De la certitude, le dernier ensemble de notes laissé par Ludwig Wittgenstein, s'ouvre sur ces mots :
"Si tu sais que c'est là une main, alors nous t'accordons tout le reste."
Aussi savantes que la première édition du texte, les deux traductions dont je dispose(1) renvoient, par une note insérée au milieu de la phrase, à G.E. Moore,"Proof of an External World" in Proceedings of the British Academy, vol. XXV, 1939, et "Defence of Common Sense", in Contemporary British Phiolosophy, 2nd Series, Ed. J.H. Muirhead, 1925.
A chaque relecture, bien loin de me lancer sur les sentiers escarpés de la réflexion logico-philosophique, cet incipit me tient longtemps comme suspendu au bord de cet ineffable dont on ne peut parler et qu'il faudrait taire.
Mais y faire seulement allusion, c'est déjà troubler le silence, et il faudrait être poète pour tenter de poser quelques mots au bord de ce chemin-là... (2)
Inutile donc de chercher à dire pourquoi cette phrase m'a accompagné lorsque j'ai pu voir, au mois de mai dernier, les banderoles de Carole Achache exposées dans le hall d'entrée de la Maison des Sciences de l'Homme, boulevard Raspail.
Pour moi, cela s'imposait.
Comme s'est imposé pour Carole Achache, de vouloir témoigner des énormes difficultés que rencontrent les personnes sans papiers qu'elle aidait dans leurs démarches à la permanence R.E.S.F. du onzième arrondissement de Paris.
"Au fur et à mesure des semaines, j'arrivais avec mon appareil photo, et je leur demandais de les photographier et de photographier leurs mains".
Elle ajoute :
"Les mains parlent, les mains ont quelque chose à dire".
Chaque photographie exposée est accompagnée d'une courte légende, quelques notes rapides et fragmentaires pour marquer le passage de quelques vies, parmi des milliers, dans l'espace de notre égoïsme quotidien.
Il est en France depuis 1989. Il travaille et paie ses impôts. Il n'a jamais pu être régularisé. Il vient pour son fils qui va bientôt avoir 18 ans.
Là-bas, elle travaillait depuis ses 10 ans. Elle y a perdu deux doigts. Ici, elle continue d'être exploitée alors qu'elle est toujours mineure.
Deux enfants. Elle en attend un troisième. Il y a dix mois, elle a déposé un recours contre un arrêté de reconduite à la frontière. Toujours pas de réponse. Elle voudrait savoir si c'est grave.
Sa maman et son papa ont reçu un arrêté de reconduite à la frontière. Elle traduit dans un français impeccable tout ce que j'explique à son père. Dès que c'est terminé, elle éclate de rire.
Les images se devaient d'être respectueuses et pudiques, et elles le sont. Chacune, insérée dans une série, y garde sa présence, superbement soulignée par le choix du cadrage et la qualité de la lumière. Et ensemble, elles nous interrogent sur ce peu qui leur est accordé.
(1) Assavoir, la traduction qu'en a faite Jacques Fauve, pour les éditions Gallimard (Les Essais, 1965), reprise dans la collection de poche Idées/Gallimard en 1976, et la traduction plus récente de Danièle Moyal-Sharrock, toujours pour Gallimard, mais dans la collection Bibliothèque de philosophie, en 2006.
(2) Je n'oublie pas que ce fragment de Wittgenstein est l'un des motifs utilisés par Jacques Roubaud dans la composition de Quelque chose noir, qui marquait son retour à la parole poétique après la mort d'Alix-Cléo Roubaud (éditions Gallimard, 1986, repris en collection Poésie en 2001). Le Journal (1979-1983) d'Alix-Cléo Roubaud a fait l'objet, en 2009, d'une nouvelle édition augmentée au éditions du Seuil, dans la collection Fiction & Cie.
Complément:
La première exposition des photographies de Carole Achache, Au fil des semaines auprès des sans-papiers, a été inaugurée fin mars 2009 à la mairie du XIe arrondissement de Paris, et avait été signalée sur le site du RESF et sur le blogue Hexagone. Un diaporama avait alors été mis en ligne sur le site de Mediapart, il est toujours en place...
Les banderoles sont actuellement visibles, et jusqu'au 28 janvier, dans le hall d'entrée de la mairie du XXe arrondissement parisien. Leur présence est associée au parrainage républicain qui doit avoir lieu le 26.
2 commentaires:
Billet transmis à l'intéressée...
Bise, Monsieur Guy.
J'espère ne pas avoir dit trop de bêtises, alors...
Bises, madame Dominique.
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