dimanche 1 février 2009
Manifestation tolérée
Même pour un observateur aussi attentif et avisé que je le suis, il n'est pas toujours facile de décrypter (comme on dit dans les gazettes) les intentions de madame la ministre de l'Intérieur et de monsieur le Préfet de police.
Je me demande bien ce qui a bien pu motiver l'autorisation qui a été donnée par le second aux diverses organisations et divers collectifs qui, en lien avec le Comité de soutien aux inculpés du 11 novembre, appelaient à manifester contre la politique prétendument anti-terroriste systématique initiée par la première...
Il est vrai que la rafle du samedi précédent, à Barbès, doit occuper suffisamment les petites mains de l'anti-terrorisme qui, on le sait bien, n'ont pas quatre bras, mais aimeraient bien.
Cependant, comme monsieur Sarkozy n'avait prévu aucune sortie dans une ville de province pour y adresser ses vœux à l'une ou l'autre des forces plus ou moins vives de la nation, nos casernes disposaient d'importantes réserves de forces brutes et policières, mais quand même... Monsieur le préfet de police a ainsi pu puiser largement dans ces ressources et faire étalage d'un contingent important de muscles à peu près frais, en état de frapper, au cas où...
On peut considérer que la manifestation fut seulement tolérée.
Cette tolérance a permis que se tienne une manifestation assez curieuse et, on peut l'espérer, prometteuse, en rassemblant, une fois n'est pas coutume, des groupes et des individus qui passent habituellement beaucoup de temps à se crêper les chevelures, à coups de grands principes, d'invectives diverses et de poings dans la gueule, éventuellement.
Ainsi que le signale un tract du Scalp (devenu, pour l'occasion, Section qui Craque des Allumettes dans La Poudrière):
Nous ne serons jamais assez reconnaissants du travail du gouvernement Sarkozy.
Marx rêvait de l’union de tous les prolétaires : notre gouvernement, lui, a unifié les anarchistes, les autonomes et l’ultra-gauche, niant tous les conflits idéologiques et pratiques qui divisaient la "mouvance"… Merci !
Oui ! Le problème de la diversité des tactiques a été résolu : que tu sois militant RESF, jeune banlieusard, épicier à Tarnac, artiste en free-party, militant antifasciste... Tes actes ont désormais la même valeur criminelle qu’un mitraillage massif de touristes dans un aéroport.
D'où sans doute cette grande diversité dans les rangs de la manifestation, que signale l'article de Rue89 ("ils" étaient là, en vrai!):
Pas mal de jeunes, dont quelques têtes déjà croisées du côté des autonomes au contre-sommet à Vichy, à l'automne. Beaucoup d'hommes. Mais aussi de vieux militants, anciens gauchistes et des "non encartés". Un éditeur parisien, un jeune journaliste venu en citoyen. La plupart motivés par l'enjeu des libertés publiques.
(Vous m'aurez reconnu: je ne suis ni "l'éditeur parisien" - j'en ai croisé un, il rigolait -, ni le "jeune journaliste" - j'en ai croisé un, mais ils parlent peut-être d'un autre, moins talentueux-, alors qui suis-je ?)
Quand le cortège s'avança dans la rue Gay-Lussac, j'estimai que la Préfecture de Police dénombrerait quelques cinq cents personnes... Je dois reconnaître que le service de communication de la PP m'a feinté en annonçant assez tôt (dépêche AFP, reprise à 18h 35 par le JDD) mille deux cents manifestants.
Pourquoi annoncer un chiffre dépassant le millier alors qu'il devait y avoir dans les deux mille cinq cents personnes ? La préfecture aurait-elle inventé une nouvelle méthode de calcul ?
Ou bien madame Alliot-Marie, qui estimait autrefois la mouvance "anarcho-autonome" à deux ou trois cents personnes, va-t-elle demander une rallonge pour la SDAT ?
D'après les participants, la manifestation s'est déroulée avec calme. Le seul moment délicat fut le passage à proximité de la prison de la Santé: face à face houleux entre la foule à main nue et les forces de l'ordre sous carapaces.
