Tous les bons spécialistes de la question vous diront qu'une garde à vue réussie démarre avec un individu présumé innocent et se termine avec un mis en examen, c'est-à-dire un individu un peu moins présumé innocent.
C'est la théorie.
Autant être au courant, puisque selon un excellent article du journal Le Monde:
En 2008, 577 816 personnes, résidantes en France et âgées de plus de 13 ans, ont ainsi entendu un officier de police judiciaire leur notifier leurs droits : "Vous êtes en garde à vue. Vous pouvez appeler un membre de votre famille et demander à voir un avocat." Le nombre des gardés à vue ne cesse de croître. Il a enregistré une hausse de près de 55 % en huit ans. Au cours des douze derniers mois, c'est 1 % de la population qui a été placée sous ce régime de contrainte, pour lequel les policiers répondent d'objectifs de performance chiffrés.
Je ne sais pas si ces objectifs de performance chiffrés concernent un pourcentage de gardes à vue réussies au sens que je viens de dire.
Je ne sais pas non plus si la commission qui a fixé ces objectifs a prévu un pourcentage de pertes.
Mais les pertes en garde à vue, ce sont des choses qui arrivent.
Comme un juge d'instruction voulait en savoir plus sur la mort, en 2007, de Céleste, une fillette âgée de trois mois, qui aurait été victime du syndrome du "bébé secoué", les policiers rouennais ont convoqué son père, Christian, sa compagne et sa mère au commissariat central le mardi 7 avril. Ils n'ont pas dit pourquoi ils n'avaient pas convoqué le père, les frères et les sœurs, pendant qu'ils y étaient.
Peut-être par manque de personnel...
Le mercredi 8 avril, à 7 heures du matin, un policier trouva, au cours de sa ronde, que Christian dormait un peu trop profondément. Il était mort.
Le 10 avril, le journal local Paris-Normandie donnait l'information, avec cette conclusion:
L'autopsie du corps a lieu jeudi soir et démontre qu'aucun acte de violence n'a été commis. Pour autant elle ne détermine pas exactement les causes de la mort. Des analyses toxicologiques sont en cours.
Christian n'était donc pas décédé du syndrome du présumé innocent un peu trop secoué.
L'article plus copieux qui est publié le lendemain par le même Paris-Normandie donne des détails supplémentaires:
« Ce jour-là, je l'ai vu vers midi. Il était bouleversé, très nerveux, mais pas malade. Ce qui explique que les médecins lui ont donné des calmants », estime Me Drouet (l'avocat de Christian). Le suspect est donc examiné une 1re fois le matin, puis une 2e fois par le même médecin à 16 h 20 et enfin une 3e fois, par un autre praticien, à 23h20. « A chaque fois, ce médecin-légiste et ce praticien de SOS Médecins estiment que son état est compatible avec le régime de la garde à vue », précise le parquet, qui affirme aussi : Christian « a un profil de toxicomane ».
Un dernier article, paru le 14 avril, donne la parole à la famille de Christian et à ses amis.
On peut y lire entre les lignes beaucoup de choses sur ces gens inconnus rassemblés autour du corps de l'un des leurs qui n'aurait pas dû mourir...
Et on y apprend de Claude, le père de Christian, que la famille a enfin reçu, dix neuf mois après son décès, le permis d'inhumer de Céleste.
La justice sait avoir de ces délicatesses.
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