Je n'ai pas noté à quel moment j'ai entendu pour la première fois cette expression de "scénario à la grecque", mais elle a été reprise plusieurs fois par divers commentateurs et divers politiques, tous unis par une pétoche inavouable: "et si cela se propageait ?"
Pensez donc, au moment des "fêtes" !
Malgré l'œuvre cinématographique admirable de plusieurs réalisateurs grecs, la Grèce est surtout le berceau de la tragédie, et je me demande si l'on peut réduire une tragédie à un scénario, ou même à une scénographie.
Depuis deux jours, nos journaux doivent trouver qu'il y a des "longueurs" dans le scénario à la grecque, puisque les informations sur ce qui se passe à Athènes et ailleurs deviennent de plus en plus rares. Nos médias sont lassés...
Alors que le mouvement des occupations des universités, des lycées, des écoles, des mairies (et même d'une église) allait en s'affermissant, on pouvait lire des brèves affirmant qu'après une "nouvelle nuit de violence", il restait "encore" plus de 700 lycées occupés, personne n'ayant envie de dire qu'il y en avait plus que la veille...
Sur l'occupation de l'Ecole Polytechnique d'Exarchia, il est préférable de lire les billets réguliers du blogue Emeutes et Amour qui semble posté de l'intérieur et propose un certain nombre de traductions de textes et de déclarations (que le Jura Libertaire inclut dans sa riche revue de presse).
Comme je préfère les dialogues aux scénarios, je copicolle ici deux textes en écho.
Le premier a été distribué par les amis d'Alexandros, le 10 décembre 2008, jour des funérailles. Il est reproduit tel qu'il est publié sur Emeutes et Amour.
Nous voulons un monde meilleur.
Aidez-nous.
Nous ne sommes pas des terroristes, des « cagoulés », des « connus-inconnus » .
NOUS SOMMES VOS ENFANTS.
Ces « connus-inconnus » …
Nous avons des rêves. Ne tuez pas nos rêves.
Nous avons de l’élan. Ne stoppez pas notre élan.
SOUVENEZ-VOUS.
Un temps, vous étiez jeunes aussi.
Maintenant vous cherchez de l’argent, vous n’êtes intéressés qu’à la vitrine, vous avez pris du poids, vous avez perdu vos cheveux.
ET VOUS AVEZ OUBLIE.
Nous attendions votre soutien.
Nous attendions votre attention, nous pensions que nous allions être fiers de vous - pour une fois.
EN VAIN.
Vous vivez des vies fausses, la tête penchée, vous êtes aliénés, rendus au système…
Vous avez jeté l’éponge et vous attendez le jour de votre mort.
Vous n’avez plus d’imagination, vous ne tombez plus amoureux, vous ne créez pas.
Vous vendez seulement et vous achetez.
De la marchandise partout.
L’AMOUR ET LA VERITE ? NULLE PART.
Où sont les parents ?
Où sont les artistes ?
Pourquoi ne sortent-ils pas dans les rues ?
AIDEZ NOUS, NOUS LES ENFANTS.
P.S. Arrêtez les bombes lacrymogènes. NOUS, nous pleurons tout-seuls.
Affiche de Nassos K.
"Un gamin de 15 ans tué par un flic,
et ils n'ont d'attention qu'à leur fric."
"Un gamin de 15 ans tué par un flic,
et ils n'ont d'attention qu'à leur fric."
Sur le même blogue, cette lettre de travailleurs d'Athènes, qui a été publiée sur Infoshop News le 17 décembre.
Notre différence d’âge et l’éloignement rendent difficile la discussion dans la rue; c’est pourquoi nous vous envoyons cette lettre.
La plupart d’entre nous ne sont pas (pour l’instant) devenus chauves ou bedonnants. Nous avons fait partie du mouvement de 1990-1991, dont vous avez dû entendre parler. A l’époque et alors que nous occupions nos écoles depuis 30/35 jours, les fascistes tuèrent un enseignant parce qu’il avait outrepassé son rôle (qui est d’être un gardien) et qu’il avait rejoint le mouvement adverse; il nous avait rejoint dans notre combat. Alors même les plus forts d’entre nous rejoignirent la rue et ses émeutes. Pourtant, à l’époque, nous n’envisagions même pas ce que vous faites si facilement aujourd’hui : attaquer les commissariats (bien que nous chantions : “Brûlons les commissariats !”…).
Vous avez donc été plus loin que nous, comme il arrive toujours au cours de l’histoire. Bien sûr, les conditions sont différentes. Dans les années 90, ils nous firent miroiter des perspectives de succès personnel et certains d’entre nous y crûrent. Maintenant plus personne ne peut croire leurs contes de fées. Vos grands frères nous l’ont prouvé durant le mouvement étudiant 2006/2007; à votre tour, vous leur redégueulez en pleine face leurs contes de fées.
Jusqu’ici tout va bien.
Maintenant les questions intéressantes mais difficiles vont apparaître.
Nous allons vous dire ce que nous avons appris de nos combats et de nos défaites (parce qu’aussi longtemps que ce monde ne sera pas le nôtre, nous serons toujours les vaincus) et vous pourrez vous servir comme vous le souhaitez de ce que nous avons appris :
Ne restez pas seuls; faites appel à nous ; contactez autant de personnes que possible. Nous ne savons pas comment vous pouvez le faire, mais vous y arriverez certainement. Vous avez déjà occupé vos écoles et vous nous dites que la raison la plus importante est que vous n’aimez pas vos écoles. Impeccable. Maintenant que vous les occupez, changez leur rôle. Partagez vos occupations de bâtiments avec d’autres personnes. Faites que vos écoles soient les premiers bâtiments à accueillir de nouvelles relations. Leur arme la plus puissante est de nous diviser. De la même façon que vous n’avez pas peur d’attaquer leurs commissariats parce que vous êtes ensemble, n’ayez pas peur de nous appeler pour que nous changions nos vies tous ensemble.
