samedi 20 novembre 2010

Philosophie républicaine à tous les étages

Malgré ma légendaire bonne volonté, j'ai du mal à me persuader que seul l'amour de la sagesse a conduit monsieur Luc Chatel, ministre de l'Éducation nationale de la jeunesse et de la vie associative, à parasiter l'écho qu'aurait pu avoir, sans lui, la Journée mondiale de la philosophie 2010, organisée par l'Unesco. Il y a un singulier manque d'éducation, nationale ou pas, à venir ainsi annoncer les dernières vagues idées de ses conseillers dans une réunion dont l'objectif est de "rassembler la communauté philosophique internationale et de stimuler la réflexion sur les problématiques contemporaines".

D'autant plus qu'au vu de son contenu, l'annonce aurait pu attendre au moins quelques jours.

La possibilité, pour les professeurs de philosophie, de prendre en charge l'enseignement de l'ECJS (éducation civique, juridique et sociale) dans les classes de seconde et première des séries générales, ne fait qu'étendre et officialiser ce qui se pratiquait déjà. J'ai vu, assez régulièrement, des collègues compléter de cette manière leur "service", afin d'effectuer la totalité de leurs "heures" dans un même établissement.

On saura gré, cependant, à monsieur Chatel de son amusant clin d'œil, quand il déclare, selon l'AFP, que "la République" se prête à l'approche philosophique.

Il n'a cependant pas précisé si la "traduction intégrale très particulière" de ladite République que promet Alain Badiou serait agréée par l'Éducation nationale.

Pas un mot non plus sur cet intéressant canapé Platon.

Les propos de monsieur Chatel ne souffrent pas, il est vrai, d'un excès de précision.

S'il annonce bien que, pour introduire la philosophie dans les classes de seconde et de première, le ministère mettra en place à la rentrée, dans les établissements volontaires, une expérimentation nationale, il reste très flou sur les modalités de cette expérimentation. Il me donne l'impression de rendre compte d'une discussion de "conseil d'enseignement" mené selon la technique éprouvée du "on pourrait faire ci, on pourrait faire ça".

D'une part au travers des "enseignements d'exploration" créés par la réforme du lycée (deux modules obligatoires au choix, tels "littérature et société", "images et langages" et "méthodes et pratiques scientifiques") ou lors d'"ateliers" organisés dans le cadre des deux heures hebdomadaires d'"accompagnement personnalisé".

Enfin, pour M. Chatel, les enseignants de philosophie doivent pouvoir "intervenir de manière ciblée au sein des cours d'autres disciplines". Par exemple, en physique-chimie, un prof de philo pourra "éclairer la portée philosophique" de l'étude de la structure et la matière, en abordant les notions "d'espace" ou de "relativité".

Suivi de la conclusion habituelle dans ce type de réunions parlotes:

Par ailleurs, le ministre donne "toute liberté aux équipes pour concevoir d'autres projets", sur la base du volontariat.

On ne précise pas, mais c'est sous-entendu, que si les volontaires étaient bénévoles, ou presque, cela serait parfait...

François Rude, Départ des volontaires de 1792 ,
communément appelé La Marseillaise.

L'effet des déclarations de monsieur Luc Chatel peut être estimé comme quasiment nul sur "la communauté philosophique internationale", et on peut le regretter.

En contrepartie, on peut observer que ses propositions ont aussitôt fourni un sujet de réflexion stimulant aux spécialistes nationaux des "problématiques contemporaines".

La dépêche de l'AFP nous fait part des réactions quasiment instantanées de monsieur Bernard-Henri Lévy ("Si c'est seulement un vague vernis donné aux élèves, ce serait absurde" car "la philosophie suppose un apprentissage") et de madame Elisabeth Roudinesco ("Si on veut réduire la philosophie à des sujets de société (...), si on veut dissoudre la philosophie dans des matières qui n'en sont pas, je ne suis pas d'accord").

Il suffisait d'attendre un peu pour connaître la position de monsieur Michel Onfray qui trouve qu'il s'agit là d'une "excellente initiative":

"Je me bats depuis longtemps pour que la philosophie soit enseignée dès la primaire. Je trouve que l'instaurer en seconde, c'est une excellente initiative, il faudrait ensuite le faire au collège, en primaire, en maternelle."

Et notre enthousiaste se porte presque volontaire:

"Bien sûr, il faut penser l'enseignement de la philo autrement. On ne fait pas de la philosophie en seconde comme en terminale. Il faudrait proposer aux enseignants de travailler de manière transversale avec des profs d'histoire, de sciences ou d'autres pour établir des thématiques, arrêter des œuvres", a poursuivi Michel Onfray. Il faudrait "surtout sortir de la confiscation de la philosophie par le cadre institutionnel et de la vision canonique de cette discipline", a ajouté le philosophe, qui a créé l'université populaire à Caen.

Il va peut-être réintégrer l'Éducation nationale...

Michel Onfray, philosophe hédoniste.


Beaucoup de philosophes médiatiques, ou qui aimeraient l'être, se sont précipités dans ce créneau propice.

Je ne les ai évidemment pas recensés...

J'ai noté la présence, parmi les intervenants sollicités par France-Soir, de madame Pascaline Dogliani, maître formatrice à l'IUFM de Melun et professeure des écoles, qui milite pour la pratique des "ateliers de philosophie" en classe maternelle, et dont l'expérience est le sujet du film de Jean-Pierre Pozzi et Pierre Barougier, Ce n’est qu’un début, sorti mercredi dernier:

"J’organise des ateliers philosophie avec mes élèves de maternelle. C’est un âge idéal car les enfants se questionnent sur la mort, l’amour… ils se posent des questions existentielles, mais aussi des questions sur tous les sujets qu’il faut apprendre à recevoir. Quand j’ai commencé les ateliers, en 2006, je ne savais pas trop ce que ça allait donner, puis j’ai pris conscience de leur beauté intellectuelle, de leur capacité à réfléchir. Le résultat est très positif : les élèves parlent mieux, ils apprennent à échanger leurs idées. Ils se construisent aussi, en développant un regard critique sur le monde qui les entoure. La terminale, c’est bien trop tard pour découvrir tout ça."

On peut s'étonner qu'une enseignante ait eu besoin de pratiquer des "ateliers philosophie avec [s]es élèves de maternelle" pour découvrir la "capacité à réfléchir" et la "beauté intellectuelle" des jeunes enfants qu'elle accueillait quotidiennement.

Mais on ne va pas lui dire que "c’est bien trop tard pour découvrir tout ça"...


PS: On pourra évaluer le "hors-sujet" de monsieur Chatel en consultant le programme très riche de la journée organisée à la maison de l'l'Unesco.

2 commentaires:

delphine a dit…

En même temps, il faut bien que quelqu'un leur dise que Freud c'est caca et que Sade ... et bien c'est caca aussi.

Guy M. a dit…

Et le plus tôt sera le mieux !