mercredi 8 avril 2009

Métaphore et Métonymie sont sur un vélo

J'avais oublié de vous dire que j'ai cru voir passer, assez tôt hier matin, trois hirondelles dans le ciel, derrière les branches encore nues du hêtre et de l'érable.

On aime bien parler des premières hirondelles que l'on voit dans ma contrée.

Je me souviens des dernières hirondelles.
(image sur http://amicale-police-patrimoine.fr
)


Les agents cyclistes ont été inventés par le Préfet de Police Louis Lépine en 1896, et on a pu les voir sillonner les rues de la capitale jusqu'en 1984, date de l'extinction de l'espèce. Quelques uns de mes stricts contemporains pourront partager mes souvenirs. Quant à mes lecteurs/trices en bas-âge, je les supplie de ne pas confondre avec ces vététistes que l'on voit débouler de nulle part pour bousculer les piétons et se la jouent en plaquant tout soudain contre un mur un passant anodin mais qui n'a pas la bonne couleur.

Les hirondelles étaient formés à l'école Pratique des Gardiens Cyclistes à leur tâches de surveillance et d'intervention. Ils effectuaient un travail d'îlotage nocturne. C'était une police de proximité. Ils ont laissé une image, peut-être usurpée, de maladresse et de bonhomie, et ont été bien servis en sarcasmes dans les nanards cinématographiques de la haute époque.

Fière allure, vraiment !
(image : http://amicale-police-patrimoine.fr
)

Il ne faudrait pas croire que leur dénomination d'hirondelle est une métaphore populaire évoquant leur pèlerine flottant au vent en leur donnant la silhouette d'un oiseau du printemps... Non. Le populaire, savez-vous, ne pratique pas la métaphore de façon si approximative, surtout s'il s'agit de se moquer un peu. Dans ce cas, le populaire a utilisé une métonymie, qu'il pratique également volontiers, car les bicyclettes des hirondelles étaient, du moins à l'origine, de marque Hirondelle, de la célèbre et regrettée Manufacture d'Armes et Cycles de Saint-Etienne.

Je me souviens aussi de Manufrance.

A l'époque de ma lointaine jeunesse parisienne, un magnifique demi-course de marque Motobécane me permettait de faire face à tous mes déplacements, et ma relative bonne santé me permettait, chaque matin, de faire face à l'ascension (en retard, toujours en retard) de la rue Saint Jacques sur le grand plateau pour rejoindre, à Luxembourg, la ligne de Sceaux qui me menait au campus d'Orsay. Mais j'ai failli mourir quand j'ai gravi pour la première fois la rue de Ménilmontant.

Mon vélo n'avait ni dynamo, ni éclairage, par conséquent, et j'y suppléais en accrochant à mon bras gauche, ou à ma jambe gauche quand je ne trouvais pas mon bras, une loupiote qui pouvait suffire à signaler ma présence pédalante aux automobilistes distraits. Cette lampe consommait beaucoup de piles, et je ne les remplaçais pas toujours.

Une nuit, je me suis fait coincer par deux flics placés en faction devant un feu tricolore. Comme la police en tenue manque parfois de tenue, ils m'obligèrent à dégonfler moi-même les deux pneus avant de me laisser repartir.

J'ai jamais accepté d'avoir cédé, ou d'avoir eu à le faire.

Le rapport de force ne m'était guère favorable et on m'imposait de l'admettre en participant à mon humiliation. En neuf ans d'internat d'école privée, j'avais eu à subir un sérieux apprentissage de la soumission, j'avais bien senti le poids des tables de la loi et des recueils de règlements, mais ce fut à cette occasion que j'ai pris conscience que pour étouffer toute liberté et tout désir de liberté, le pouvoir avait besoin de cet aiguillon de l'humiliation et que c'était là le poinçon utilisé pour inscrire en nos esprits la lettre de la loi.



PS: Cette volonté d'humiliation, je l'ai pressentie en apprenant les difficultés de communication entre les organisateurs du contre-sommet de Strasbourg et les autorités, elle s'est confirmée dans le parcours imposé à la manifestation du samedi, et je la retrouve dans bien des témoignages de terrain, chez les manifestants obligés de "se rendre" en levant les bras pour sortir d'une nasse, ou de se défaire de leurs badges, insignes, drapeaux et banderoles pour passer...