N’écoutez aucune organisation politique (qu’elle soit anarchiste ou n’importe quoi d’autre) Faites ce que vous avez besoin de faire. Faites confiance aux gens, pas aux idées et aux schémas abstraits. Ayez confiance en vos relations directes avec les gens. Ne les écoutez pas quand ils vous disent que votre combat n’a pas de contenu politique et qu’il devrait en avoir un. Votre combat est le contenu. Vous n’avez que votre combat et il ne tient qu’à vous seuls de conserver son avance. C’est seulement votre combat qui peut changer votre vie, à savoir vous-même et vos vraies relations avec vos camarades.
N’ayez pas peur de la nouveauté. Chacun de nous en vieillissant a des idées gravées dans le cerveau. Vous aussi, bien que vous soyez jeunes. N’oubliez pas l’importance de cela. En 1991, nous avons senti l’odeur du nouveau monde et ne l’avons pas trouvé très agréable. On nous apprenait qu’il y a des limites à ne pas dépasser. N’ayons pas peur des destructions d’infrastructures. N’ayons pas peur des vols dans les supermarchés. Nous avons produit tout cela, c’est à nous. Comme nous dans le passé, vous avez été élevés pour produire des choses qui ensuite ne vous appartiennent plus. Reprenons tout cela et partageons-le. Comme nous partageons nos amis et notre amour parmi nous.
Nous nous excusons d’écrire cette lettre rapidement, mais nous l’avons écrite sur notre lieu de travail, à l’insu de notre patron. Nous sommes prisonniers du travail comme vous l’êtes de l’école.
Nous allons maintenant mentir à notre patron et quitter notre boulot sous un faux prétexte, pour vous rejoindre à Syntagma, les pierres à la main.
Jusqu'ici, tout va bien. Les nuits d'Athènes sont à Alexandros...
Et à ceux qui n'oublient pas.
2 commentaires:
c'est si beau, ces paroles qui viennent de l'élan, du mouvement, de l'instant présent... pas "parfait", pas complètement pensé, pas policé, mais tellement vivant! cela donne envie de leur écrire, et de se mettre en route!
merci a vous de faire circuler ainsi les paroles, les émotions, les indignations...
revenez nous vite, vous nous manquez déjà!
DES EVENEMENTS EN GRECE
Ces émeutes, à distance, ont déjà fait reculer le pouvoir français sur ses minables réformes lycéennes, et peut-être d’autres encore. Les émeutiers grecs nous montrent ainsi une voie qui avait été cherchée lors de la contestation du CPE et ces dernières semaines (occupations de lycées et d’autres bâtiments, blocage de voies de communication et quelques bagnoles cramées), ils font mieux et refusent le dialogue truqué avec l’Etat et ses sbires. Ce n’est que lorsqu’il parle tout seul qu’un ministre peut évoquer « un dialogue serein » (les mots du ministre de l’éducation nationale il y a quelques jours). Ici, comme en Grèce, la discussion ne peut commencer que par la contestation en actes des forces répressives. Leur existence est déjà une insulte.
La liberté fait ses premiers pas quand on n’a plus à trembler devant des flics, des vidéo-surveillants et le fichage généralisé. Les lois sont faites pour nous apeurer, nous décourager et plus généralement nous interdire de faire quoi que ce soit. En Grèce la peur et la résignation changent de camp
(« Aujourd’hui, le peuple est en colère contre tout, contre la mort d’Alexis, contre la police, contre le gouvernement, contre les réformes… et nous, nous sommes le bouclier. (…) Je me demande si je ne serais pas mieux dans mon village, où je pourrais reprendre l’élevage des moutons et vivre tranquille. Surtout, je n’aurais plus ce sentiment de honte qui me ronge », un policier grec dans le Figaro du lundi 22 décembre 2008) :
L’INSURRECTION CONTINUE. Si elle prend partout, on ne l’arrêtera jamais. C’est pourquoi nos médias maintiennent ces évènements historiques à l’arrière-plan ou inventent des spécificités grecques (jeunesse mal payée, corruption, réformes qui ne promettent que le pire mais c’est partout que les ordures nous gouvernent). Insistons sur quelques points : il ne s’agit pas d’une révolte d’une partie de la jeunesse mais bien de toute une population, de gens sans revendications ni représentants, mais dont nous partageons certainement les intentions (disparitions de tous ceux qui parlent pour nous : partis, syndicats, experts, journalistes, associations…) et les dégoûts (le salariat et le monde misérable qu’il produit, ses congés forcés, l’éducation obligatoire pour s’y insérer, et autres « aides » de l’Etat quand on s’en éloigne).
En cette période de crise, comme d’habitude, nos dirigeants nous présentent de nombreuses solutions parmi lesquelles ne figure pas celle de se passer d’eux. Ce sont les mêmes qui nous volent nos meilleures années et celles qui suivent ; ils continuent.
Saisissons chaque occasion de rappeler la lutte exemplaire qui se déroule en Grèce. Diffusez ce texte, trouvez-en d’autres (récits de première main, vidéos sur internet, etc.), écrivez-en de meilleurs, partout, sur les murs, les affiches. Rassemblons-nous dans toutes les manifestations possibles, restons mobilisés. Répandons cette étrange épidémie dont nous n’avons rien à craindre, nous qui devons toujours travailler pour un monde qui nous empoisonne.
FAISONS MIEUX.
En région parisienne, le mardi 23 décembre 2008.
http://emeutes.wordpress.com
Enregistrer un commentaire