vendredi 10 avril 2009

Ce n'est qu'un débat

J'ai eu la chance d'enseigner une discipline en sous-effectif et, de plus, considérée comme assez peu en rapport avec la "citoyenneté", aussi ai-je été dispensé de l'animation de séquences d'ECJS (éducation civique, juridique et sociale) en complément de service. J'aurais eu beaucoup trop de difficultés à conserver la réserve réglementairement exigée et j'aurais dû faire d'aventureuses acrobaties sur les agrès de la restriction mentale pour détailler les avantages de la démocratie représentative dans sa version parlementaire.

Que dire, par exemple, du spectacle farcesque donné par nos représentants élus lors du vote rejetant (pour très peu de temps) l'adoption de la loi Hadopi ? Comment parler avec la neutralité bienveillante qui s'imposerait de cette scène de vaudeville interprétée par la quinzaine de députés d'opposition qui jouaient à cache-cache derrière un rideau rouge en attendant que le président somnolent décide d'un vote à main levée pour se présenter, la bouche en cœur et la gueule enfarinée, et repousser de quelques voix une loi mal ficelée ?

Et je n'évoque même pas les adoptions de lois iniques à trois heures du matin devant un hémicycle quasiment vide...

Comme ça...

Les délinquants solidaires n'ont eu aucun besoin de se cacher derrière un rideau. Ils se sont présentés par milliers, à visage découvert, devant les tribunaux de 80 villes de France, pour demander à être inculpés pour avoir aidé des personnes présumées sans papiers.

On a dû les photographier sous toutes les coutures pour alimenter les fichiers de travail du Ministère de l'Intérieur, mais on ne les a pas inculpés.

Monsieur Eric Besson leur a onctueusement fait savoir, en jouant lamentablement sur les mots, qu'il n'y avait pas de délit de solidarité.

"Le délit de solidarité est un mythe. La preuve : en soixante-cinq ans, personne n'a été condamné."

Les déclarations de monsieur Besson méritent-elles plus qu'un haussement d'épaule ?

Des délinquants qui ne se cachent même pas derrière leur banderole.
(Photo Ouest-France, on ne peut le cacher.)

Au nom d'une certaine conception de la démocratie du débat sans suite, monsieur Manuel Valls, député-maire d'Evry, avait invité le ministre de Notre Identité à participer aux "Rendez-vous de l'Ethique" (toujours sic) organisés dans sa ville. C'était lundi soir...

Au matin du mardi, j'ai été, comme tout le monde, pris en otage (c'est comme cela qu'on dit maintenant) par la grève des personnels de Radio France, et je n'ai pu que saisir quelques informations en captant, au petit malheur la malchance, quelques ineptes radios périphériques.

Cela m'a au moins permis d'apprendre que monsieur Besson avait été accueilli à Evry par des citoyens qui pratiquaient une culture du débat moins formelle et plus active que celle de monsieur le maire. J'ai entendu que la présence de ces démocrates réels avait empêché monsieur Besson de rejoindre la salle de réunion par la grande porte de l'hôtel de ville, et qu'on l'avait passer par derrière.

Je n'ai pas retrouvé cette anecdote dans les dépêches.

Sans vouloir débattre avec monsieur Manuel Valls, je crois qu'il serait difficile de l'amener à considérer que la démocratie réelle n'est pas tant affaires de débats à conduire que de combats à mener.

Et que ce serait une grande victoire pour la démocratie réelle que de réduire monsieur Besson à son vrai rôle: celui du transfuge de comédie introduit en toute discrétion en tout lieu, revêtu de sa grande cape couleur de muraille remontée jusqu'aux yeux...


PS: On trouvera d'autres nouvelles de la démocratie réelle qui se réveille sur Article XI.

2 commentaires:

stedransky a dit…

Je compatis ! J'ai connu l'an passé les dilemmes de l'enseignement de l'ECJS. Une des élèves, la meilleure ou presque, était sans papier et le lycée était derrière elle. Finalment, les cours ont trouvé un sens.

Guy M. a dit…

Heureusement, les élèves font parfois de la résistance au formatage.