Ces incidents ont été signalés dans le premier communiqué répercuté par la presse.
Par exemple 20minutes.fr:
Des tirs de feu d'artifice à l'horizontale, des jets de projectiles et de fumigènes ont visé les CRS, qui maintenaient un important cordon, avec grilles et canon à eau, pour empêcher les manifestants de s'approcher de la prison, ont constaté des journalistes de l'AFP. Le cortège est arrivé sans autre incident vers 17h30 place Denfert-Rochereau (14e arrondissement), lieu prévu pour la dispersion.
Curieusement, les dépêches d'agence suivantes s'ouvrent sur ces incidents, et certains, comme le NouvelObs.fr, qui n'en rate pas une, les suit à la lettre, dans deux articles (comme si au Nouvel Obs on avait oublié ce qu'est le travail d'un journaliste).
Dans le premier:
Huit policiers ont été blessés samedi 31 janvier, dont deux ont dû être hospitalisés, et quinze personnes ont été interpellées lors de la manifestation à Paris contre les lois antiterroristes (...).
Dans le second:
Huit policiers ont été blessés et quinze personnes ont été interpellées samedi après-midi à Paris lors de la manifestation de soutien à Julien Coupat, présenté comme le chef d'une cellule soupçonnée de sabotages de caténaires SNCF, a-t-on appris de source policière. Deux fonctionnaires de police ont été hospitalisés.
(...)
Les forces de l'ordre ont essuyé des tirs de fusée et de fumigènes, et des jets de pierre. Les quinze manifestants qui appartiendraient pour certains à la mouvance dite anarchiste et anarcho-autonome, selon la police, ont été interpellés pour ces violences mais également pour outrage à agent de la force publique et détention de stupéfiants. Elles ont été placées en garde à vue.
On remarquera que la plupart des interpellations ont eu lieu dans le métro... et que par conséquent il est assez aventureux de les lier aussi directement aux incidents près de la prison.
Je dois signaler que j'ai échappé de peu à une arrestation pour "outrage à agent de la force publique".
Me trouvant en queue de cortège à regarder les copains et copines de la Brigade Activiste des Claounes, je me suis pas rendu compte qu'un cordon de CRS (ou de je ne sais quoi d'autre dans le genre crustacé à bouclier) s'avançait. J'ai eu le temps d'entendre "Poussez-vous, monsieur" et de faire un demi pas de côté, avant d'être bousculé par un demi bouclier. Le voussoiement et le "monsieur" m'avaient suffisamment surpris pour me couper le souffle, et je ne répondis pas, comme à mon habitude normande: "Ah bah, t'vas quand mêm' pas m'marcher d'ssus, mon gars!" Il y aurait eu outrage, je pense...
Je rends grâce au président Sarkozy, qui a tant insisté, quand il était encore ministre de l'Intérieur, sur la politesse que devaient montrer les forces de police avant de cogner...
Sans ses efforts pédagogiques, je serais peut-être en garde à vue, à l'heure actuelle. Et une garde à vue avec une fracture du col de fémur, ça ne doit pas être confortable.
PS: A lire ab-so-lu-ment: le billet de JBB, aka le Charançon Libéré, ainsi que les commentaires qui ajoutent des témoignages. C'est ça le journalisme, messieurs du NouvelObs !
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2 commentaires:
Pour le coup, tu vas définitivement me faire rougir… :-)
Mais comme toi, j'ai été assez surpris (ou pas, finalement, connaissant certaines pratiques journalistiques…) de tous ces articles de presse situant les pseudo-blessures des policiers et les interpellations devant le grand mur CRStique de la prison de la santé. Il eut suffi que l'un d'entre eux s'y rende pour vérifier qu'hormis quelques tirs de pétards, il ne s'y passait rien de très violent. Mais bon…
Nonon, ne rougis pas, mon opinion est très objectivement autocensurée, comme il se doit: je n'ai pas fait l'éloge des photos, pourtant très bien visées...
Quant aux incidents, devenus échauffourées... cela restera un mystère pour les témoins non assermentés.
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