lundi 10 mars 2008

Les mots d'un président

On discerne bien maintenant quels sont les effets directs de la candidature et de l'élection de Mr Nicolas Sarkozy à la présidence de la République.

Un de ses effets collatéraux me semble être un renouveau marqué de l'intérêt pour les sciences du langage. Renouveau durable ou pas, l'avenir nous le dira.

Il en a des choses à nous dire, l'avenir; il aurait intérêt à se lever tôt, très tôt.

Il peut sembler paradoxal que l'arrivée au pouvoir suprême de Mr Sarkozy coïncide avec une relance d'études de linguistique, voire de poétique, tant le personnage semble éloigné de toute préoccupation des questions de langue. Son niveau de langage est tel que j'ai pu constater, dans ma campagne natale, que l'on préférait envoyer les enfants mener la Blanchette au taureau, plutôt que de les laisser regarder le vingt heures.

Mais, paradoxal ou pas, c'est ainsi. Et je m'en vais de ce pas vous en donner deux exemples.

Le premier nous est offert par les excellents universitaires Louis-Jean Calvet et Jean Véronis, avec leur livre Les Mots de Nicolas Sarkozy, aux éditions du Seuil.

Tout le monde s'est désennuyé un jour à compter les expressions fétiches d'un orateur insipide, cela permet de soutenir son attention. Vous pourriez, je pense, faire un assez bon score actuellement en dénombrant, dans les dialogues mous qu'on nomme débats, les occurrences de "en même temps" ou de "pour autant", ces chevilles qui permettent d'en placer une quand on n'a rien à dire.

Lorsque vous faites porter votre décompte sur des mots significatifs, vous pouvez déjà repérer des "tendances" du discours. Va-t-on plus employer "sanction" ou "avertissement" dans les commentaires des résultats des municipales? Ou aucun des deux?

Si vous voulez vous attaquer à l'ensemble des discours tenus pendant une campagne électorale, vous devrez utiliser des outils plus puissants que votre papier et votre crayon. Des logiciels idoines pourront sasser et ressasser pour vous les milliers de mots prononcés (et faire plus, en vous permettant une étude chronologique, une étude du voisinage des mots…etc.)

Si vous avez un peu mauvais esprit, vous pourrez sortir des résultats de ce genre:


Mais nos auteurs sont des gens sérieux et utilisent avec sérieux leurs ordinateurs pour étudier les discours du candidat Sarkozy (et de sa première plume Henri Guaino). Ils retracent comment s'est imposé un certain profil du candidat, comment sa parole s'est ajustée aux besoins de la campagne et l'a enfin dominée, réagissant aux thèmes de ses adversaire ou en introduisant d'autres pour désamorcer leurs initiatives. Avec le succès que l'on sait.

Est ainsi mise en évidence une part de la stratégie de Sarkozy-Guaino, qui consiste à saturer le discours d'un thème, quasiment réduit à un mot emprunté au lexique privilégié de l'adversaire. Techniquement la saturation est obtenue avec une grande économie de moyens: la répétition, et tout particulièrement, la répétition d'un même segment initial à chaque phrase ou paragraphe (ce que les lettrés nomment "anaphore" et que je préfère appeler "litanie de Saint-Barbant").

Ce procédé sature évidemment, chez les auditeurs, la part de cerveau disponible au discours politique, et va même jusqu'à décerveler les adversaires. Lorsque, le 14 janvier 2007, le candidat Sarkozy lance son OPA sur le nom de Jaurès, c'est un François Hollande sonné qui s'insurge contre une "captation d'héritage"… Et la candidate Royal, tardivement, tente une réplique le 6 avril, à Carmeaux, en répétant "Jaurès" 23 fois. Bel effort! A la parade, Sarkozy prononce 32 fois le nom de Jaurès, le 12 avril, à Toulouse. Et en profite pour répondre sur la question de la "captation d'héritage":


«Voilà donc que je capte un héritage. Voilà donc que l'héritage est possible. Monsieur le premier secrétaire du Parti Socialiste, si l'héritage est possible pour vous, il doit l'être pour chaque Français.

Voilà pourquoi je proposerai la suppression des droits de succession, (…) »



Cette répartie, digne d'une discussion de comptoir où se réanime un gugusse écroulé pour dégoiser "ben, moi, je dis, je dis, les droits de suc-cession, faut les sup-primer", a-t-elle suffit pour que Sarkozy mette Jaurès dans sa poche? Je ne sais. Mais elle semble avoir laissé les socialistes sans voix…

Je pense que certains socialistes, moins crétins que les autres, auraient pu aller voir un peu dans Jaurès… Mais j'ai sans doute tort, car sous la plume de Guaino et dans la bouche de Sarkozy le nom de Jaurès a perdu une grande partie de sa substance. Calvet et Véronis disent avoir songé à un sous-titre pour leur livre: "Histoire d'une vampirisation linguistique". C'est bien ce qui s'est passé avec "Jaurès" devenu simple signifiant un peu vide mais situé "sur la gauche" du candidat, et opérant comme tel. Sans plus.

