jeudi 20 janvier 2011

Une belle manœuvre

L'annonce de l'annulation, par la direction de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, d'une conférence-débat "sur la répression de la campagne de boycott des produits israéliens" (dixit Le Monde) a suscité suffisamment de réactions diverses, et de démentis, qu'on en oublierait presque de (re)lire l'éditorial que monsieur Richard Prasquier, président du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF) a consacré à cette grande victoire.

Il s'agissait pour lui, selon toute apparence, d'annoncer la réussite de l'action engagée, d'en rappeler les motivations, et d'exprimer sa gratitude à tous ceux qui "ont réagi comme il le fallait, en se mobilisant immédiatement".

On passera charitablement sous silence quelques digressions quand sous sa plume surgissent des noms honnis, tel celui de "l’inévitable Michel Warchawski" (sic - à orthographier certains noms sont difficiles). Le style de notre éditorialiste se relâche alors sensiblement, à tel point qu'on lui conseillerait volontiers, s'il était de nos amis, d'aller se faire relire par une plume professionnelle. Il se targue assez d'en connaître, et des meilleures.


L'inévitable monsieur Richard Prasquier.

En ouverture de son morceau de prose, monsieur Prasquier se répand en copieux éloges qu'il déverse à flots aux pieds de madame Monique Canto-Sperber pour avoir pris la courageuse décision d'interdire ce "scandaleux colloque-débat" qui devait avoir lieu au soir du 18 janvier dans les locaux de l'ENS.

"Il y a des dans ce pays des hommes et des femmes intellectuellement courageux. Mme Monique Canto Sperber, directrice de l’Ecole Normale Supérieure en est un exemple."

(Et resic - je m'en voudrais de corriger.)

On notera que monsieur Prasquier se garde bien de dire qu'il a sollicité directement la décision d'interdiction auprès de la directrice, même si, plus loin, il fait suivre son hommage à ceux qui "ont réagi sans ambiguïté" d'une "pensée particulière à Mme Canto Sperber qui mène un combat incessant contre des dérives inquiétantes".

C'est pourquoi il est possible que le communiqué de la direction de l'école ne soit que partiellement mensonger lorsqu'il affirme :

L'annulation de la réservation de la salle Jules Ferry de l'Ecole normale supérieure pour le mardi 18 janvier a été décidée indépendamment des démarches entreprises par le Président du CRIF auprès de plusieurs personnalités.

Les pressions ont pu venir d'ailleurs...

L'inévitable madame Canto-Sperber.

Le texte de monsieur Prasquier laisse entendre que les démarches entreprises "en urgence" ont visé un peu plus haut que la très influente, mais très évitable, directrice de l'ENS :

Valérie Pécresse, Ministre des Universités, ainsi que le rectorat de l’Université de Paris que nous avons contactés en urgence ont réagi sans ambiguïté : je leur rends hommage, (...).

Madame Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et monsieur Patrick Gérard, Recteur de l’académie et Chancelier des universités de Paris, n'ont pas jugé bon, à ma connaissance, de commenter cette affirmation du président du CRIF.

Pourtant un petit signe d'assentiment de leur part serait le bienvenu chez monsieur Prasquier, car certains de ses autres soutiens directs revendiqués lui font maintenant défaut, semble-t-il.

Il avait mis en avant, pour leur rendre un "hommage" appuyé, les noms de "Claude Cohen Tanoudij (et re-re-sic), Prix Nobel de Physique, Bernard Henri Lévy et Alain Finkielkraut, tous anciens élèves de l’Ecole Normale Supérieure".

On pouvait lire, mardi dernier, dans le NouvelObs-point-com, cette déclaration de monsieur Alain Finkielkraut, ancien normalien de Saint-Cloud, et non de la rue d'Ulm :

Je ne suis en aucune façon intervenu auprès de Mme Canto-Sperber, même s’il est vrai que j’étais catastrophé par l’annonce de ce débat parce qu’il risquait de créer un précédent dans les autres universités.

Certes, notre philosophe bavard s'étend beaucoup sur ce qui le catastrophe, mais son démenti a le mérite d'être assez clair.

Et monsieur Bernard-Henri Lévy, de retour des États-Unis, envoyait le soir du même jour un message au NouvelObs :

Contrairement à ce que laisse entendre votre site, je ne suis intervenu ni auprès de Madame Canto-Sperber ni auprès de quiconque pour recommander l'annulation de ce débat. Je suis, par principe, même et surtout quand le désaccord est profond, partisan de la confrontation des points de vue - pas de leur «annulation».

Quant à monsieur Claude Cohen-Tannoudji, il n'a peut-être tout simplement pas reconnu son nom...

A moins qu'il ne médite sur le principe de Pascal
sur la transmission de la pression dans un fluide.

Il est assez clair, à la lecture de la pénible prose de monsieur Prasquier, que ce qui a provoqué sa "colère" n'est pas tant la présence de Stéphane Hessel dans les locaux de l'ENS, mais bien le fait que l'on puisse y parler librement de la campagne BDS (Boycott-Désinvestissement-Sanctions) qui se veut être une "réponse citoyenne et non violente à l'impunité d'Israël". On sait que, pour le CRIF et son président, les militants de cette campagne "prônent un comportement discriminatoire à l’égard d’un pays et (...) tombent ainsi sous le coup de la loi", et que, de cela, il ne saurait être question de débattre...

