dimanche 5 avril 2009

Le chagrin et le néant

Monsieur Duconot, critique littéraire hebdomadaire au Bar-du-commerce-journal, aime bien dire que l'on ne fait pas de bonne littérature avec des bons sentiments. Selon les semaines et la direction du vent, il attribue cet adage à André Gide ou à Henri Jeanson. Les lecteurs assidus de dictionnaires de citations sauront bien s'y retrouver.

Cela n'est pas très important, car, si l'on peut dire que les mauvais sentiment n'améliorent pas vraiment la qualité littéraire, il faudrait surtout persuader monsieur Duconot que l'on ne fait pas de littérature, bonne ou mauvaise, avec des sentiments, on fait surtout de la littérature avec des mots.

Quelle que soit la nécessité intérieure (que monsieur Duconot appelle "sentiment") qui vous y pousse, il s'agit avant tout de poser sur le papier, ou sur l'écran, les mots qui doivent y être, dans l'agencement que l'on juge qu'ils doivent avoir.

Marie Cosnay vient de faire ce travail qui consiste à recueillir les mots des autres, les poser sur la page et faire de ces pages un livre intitulé Entre chagrin et néant (Editions Laurence Teper).

Les "autres" en question sont les sans-papiers qu'elle a accompagnés chaque semaine au Tribunal de Grande Instance de Bayonne, en tant que membre de la Cimade.

A ma prochaine visite chez l'un de mes fournisseurs agréés, je me procurerai ce livre.

Marie Cosnay, mars 2008.
Photographie de Olivier Roller.

Ce n'est pas légèreté de ma part de parler d'un livre avant de l'avoir lu...

Je connaissais Marie Cosnay pour sa contribution à Il me sera difficile de venir te voir (Editions Vents d'ailleurs, 2008), qui regroupe des correspondances littéraires sur la politique française d'immigration. Le dernier numéro du Matricule des Anges, qui lui consacre son dossier du mois, m'a permis de faire plus ample connaissance avec elle.

Les anges du Matricule sont de grands lecteurs, d'excellents critiques, mais ils n'ont strictement aucun talent dans le publi-rédactionnel. Alors je leur fais confiance, et cela fait maintenant des années que je n'ai pas à m'en plaindre.

Thierry Guichard a rencontré Marie Cosnay. Il en dresse un portrait intelligent et sensible, comme il sait si bien faire. Il retranscrit un entretien vif, direct, profond, amusant, avec Marie Cosnay...

Je suis sorti de ces lectures avec la certitude que je devais lire ce livre, et puis les autres aussi.

Photographie de Carole Achache
tirée de son exposition
Au fil des semaines auprès des sans-papiers
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Bien sûr, monsieur Duconot, s'il me lisait, m'accuserait de me faire avoir par une opération promotionnelle aux sentiments.

Je pourrais toujours tenter de lui faire lire la critique de Thierry Guichard, qui après avoir parlé de Noces de Mantoue, qui parait chez le même éditeur, écrit:

Entre chagrin et pitié progresse à l'opposé dans un dénuement rhétorique. Il s'agit ici de porter témoignage des comparutions d'étrangers sans papiers auxquelles l'écrivain a assisté chaque semaine, entre mai et octobre 2008, au Tribunal de Grande Instance de Bayonne. Dire ce qu'elle y a vu, ce qu'elle y a entendu et les interroga­tions qui naissent d'un présent qui nous marque, nous Français, d'un sceau honteux. Pour ce fai­re, la romancière s'est effacée (mais pas totale­ment) pour porter sa voix au plus près de ces destins aux récits impossibles. Des portraits nous sont donnés, emplis d'une humanité qui in­dique à quel point cet autre qu'on brise nous ressemble. On sort de ce livre avec une envie de crier, en même temps, et c'est son paradoxe, qu'on éprouve une sorte de joie ou de plaisir à avoir rencontré un moment vrai de notre époque. La question de la langue y est primor­diale (...). "Il faudrait des compétences exceptionnelles et partagées pour analyser, à partir du vocabulaire et de ses minuscules glisse­ments, comment une société (dont on entend les représentants, car ils ont la parole) devient peu à peu, d'escalade en escalade, raciste et dangereu­se." Ce livre le montre assez bien même si Ma­rie Cosnay ne se pose pas en philosophe ou so­ciologue mais seulement en témoin. Un témoin qui sait voir dans l'autre la part de nous tous.

Mais je sais bien que monsieur Duconot ne me lit pas.

Monsieur Duconot a toujours tort.

Photographie de Carole Achache
tirée de son exposition
Au fil des semaines auprès des sans-papiers.


PS: J'ai pris la liberté de rapprocher le travail d'écriture de Marie Cosnay et le projet photographique de Carole Achache:

Depuis le mois de septembre 2006, je vais tous les mardis à la permanence de R.E.S.F. du onzième arrondissement. Tout en aidant les sans papiers, je voulais témoigner des énormes difficultés qu’ils rencontrent. J’ai photographié leurs mains et les milliers papiers qu’ils doivent rassembler. Sous chaque image, une phrase résume la situation de la personne. Aujourd’hui, ce sont deux banderoles de douze mètres que je mets à disposition de toutes les collectivités qui souhaitent prendre mon relais.

On peut voir un diaporama ici.

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