En définissant les ERS (établissements de réinsertion scolaire) comme le "maillon dans la chaîne de la réponse éducative" qui "manquait" très précisément "entre les classes relais et les centres éducatifs fermés", monsieur Luc Chatel, ancien-nouveau ministre de l'Éducation nationale, n'a pas précisé de quel alliage serait forgé ledit chaînon manquant. Les textes institutionnels, qu'ils soient de présentation générale, ou un peu plus officiels, ne permettent pas de déterminer clairement le dosage utilisé. Toutefois, le choix initial d'un régime d'internat délocalisé permet de penser que la "philosophie" de ce projet consiste, pour l'essentiel, dans l'application des méthodes, déjà anciennes, des "dispositifs relais" dans un environnement semi-carcéral (*).
Cette expression pourra éventuellement choquer ceux qui pourtant enfermeraient volontiers ces élèves, qui pour avoir été probablement labellisés bordéliseurs graves dans les collèges qu'ils ont fréquentés, n'ont pas reçu des services policiers et/ou judiciaires l'étiquette de délinquants signalés - c'est là une des conditions à leur affectation dans un ERS...
Mais je crois qu'il faut la maintenir.
On peut supposer qu'elle correspond assez à la manière dont les bénéficiaires de ce dispositif le perçoivent. Mais, comme on ne leur demande pas leur avis, on ne peut que "supposer"...
Pourtant, dans son compte-rendu de la visite de monsieur Luc Chatel à Saint-Dalmas-de-Tende, le journaliste Luc Cédelle rapportait ceci:
Lors d'une visite à l'intérieur du bâtiment, les officiels accompagnés de la presse ont brièvement rencontré les élèves. "C'est une prison ici", a lancé sur un ton rigolard l'un d'entre-eux, juste avant l'entrée de la délégation. Mais il s'est aussitôt fait remettre en place par une jeune camarade : "Arrête, tu vas nous donner la honte devant les gens." Lorsque les officiels arrivent, le même élève serre sagement la main au ministre, tandis qu'un de ses camarades devise avec Luc Chatel sur les vertus du sport.
Malgré le "ton rigolard", la boutade provocatrice est sans doute plus sincère et véridique que la sage poignée de main au ministre et le bout de conversation sportive - cela, je vous l'assure, il savait faire avant d'être envoyé en ERS.
(Je ne me lasse pas de ce geste emprunté vers sa poche...)
Il est vu, cette fois, par Eric Gaillard/Reuters.
Les classes relais ont été mises en place, avec un objectif assumé de réinsertion scolaire, depuis déjà pas mal d'années, et ont fait l'objet de ce que l'institution nomme des "évaluations" - on pourra consulter par exemple, dans les archives, le rapport de juillet 2000. Il serait faux de dire qu'elles constituent une solution miraculeuse, et la plupart des enseignants qui se consacrent à ce travail souvent ingrat le reconnaissent.
Mais ce qui parait certain, c'est que, même assaisonnées d'après-midi sportives, les méthodes efficaces en classes relais risquent de perdre tout leur potentiel dans le déracinement d'un internat disciplinaire parachuté ici ou là.
(Photo Ouest-France, c'est écrit dessus.)
La presse se fait l'écho des divers incidents qui ont accompagné la mise en place de deux de ces établissements "voulus par Nicolas Sarkozy" (c'est tout dire) dans deux bourgades rurales... L'écho est en général assez complaisant, insistant lourdement sur le fameux signifiant "neuf-trois" à la portée si redoutable.
On comprend bien, à la longue, que ces installations ont été hâtivement décidées.
Les bonnes/mauvaises raisons des enseignants et parents de Craon sont largement exposées.
On nous rappelle même les "réticences initiales" du SNPDEN, principal syndicat des chefs d'établissement, qui avait jugé que "concentrer des élèves en difficulté de sociabilité au même endroit, quels que soient les efforts et les moyens déployés, est une évidente prise de risque".
(Oui, ils causent comme ça, maintenant, les chefs d'établissements...)
Mais, outre celle des élèves concernés et/ou celle de leurs parents, est étrangement absente la voix de ceux qui pensent tout simplement que l'idée qui est à la bas de ce "projet ambitieux" est une idée stupide (**).
(*) Vendredi matin, à Craon (Mayenne), alors que les enseignants et les parents réfractaires à l'ERS se réunissaient et se concertaient "en vue des négociations de l'après-midi, avec Solange Deloustal, l'inspectrice d'académie", Ouest-France nous apprend incidemment, que "les neuf adolescents de l'ERS sont restés confinés dans leurs locaux. Derrière des volets à demi-ouverts ou complètement fermés". Expérience pédagogique ou réflexe pénitentiaire ? On ne nous dit pas comment a été organisé leur ouiquende et s'il ont eu accès à la promenade...
(**) TF1 (!) signale cependant, sur son site, la position de la FSU:
La FSU, première fédération syndicale de l'Education nationale, demande la suspension des établissements de réinsertion scolaire (ERS) compte tenu des problèmes rencontrés dans certains d'entre eux, a annoncé mardi à l'AFP sa secrétaire générale, Bernadette Groison. "Nous demandons la suspension des ERS et au ministre (Luc Chatel) d'ouvrir le débat avec la communauté éducative, car il s'agit d'une vraie question à laquelle a été apportée une mauvaise réponse", a déclaré Mme Groison. "Malheureusement, nous constatons aujourd'hui ce que nous avions dit : cela ne fonctionne pas d'exclure des jeunes en difficultés de leur milieu et de les mettre dans un autre milieu, fermé. Pourtant, notre responsabilité est grande à leur égard", a-t-elle ajouté.
2 commentaires:
Donc l' ex éléve d'ERS continue ses études dans un EE ( étalissement d'excellence ) pour éviter de retomber dans un environnement qui le perturbe . C'est relou à donf !
Mais c'est un grand rêve de pédagogue...
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