Les grands patrons de presse doivent se réjouir de pouvoir désormais réduire considérablement les frais de déplacement de leurs spécialistes de l'investigation. Avec Wikileaks, les "coulisses de la diplomatie mondiale" sont plus faciles d'accès que, par exemple, les abords des centres de rétention administrative de Vincennes, sans même parler de l'intérieur - pour pouvoir y enquêter, il faut au moins être parlementaire...
Il y a une semaine, le dimanche 21 novembre, les agences de presse transmettaient des informations autorisées émanant d'une "source policière"... On y apprenait:
Six sans-papiers se sont échappés du centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes (Val-de-Marne) durant les nuits de vendredi à samedi et de samedi à dimanche, a-t-on appris de source policière. Trois d'entre eux ont pu être interpellés depuis par les policiers.
Une première évasion a eu lieu samedi vers 2h30, provoquant des incidents au sein du CRA. Cinq autres personnes se sont enfuies dimanche vers 4h30 du matin. «Des dégradations ont eu lieu dans des bâtiments où le climat était très tendu», ajoutait-on de même source.
Le dispositif policier autour du CRA a été renforcé afin de prévenir de nouveaux incidents et de nouvelles évasions.
Une seconde dépêche donnait ensuite davantage de détails, émanant cette fois d'une "source proche de l'enquête". On pouvait y lire qu'à la suite de la "confusion" provoquée par des "incidents" ayant "débuté dans la nuit de vendredi à samedi car plusieurs étrangers en situation irrégulière refusaient de voir un médecin", deux "retenus" avaient réussi à s'échapper du centre. Ces deux évasions auraient été suivies, dans un "climat (...) resté assez tendu", par cinq autres... Apparemment, la "source" a insisté pour que l'on porte à la connaissance du public que "des sanitaires ont été vandalisés et deux policiers ont été très légèrement blessés dans les incidents".
Et le rédacteur a cru devoir conclure son papier par ce rappel:
En juin 2008, de violents incidents avaient éclaté au CRA de Vincennes au lendemain du décès d'un Tunisien de 41 ans considéré comme suspect par les étrangers retenus. Le CRA avait été la proie des flammes. En mars 2010, dix sans-papiers ont été condamnés pour ces faits à des peines de prison ferme, allant de 8 mois à 3 ans.
Il est possible que ce rappel soit automatique sur les ordinateurs de l'AFP dès que l'on évoque le CRA de Vincennes.
Il y avait sans doute bien d'autres informations à aller chercher autour des centres de rétention de Vincennes.
Et bien des témoignages à vérifier et recouper...
Celui-ci, du lundi 22 novembre:
"Aujourd'hui, il y a eu une bagarre parce qu'un mec voulait aller au coffre pour rechercher son argent mais on a pas voulu le laisser y aller. C'est l'argent qu'on dépose au coffre et qui nous permet d'acheter les cigarettes, tout ça. Normalement vers 15h on nous laisse aller le chercher.
Au bout de 2 heures le mec s'est énervé parce qu'on ne le laissait pas y aller, il a tapé sur les vitres. 4 policiers sont sortis. Ils ont coupé la lumière pour que les caméras filment pas. C'était dans la salle télé. Ils l'ont tapé. Il y avait la dame qui est engagée par la police pour faire l'intermédiaire entre nous et la police, elle fait partie d'une société privée, c'est eux qui nous placent dans les chambres quand on arrive au centre, elle était en train de regarder.
Ils lui sont tombés dessus à 4. Il a mal au bras mais on veut pas le laisser voir le docteur. Il a mal au bras et comme il est musicien c'est embêtant. On ne sait pas si son bras est cassé. Il a porté plainte contre les flics auprès de l'ASSFAM.
Ce matin les flics sont venus à 5 pour prendre un mec. Ils l'ont entièrement attaché pour l'emmener dans un avion pour Madrid"
Ou cet appel à l'aide, daté du 23 novembre:
Nous, les sans-papiers du centre de rétention de Vincennes appelons à l’aide car en plus de l’expulsion injuste qui nous attend, les policiers nous maltraitent. En effet, toutes les nuits et même pas à heures fixes, il y a un appel de nos noms par le haut-parleur qui nous oblige à nous réveiller en plein sommeil (ça fait bien rire les policiers).
