A l'approche de l'hiver, mon esprit, déjà bien lent, a une fâcheuse tendance à se mettre en hibernation...
Ainsi je viens seulement de découvrir le texte de Laurent Mucchielli (grâce à Pascal, que je remercie) intitulé Note statistique de (re)cadrage sur la délinquance des mineurs, pourtant publié dès le 26 novembre sur le site Claris et que vous pouvez télécharger en pdf.
Le Monde en avait parlé aussitôt. Et le Charançon y avait fait une allusion dans son billet du 28 novembre. Libération a en parlé hier.
Et moi, je débarque !
Laurent Mucchielli est sociologue, directeur de recherche au CNRS, ce qui suffit peut-être pour le disqualifier aux yeux de politiques comme monsieur Frédéric Lefebvre, mais pas aux miens. Il est l'un des fondateurs du groupe Claris, dont l'objectif affiché est, depuis 2002, de "clarifier le débat public sur la sécurité".
Sa note est rédigée dans cette direction et mérite bien d'être reprise et relayée au moment où le "bon sens" des conclusions de la Commission Varinard est proclamé par madame Dati.
Laurent Mucchielli rappelle d'abord dans quelle atmosphère fut installée ladite Commission:
Lors de l’installation de la Commission Varinard, un dossier de presse fut ainsi remis aux journalistes, comprenant une série de données statistiques . Ces dernières furent aussi projetées à travers un petit film montré à l’assistance et accompagné de messages chocs :
« La population de mineurs délinquants a augmenté de plus de 360 % en moins de 50 ans ».
« Alors que la délinquance des mineurs augmente, le nombre de condamnations stagne ».
« En 2006, plus de 57 000 mineurs ont été condamnés, dont plus de 700 pour des crimes ».
« A l’aube du 21è siècle, la délinquance se durcit : en moins de dix ans, les condamnations des mineurs ont cru de 150 % ».
« Les progressions les plus fortes sont constatées chez les moins de 13 ans.»
« La délinquance est plus jeune ».
« Cette délinquance des plus jeunes est un phénomène inquiétant ».
Le dossier de presse peut être téléchargé à partir de cette adresse sur le site du Ministère de la Justice.Ainsi, le débat est d'emblée lancé sur des statistiques largement diffusées.
Ce sont des statistiques relativement simples, du type descriptif. Comme leur nom l'indique, elles ne font que proposer une description d'un certain ensemble de données, à l'aide d'outils chiffrés (pourcentages divers, diagrammes, graphiques...)
Même dans un cas aussi élémentaire, il est nécessaire de préciser avec soin quel est l'ensemble des données...
C'est ce que fait Laurent Mucchielli dans un indispensable préambule méthodologique.
Les données dont nous pouvons disposer sont de sources policières ou judiciaires.
Deux statistiques proviennent de la police et de la gendarmerie: il s'agit de la statistique des "faits constatés" et de celle des "personnes mises en cause". Cette dernière indique si le mis en cause est majeur ou mineur.
Deux autres sont produites par l'institution judiciaire. Les parquets font le compte des affaires retenues, et les magistrats du siège font le compte des "personnes condamnées". Seule cette dernière statistique renseigne sur les tranches d'âge...
Si l'honnêteté intellectuelle était la chose du monde la plus également partagée, Laurent Mucchielli pourrait s'arrêter là: les données utilisées par les politiques peuvent fournir une description de l'activité de la police et de la justice, mais en aucun cas une description de l'état actuel de la délinquance dans la société.
Mais reconnaissons que le bon gros bon sens (qui, lui, est bien partagé) pourrait de rebiffer en prétendant que "oui, mais, quand même, on a là des indicateurs!" Certes, mon bon gros, mais il faudrait tester la pertinence de ces indicateurs et, pour cela, disposer de résultats d'enquêtes plus délicates à mener que les investigations policières...
Laurent Mucchielli a donc scruté d'un peu plus près les données fournies par les ministères de l'Intérieur et de la Justice. Il s'est aperçu que ces chiffres invalidaient bon nombre d'affirmations de madame Dati...
Je le soupçonne d'y avoir pris un malin plaisir, que j'ai partagé. Et je vous invite à en faire autant.
Autre malin plaisir, cette note de bas de page:
Rappelons que, toujours lors de l’émission de télévision du 16 octobre 2008, Mme Dati a déclaré : « je viens de rencontrer un mineur à l’EPM de Marseille, 190 délits, 52 fois condamné. Alors à un moment donné, il faut mettre un coup d’arrêt à cette délinquance. ». La journaliste spécialisée dans les questions judiciaires, Dominique Simonnot, a voulu vérifier auprès des services judiciaires de Marseille (magistrats, éducateurs de la PJJ, surveillants de prison) et elle en a conclut que ce mineur n’existait pas (D. Simonnot, « Un mineur 52 fois condamné par Dati », Le Canard enchaîné, 5 novembre 2008, p. 4).
Je me garderai bien de mettre en cause la bonne foi de madame Dati: je ne sais pas si cela relèverait de l'outrage ou de la diffamation.
4 commentaires:
Je ne voudrais surtout pas donner l'impression que je ne m'attache qu'aux détails (le truc, c'est que pour tout le reste du billet, je peux seulement dire : je suis tout d'accord), mais je viens de me taper un sacré barre de rire sur "
Et moi, je débarque ! (…) C'est une spécialité normande."
Désolé… :-)
Je n'ai pas pu me retenir de mettre un peu de couleur locale...
Je ne voudrais pas mettre en cause l'intégrité intellectuelle et morale de Rachida Dati mais... ce genre de déclarations me semble relever de la même stratégie mensongère que celle du "plaquiste" de Melun que Nicolas Sarkozy accusait d'avoir refusé un nombre incalculable de propositions d'emploi. Mensonge repris quelques jours plus tard à Orléans...
Sur Libé-Orléans, Mourad Guichard qui relatait l'affaire avait fait le parallèle avec un mensonge du même type utiisé par Reagan, s'agissant d'une assurée sociale qui aurait bénéficié, sous des identités multiples, d'un nombre incalculable d'aides sociales diverses... ce qui était tout aussi mensonger (l'histoire était rapportée par un article du Monde diplomatique avec lequel il faisait un lien.
Moralité de l'histoire : on nous bourre le mou !
Il y a parfois d'étonnants retours: comme le fameux "Joe the plumber" pour Obama...
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