Tout ceci est bien intéressant et il y aurait encore bien des choses à dire. Je ne regrette qu'une chose, c'est que les auteurs nous aient fait un peu de storytelling (comme on dit maintenant) à propos de la doublette Sarko-Guaino. Evoquer le rôle d'Henri Guaino est inévitable, mais il ne me paraît pas vraiment indispensable d'évoquer (à deux reprises) les destins des deux enfants sans pères et leurs probables égratignures narcissiques. C'est un lot assez commun, avec ou sans père, et on peut s'en remettre sans devenir président de la république ou sa plume…



Mon second exemple de l'influence de la présidence Sarkozy sur les sciences du langage est l'indice d'un renouveau de l'intérêt (ironique) pour la poétique. Je l'ai trouvé dans l'éditorial que Thierry Guichard a écrit pour le numéro 91 du Matricule des Anges (revue littéraire indépendante dont on ne dira jamais assez de bien).

En voici les deux premiers paragraphes:

«Après le succès sur grand écran de La Graine et le Mulet, la fin de février aura consacré un film pour les petits écrans (du téléphone portable à l'ordinateur). On y voit un petit président (grand amateur de stylos et de montres bling-bling) dialoguer avec un "badaud"' du salon de l'agriculture. Le dialogue du film est assez succinct, mais très efficace. On y entend le petit représentant de la France dire "cass'toi alors pauv'con". Pour l'heure, on ignore si ce petit film bénéficiera d'une diffusion internationale avec sous-titrage mais il nous semble qu'il devrait pour le moins figurer au programme, dès la rentrée prochaine, des classes de primaire. Après un cours de civisme et de connaissance des valeurs de notre république (hymne, drapeau), par exemple. Ce petit film pédagogique pourrait introduire également un cours sur les subtilités du français. On commencera par une étude des synonymes. Pour Le Parisien, qui diffuse le clip sur son site internet, l'échange a eu lieu entre un Président et un "visiteur". Pour France Info et France 2 (entre autres), il a eu lieu entre un Président et un "badaud". Si l'homme en question avait été un retraité (ce qu'il est peut-être), il eût été nommé "badaud" tout autant. Les élèves relèveront les différences entre les termes "visiteur", "badaud" et "retraité" et diront pourquoi "badaud" a eu la faveur des grands médias.

Leur maître ensuite, expliquera le rôle de l'élision dans une approche poétique du langage présidentiel. Le français classique (ancien régime autant dire) aurait dit "pauvre con" en trois syllabes, mais la métrique ici en exigeait seulement deux. Le rythme de la phrase imposait une symétrie parfaite: 2-1-2. Le "alors" jouant le rôle de la césure. Le petit président est poète.»


On avait déjà remarqué que le président avait un goût certain pour la poésie. La seul fragment qui nous est parvenu de son Apostrophe à Martinon est un alexandrin d'une grande régularité:

«Je t'ai donné mon fils, je t'ai donné ma ville.»

Le "cass'toi alors pauv'con" pose davantage de problèmes de scansion… Il semble que Mr Thierry Guichard ait tranché en procédant à l'élision de la voyelle initiale du "alors". C'est un point de vue défendable et conforme aux règles d'élision de la prosodie latine (si mes souvenirs sont bons). Mézalors, en chipotant un peu, il me semble qu'il faudrait plutôt entendre le rythme 3-2, et non 2-1-2, d'où une rupture de symétrie.

En abandonnant la symétrie, mais en tenant ferme sur la régularité, on obtient 2-2-2, qui est d'une platitude à marcher au pas…

A ce propos, de nombreux commentateurs ont remarqué que le monostiche "cass'toi alors pauv'con" était un excellent slogan pour rythmer la grande manifestation qui devrait conduire sous peu le souverain à partir en exil. Les difficultés précédentes m'en font douter.


PS: Grand merci à Thierry Guichard, pour son autorisation.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah ! Qu'en termes choisis ce qui s'entend bien s'énonce exquisement !

Merci une fois encore pour l'éclat de rire que m'a procuré ce billet. J'ai tout particulièrement apprécié la leçon d'instruction civique, indispensablement suivie de la leçon de français.

Et si on envoyait Messieurs Sarkozy, Guéant etc. faire leurs discours au taureau ? On pourrait peut-être regarder le 20h à nouveau...

Anonyme a dit…

Merci aussi !!
J'ai adoré Blanchette.
Et la vigueur du mot socialiste.
Et la "polésie" (comme disait Desproges).
Je sors donc moins nunuche qu'avant de la lecture de ce billet !
Moins nunuche je suis
Qu'avant lecture d'ici
(oh bé ça contagionne)
Kiki :-)

Guy M. a dit…

@ Françoise et Kiki,
Ne me remerciez pas, you're welcome, comme on dit ici depuis juin 44.
A part ça, Blanchette et le taureau en ont un peu marre..."on est pas des humains!", ruminent-ils.