dimanche 19 avril 2009

Appels à la révolte

Un assez récent chef-d'œuvre du ridicule politico-culturel, dont le Figaro, et quelques autres, ont fait leur spécialité, était intitulé Ces intellectuels et artistes qui appellent à la révolte, et signé de Blaise de Chabalier et Olivier Nuc, intellectuels dont je ne connais pas la pointure.

Il faut bien sûr entendre "appel à la révolte" au sens du Figaro, qui préfère les intellectuels et les artistes qui demandent l'autorisation de marcher dans les clous...

L'article était illustré d'une photographie de Philippe Lioret et Vincent Lindon, réalisateur et acteur principal de Welcome, et chapeauté du paragraphe suivant:

Livres, chansons, films appellent à désobéir à la loi, à faire la révolution. Tout cela ne date pas d'hier, ce qui est nouveau, c'est leur diffusion à grande échelle.

Anéfé, tout est bien question d'échelle, au Figaro...

Une grande échelle à colorier,
gracieusement offerte aux rédacteurs du Figaro.


Nos attentifs et cultivés auteurs ne parlent pas de Entre chagrin et néant, Audiences d'étrangers, récent livre de Marie Cosnay aux éditions Laurence Teper.. Le technicien de surface de l'Escalier en avait parlé avant de le lire... On est sérieux au moins, au Figaro, mais on n'y reçoit peut-être pas le Matricule des Anges.

Maintenant que j'ai lu le livre de Marie Cosnay, je peux dire que j'aimerais bien qu'il bénéficie d'une "diffusion à grande échelle" et qu'il se trouve en "tête de gondoles" dans les grandes librairies, ou sur les tables d'ouvrages conseillés dans les bonnes librairies (où il y a surtout des livres et peu de gondoles).


Marie Cosnay emprunte son titre à la phrase finale de l'un des deux récits que Faulkner a entrelacés dans Si je t'oublie Jérusalem:

Entre le chagrin et le néant, je choisis le chagrin. Nathalie me rappelle au téléphone la fin de Si je t'oublie Jérusalem. Phrase souvenue, revenue – combien de fois choisir le chagrin à combien de chagrins sommes-nous capables de résister après combien de chagrins tomberons-nous défaits, mots en peine, défaits à leur tour, jusqu'à ce que plane au-dessus de nos crânes en attente, droits vers le ciel, le néant comme un chapeau. Alors soumis à la peur pure (nulle frontière nulle loi ni protection ni habitacle nul enclos), nous irons à mourir, durs et indifférents. Les chagrins nous préparent.

Si j'étais tombé par hasard sur ces quelques lignes dans un livre inconnu, je serais reparti avec ce livre, certain qu'il était de ma bibliothèque.

Marie Cosnay, photographiée par Olivier Roller.

La lecture que j'ai faite, dans la foulée, de ces deux beaux récits que sont Déplacements et André des ombres (éditions Laurence Teper, 2006 et 2007), m'a convaincu que Marie Cosnay est un authentique écrivain: quelqu'un qui pose avec sérieux la question du "comment dire ? comment raconter ?" et qui, avec sa sensibilité, son histoire, sa culture, cherche une réponse dans un travail sur la langue, les images, les mythes.

Cette question, on la retrouve dans les récits d'audiences d'étrangers au Tribunal de Grande Instance de Bayonne, auxquelles Marie Cosnay a assisté comme bénévole de la Cimade. A partir des notes qu'elle a prises et des souvenirs qu'elle a gardés, elle se livre à un précautionneux travail d'écriture, au ras des mots prononcés par les uns ou les autres, juge, "retenu", avocat, et de leurs attitudes.

Marie Cosnay donne un témoignage très fort de ce que sont ces audiences, dont la plupart sont purement formelles, où parfois même les avocats reconnaissent qu'il n'y a pas le choix, et où cependant s'élèvent des voix pour dénoncer l'absurde:

Vos lois, elles sont pas légales.

C'est la voix de Mehdi, chez qui, "en apprenant qu'un bateau, de Sète, le conduirait à Tanger", "la colère, devant la juge, l'emporta sur la politesse, la timidité."

Et après cela:

Quitter le tribunal chacun de son côté, Mehdi entouré par les policiers de la PAF, regard perdu, cherchant quelque chose, de l'aide. Marcher un peu avant de retrouver la voiture. Envie de crier transformée en crise de larmes sans sanglots, crise incessante, soirée, nuit.

Il est important pour nous, qui partageons cette envie de crier, que de tels livres paraissent.

Sur Sitaudis.com, Nicole Caligaris termine ainsi la chronique qu'elle consacre au livre de Marie Cosnay:

Ce livre existe pour l'histoire ; pour notre époque, il a la vertu de montrer comment se referment les mâchoires de la bêtise au pouvoir et de ré-affirmer que nous ne cesserons pas, ni les uns ni les autres, chacun selon sa juste façon, que nous ne cesserons pas d'écrire, que personne ne nous fera cesser d'écrire sur ce scandale des violences faites ici aux migrants.

Encore une intellectuelle qui appelle à la révolte, comme on dit au Figaro, où, il faut bien le reconnaître, on n'est guère attentif aux mots.

2 commentaires:

JBB a dit…

Honnêtement, je les comprends, les salariés de la feuille à Dassault. Des gens qui ont du talent et se comportent en êtres humains, c'est vraiment insupportable. Comme une preuve absolue que les gens de droite sont des crétins…

En tout cas, tu m'as donné envier de lire le livre. Merci.

Guy M. a dit…

Tu m'en vois ravi!

Ces gens qui ont du talent et qui "s'engagent" (d'une manière assez différente de celle d'avant ma jeunesse...) sont de plus en plus nombreux.