseignants qui puissent se concerter et travailler dans la durée, un personnel médico-social en nombre suffisant capable de mener une politique de prévention ainsi que des moyens matériels correspondants.

Cependant, alors que la situation de notre établissement se dégrade (baisse constante des moyens, incohérence des directives….), vous nous répondez par une dotation horaire amputée, des heures supplémentaires qui alourdissent la charge de travail des enseignants, des professeurs écartelés entre plusieurs établissements et la suppression des postes de surveillants.

Attachés à une Education Nationale de qualité qui réponde aux réels besoins des élèves, nous sommes lassés des effets d’annonce et des discours de politique spectacle.

C’est pourquoi nous considérons votre venue et sa mise en scène comme une provocation, dont nous refusons d’être les complices.

Sur le même site, vous pourrez trouver également une autre lettre, adressée aux parents par les élus FCPE au Conseil d’Administration, qui décrit bien l'organisation de la rencontre…

«Le mardi 27 mai 2008, nous avons été invités par l’Administration du lycée Paul Bert à participer lundi 2 juin à un Comité d’Éducation à la Santé et à la Citoyenneté en tant que parents élus. La proviseure ne nous a informés ni de l’objet de la réunion de ce Comité ni de sa composition, mais nous a demandé de manière très informelle de lui communiquer très rapidement les noms de trois ou quatre parents «ouverts, intelligents et impliqués» ( !!! )
Sans aucune information sur le fond et la forme de cette réunion, nous avons considéré que nous n’étions pas en mesure de répondre favorablement à cette invitation.

Le jeudi soir 29 mai, nous apprenons par l’intermédiaire de nos enfants que des personnalités politiques sont conviées à la réunion du Comité prévue pour le lundi 2 juin et dans le même temps que des parents non élus et non délégués ont été sollicités pour représenter les parents d’élèves.»

Instructif, non ?



PS1: A part cela, nos médias ne donnent aucune information supplémentaire sur les suite de l'intervention des dépositaires de la violence publique à l'entrée du lycée. C'est habituel.

PS2: Dans la série, et pourquoi qu'on s'en priverait, hein, ma'ame Habot:


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonsoir Monsieur Guy,

Ce qui est le plus atterrant dans tout ça - enfin, je trouve - c'est le mépris affiché de ces gens censés nous gouverner, mais aussi nous représenter. Bien sûr que non, ce n'est pas "ça", la démocratie ! Mais plus ça va, moins on se souvient de ce que c'est censé être, pour de vrai...

Bises

Guy M. a dit…

Bonsoir Madame Py,

Même moi je suis trop jeune pour pouvoir me souvenir de ce qu'était la démocratie réelle, car cela remonte à des temps antédiluviens ou presque.

Quant à la démocratie formelle, c'est une belle invention, je trouve, avec une bonne dose d'euphorisants, ça passe bien...

Bises.