Après un rapide hommage à maître Pascal Markowicz "qui défend nos positions avec brio et ténacité", monsieur Richard Prasquier revendique l'action du CRIF dans ce domaine de la criminilisation de l'expression citoyenne en des termes éloquents :

C’est d’ailleurs l’occasion de rappeler, notamment à ceux qui ont tendance à le passer sous silence, que c’est bien le CRIF qui est à la manœuvre derrière toutes les procédures contre le boycott, même si par tradition il s’abstient de porter plainte lui-même.

Nul besoin d'être issu de Normale Sup, Ulm ou Saint-Cloud, pour s'en être aperçu. Mais on se gardera bien de profiter de cette ferme revendication pour présenter le président du CRIF comme un habile manœuvrier.

Car s'il a réussi à faire interdire la tenue d'une conférence-débat dans une salle, il a finalement obtenu que se tienne un rassemblement, beaucoup plus impressionnant qu'une simple réunion, sur la place du Panthéon où Stéphane Hessel, coiffé d'un bonnet phrygien, a reçu une ovation.

Mais je ne pense pas qu'on ira jusqu'à rendre hommage à monsieur Richard Prasquier pour avoir "réagi sans ambiguïté".

5 commentaires:

emcee a dit…

Que le président d'une association cultuelle sectaire cherche à faire annuler une réunion qui ne lui convient pas, après tout, on peut se dire qu'il est dans son rôle et agit, je suppose, selon les souhaits de ses adhérents.

Mais ce qui est scandaleux, dans cette affaire, c'est que
1) la directrice de l'ENS, qui avait préalablement accepté (en connaissance de cause, il faut espérer pour la "vénérable" institution qu'elle dirige) la tenue de cette réunion décide brusquement de l'annuler à la suite de pressions extérieures, quasiment au dernier moment, interdisant, ainsi, aux organisateurs de trouver une autre salle dans un délai raisonnable;
2) et surtout qu'une ministre de la république laïque et un recteur, censés être garants de la Constitution et, par là-même de la liberté d'expression, obtempèrent aux diktats d'une association qui se réclame d'un culte religieux.

Il faut dire que UMPS et autres se pressent volontiers aux dîners de cette association quand ils y ont convoqués.
Et les ministres y prononcent même des discours de politique intérieure qui n'ont rien à faire dans cette enceinte privée.

Quand on s'assoit constamment sur ses devoirs, une entorse de plus ou de moins ...

Marianne a dit…

Il y avait foule place du Panthéon ,je ne sais pas évaluer mais plus que dans une salle de l'ENS .
Les interventions furent intéressantes et fortes mais nullement haineuses , peu de relais dans la presse . A qui la faute ou le sujet n'intéresse pas .

Eve a dit…

Cette histoire dont j'entends parler depuis quelque jours a en effet quelque chose d'aberrant (c'est un scandalll comme disait Georges), déjà pour les points que Emcee souligne, et s'il est vrai comme le dit Marianne, je ne sais pas je boude les grands médias ces temps ci, qu'il n'y a pas relai de ce qui s'est passé au Panthéon dans ceux -ci, si en premier lieu je m'afflige, dans un deuxième temps je nourri le rêve que les choses deviennent enfin tout à fait clair pour beaucoup de gens: nous n'avons rien à voir avec ce que dit et fait ce pouvoir (abusif) et cela ne nous représente pas / les grands médias ne véhiculent pas l'information qui nous importe. Que le divorce soit consommé comme on dit. Et que, partant...

Marianne a dit…

Aujourd'hui dans Libé , rebonds , Prasquier justifie sa non intervention dans l'annulation du débat .
Quand à la pénalisation des auteurs de l'appel à boycott de certains produits d'origine israélienne , j'ai découvert que l'on pouvait ,lors de ce rassemblement , être poursuivi !
Je n'ai pas cherché d'exemples mais il me semble que ce moyen a souvent été utilisé par les gouvernements eux mêmes .

Guy M. a dit…

@ emcee,

Cette affaire est bien exemplaire des méthodes pour le moins curieuses du Crif lorsqu'il se trouve "à la manœuvre", ainsi que du régime d'exception (dînatoire ?) dont il bénéficie de la part de la classe politique de tous bords...

@ Marianne,

L'essentiel est que le rassemblement ait pu se tenir, et surtout qu'il ait été autorisé ou toléré (il faudrait savoir cela, mais je n'ai pas le loisir de chercher) par la préfecture. Les rodomontades du président du Crif sur la stricte légalité se trouvent ainsi un peu dégonflées. Son "rebond" en reculade (http://www.liberation.fr/monde/01012314985-m-hessel-est-obsede-par-israel) est assez pathétique...

@ Eve,

Dans Mediapart, se trouve reproduite une lettre de Dominique Vidal au pdg de l'afp. C'est intitulé "Hessel : festival d'erreurs de l'AFP", et on y voit bien, en se penchant un peu, à quel point les informations données par l'agence ont été contaminées par la pris de position de R. Prasquier.

C'est à l'adresse:
http://www.mediapart.fr/club/edition/les-invites-de-mediapart/article/190111/hessel-festival-derreurs-de-lafp