Wendelin Werner est beaucoup moins connu du grand public que bien des virtuoses passant leur vie devant les caméras. Il est beaucoup moins connu que monsieur Sarkozy, par exemple.
Sa carrière cinématographique se réduit, à ma connaissance, à une apparition, en 1982, dans le film de Jacques Rouffio, La Passante du Sans-Souci, où il sert de doublure à Michel Piccoli qui n'a pas pris le risque de tenir le rôle du personnage de Max à 12 ans.
Pour le reste, une courte carrière de bon élève l'a conduit à une brillante carrière d'enseignant et de chercheur. Mathématicien professionnel, il a reçu, en 2006, la plus haute distinction dans ce domaine, la médaille Fields, et est membre de l'Académie des Sciences. On peut même le considérer comme l'un de ces «arbres» qui, selon monsieur Sarkozy dans son discours sur l'état de la recherche française du 22 janvier, cachent la médiocrité de la forêt de cerveaux français.
(Pardon pour le télescopage des métaphores, mais je ne fais que suivre les jalons posés par le Président.)
Wendelin Werner a publié hier, dans le journal Le Monde, une lettre ouverte au président Sarkozy, que celui-ci lira peut-être, s'il en trouve le temps...
C'est, dit-il, au nom de l'éthique de la responsabilité, que doivent partager le Savant et le Politique, selon Max Weber, que Wendelin Werner a décidé de s'adresser au président de la république.
Et il le fait en toute franchise:
Vous ne mesurez peut-être pas la défiance quasi unanime à votre égard qui s'installe dans notre communauté scientifique.
(...)
Votre discours du 22 janvier a, en l'espace de quelques minutes, réduit à néant la fragile confiance qui pouvait encore exister entre le milieu scientifique et le pouvoir politique.
Ce discours, qui a tant de mal à passer chez les chercheurs, est alors examiné avec une rigueur admirable, et nous pouvons comprendre pourquoi il ne passe pas:
(...) Votre discours contient des contrevérités flagrantes, des généralisations abusives, des simplifications outrancières, des effets de rhétorique douteux, qui laissent perplexe tout scientifique. Vous parlez de l'importance de l'évaluation, mais la manière dont vous arrivez à vos conclusions est précisément le type de raisonnement hâtif et tendancieux contre lequel tout scientifique et évaluateur rigoureux se doit de lutter.
Wendelin Werner indique le point sensible qui a été touché par ce discours:
Le peu de considération que vous semblez accorder aux valeurs du métier de scientifique, qui ne se réduisent pas à la caricature que vous en avez faite - compétition et appât du gain -, n'est pas fait pour inciter nos jeunes et brillants étudiants à s'engager dans cette voie. La ministre et vos conseillers nous assurent depuis plus d'un an que vous souhaitez authentiquement et sincèrement aider la recherche scientifique française. Mais vous n'y parviendrez pas en l'humiliant et en la touchant en son principe moteur : l'éthique scientifique.
La conclusion est celle de quelqu'un qui aimerait encore croire au dialogue:
Il est, pour moi, indispensable de recréer les conditions d'un véritable dialogue. L'organisation de la recherche et de l'enseignement supérieur est certes un chantier urgent mais, comme vous l'aviez noté il y a un an, il est d'une extrême complexité. Sa réforme demande de l'intelligence et de la sérénité. Il n'appartient qu'à vous de corriger le tir.
Intelligence et sérénité... n'est-ce pas beaucoup demander à monsieur Sarkozy ?
illustrant la page personnelle de Wendelin Werner.
Wendelin Werner a posté par ailleurs un courriel qu'il a reçu l'an dernier, et qu'il introduit ainsi:
Ci-dessous, sans commentaire (juste deux précisions : ce n’était pas un canular, et ma réponse a été négative), un mail émanant du ministère (j’ai juste enlevé les noms des personnes concernées) reçu le 31 octobre dernier (soit 15 jours avant la première réunion), au sujet de la mise en place de la stratégie nationale de recherche et d’innovation (maintenant fort connue suite au discours du 22 janvier dernier). Attention, restez concentrés pour comprendre les règles du jeu !
Le mail lui-même décrit un "exercice de stratégie" lancé par la ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur.
L’exercice a lieu en trois phases : Etape 1 : le comité de pilotage identifie les défis - cette étape s’est terminée le 24 octobre. La liste définitive des défis est en cours de finalisation au cabinet de la ministre. Etape 2 : Par défi, élaboration du rapport et mise en débat. De début novembre au 15 février. Une première réunion des deux groupes lance le travail. Cette réunion aura lieu entre le 12 et le 21 novembre. Le groupe d’experts se réunit trois fois en novembre et décembre pour élaborer le rapport. Le groupe étendu des parties prenantes le commente et fait propositions, en allers et retours avec le comité restreint en janvier et février. Etape 3 : production du rapport final, 1er mars.
Le reste du texte est de la même farine...
On voit par là que nous ne sommes pas les seuls à être pris pour des débiles...
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