Il me semble savoir ce que cela coûte...

Alors, je n'ai pas envie de dire "c'est rien, c'est rien..."

Je sais bien que ce n'est pas rien.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Très bel hommage à ceux qui ont franchi les barrages de CRS les mains en l'air...

Guy M. a dit…

Merci pour le lien.

JBB a dit…

Tout d'accord : très joli texte.

(Les mains en l'air ou le poing levé, la nuance est d'importance. J'ai eu cette même impression que toi, celle d'une humiliation, en voyant les gens passer ainsi entre les barrages de CRS. Note - quand même - que ce n'était pas non plus indispensable : de même qu'on pouvait garder son foulard ou son keffieh (mais pas sa cagoule, hein…), on n'avait pas besoin de lever les mains pour passer les filtres. C'était d'ailleurs un brin énervant de voir les gens le faire quand même.)

Guy M. a dit…

T'es trop gentil, JBB, je te l'ai déjà dit, ça te perdras...

(On n'est jamais sûr qu'objectivement il fallait céder, cela fait partie de ce sentiment de défaite que l'on ressent, mais qui peut aussi construire des révoltes durables.)

Dominique a dit…

Il y a cependant une attestation de Balzac (1837) qui évoque des "hirondelles de la grève" pour parler d'agents de police (cf. DHLF). C'est cinquante ans avant la naissance de la marque Hirondelle et du vélo tel qu'on l'entend, reprise alors par la Manufacture des Armes, etc. Comme pour beaucoup d'expressions populaires, on peut penser qu'il y a eu croisement de sens ou contamination par surmotivation (les autres sens d'hirondelle étant avant aussi religieuse, marchand de marron, ramoneur). Un sens marginal s'impose parce qu'il reçoit une autre origine moins ironique (d'ailleurs, c'est le sens métonymique qui est mis en avant par les sites poulagas au nom du progrès de la police et pas le sens métaphorique plus moqueur). Moi, je continuerai encore de me méfier de la police et de ses sources qui semblent si sûres d'elles...

Guy M. a dit…

C'est un grand plaisir pour moi d'avoir suscité un commentaire d'une telle érudition souriante... Même s'il affecte quelque peu l'image que je gardais du bon maître qui m'avait enseigné l'essentielle distinction entre métaphore et métonymie sur cet exemple.

Mais il en va sans doute des sources religieuses comme des sources policières...

Marianne a dit…

Et si grâce à cette " humiliation relative" vous êtes en vie aujourd'hui ? cela nous permet de lire un beau billet bien illustré. Je ne suis pas certaine que la police demandait aux manifestants anti OTAN de Strasbourg de lever les mains !
La ou je ressens une humiliation évidente par personne interposée , c'est l'attitude de Barack Obama lorsqu'il passe devant Sarkozy sans le saluer à Londres au moment de la photo et devant les autres chefs d'état . A mon grand désespoir Sarkozy me représente .

JBB a dit…

"Et si grâce à cette 'humiliation relative' vous êtes en vie aujourd'hui ?"

Là, c'est différent :-) (Mais en ce qui nous concerne, je veux dire mes quelques camarades et moi, il n'était pas question de lever les mains. Faut pas déconner non plus…)

"T'es trop gentil, JBB, je te l'ai déjà dit, ça te perdras..."

N'écris pas des choses comme ça : j'ai une image de gros méchant à travailler, moi… :-)

Flo Py a dit…

"J'ai une image de gros méchant à travailler, moi..."
Mouarf ! Ben y a du boulot !

Je t'envoie une bise, JBB (et une pour le taulier aussi parce que tout de même, ce sont des choses qui s'font).

Guy M. a dit…

@ Marianne,

Mon crâne et mon fémur étaient encore bien solides à l'époque, donc je crois que je serais encore en vie, et adossé à la même révolte, si j'avais refusé d'optempérer.

En ce qui concerne Obama versus Sarkozy, je suis assez indifférent aux poignées de mains des grands de ce monde, et je considère que Sarko ne représente en rien la France. Ses déclarations à propos de la Princesse de Clèves offense davantage ce que je considère comme français en moi...

@ JBB,

Oh! mais je sais bien que tu cultives cette image, et qu'elle te va bien.

@ Flo Py,

Merci pour cette bise.