Certains d’entre nous ont des blessures ou des maladies et on nous refuse tout accès aux soins médicaux. Qu’on ait des problèmes rénaux, intestinaux ou des maux de tête, c’est Dafalgan et « Va dormir ! » pour tout le monde.
Nous n’avons ni écoute, ni négociation par rapport à des gens qui ne devraient pas être ici. Par exemple, l’un d’entre nous est depuis 24 ans en France. On veut parler avec des responsables de nos situations et savoir pourquoi nous sommes emmenés directement de la garde à vue du commissariat au centre de rétention sans voir un juge.
Nous appelons les Français à se rassembler devant le centre de rétention ou à faire des actes de solidarité demain mercredi à 20 heures et tous les soirs qui suivront pour nous donner du courage à l’intérieur. Nous sommes en lutte et observons presque tous une grève de la faim.
Mohammed, Wessam, Karim et les autres…
Cet appel a été relayé par le quotidien des sans-papiers, qui l'a fait précéder de ce texte:
Depuis le week-end dernier la tension est montée spectaculairement au « nouveau » centre de rétention de Vincennes. La révolte a été provoquée par la pratique de l’appel nominal, à coups de haut-parleurs, plusieurs fois par nuit, à 2 heures, 4 heures du matin, de tous les retenus – qui ajoute à la privation de liberté et à la menace d’expulsion, la privation de sommeil. Rappelons que la privation de sommeil relève de la torture, et qu’en tout état de cause il y a là matière à une plainte pour traitements inhumains et dégradants. Les mauvais traitements ne s’arrêtent malheureusement pas là, et les tabassages sont monnaie courante. Les retenus revendiquent également de pouvoir faire examiner leurs blessures dans des hôpitaux, et dénoncent la privation de soins dont ils sont également victimes.
Surtout, ils dénoncent l’injustice qui s’abat ordinairement sur les étrangers – comme dans le cas de cette personne retenue à Vincennes et menacée d’expulsion qui vit en France depuis près d’un quart de siècle (24 ans !).
Là-dessus, les agences n'ont rien transmis...
illustrant une dépêche de cette semaine.
(Rien de changé depuis, vraiment ?)
Même la très sage et très discrète Association Service Social Familial Migrants (ASSFAM), qui a obtenu le "marché public" de l'assistance juridique aux étrangers sans papiers retenus à Vincennes a cru devoir publier un communiqué où elle précise:
Ces derniers jours, la tension est montée au sein des centres jusqu’au moment où des retenus, n’ayant pas pu accéder au service médical, ont dégradé les sanitaires et cassé une fenêtre avant de s’échapper.
L’ASSFAM a alerté la préfecture lors d’une rencontre le 17 novembre 2010 ainsi que le Contrôleur général des lieux privatifs de liberté le 19 novembre 2010. Ces deux dernières semaines, l’ASSFAM a été amenée à transmettre au procureur de la République cinq plaintes de retenus.
Le porte parole de l'association, monsieur Christian Laruelle "n'a pas donné de précisions sur la nature de ces violences", et s'il parle de "dégradation du climat", il ne faut pas en attendre davantage.
Il se croit lié par une sorte de devoir de réserve, peut-être ?
La presse, très réservée elle aussi, ne nous parlera pas des diverses actions qui ont été tentées durant toute la semaine, et empêchées par les forces de l'ordre...
La manifestation prévue, ce samedi, devant le CRA de Vincennes, a bel et bien été "embarquée":
Suite de la balade au bois de Vincennes
Deux rassemblements ont eu lieu aujourd’hui devant le CRA de Vincennes suite aux évasions et aux révoltes de ces derniers jours.
Le premier, à 13h, a rassemblé une dizaine de personnes et permis un parloir sauvage d’environ 10 minutes. Les sans papiers ont pu répondre aux messages qui leur étaient adressés. Des deux côtés, on criait "liberté".
Le second, à 15h, a réuni une quarantaine de personnes. La police en a encerclé une vingtaine sur le parking du CRA. À l’intérieur, les flics du centre ont empêché les sans papiers de sortir des bâtiments pour communiquer avec l’extérieur. Ils ont toutefois pu les entendre et ont dit que ces manifestations de solidarité leur faisaient plaisir.
La vingtaine de personnes encerclée a subi un contrôle d’identité au commissariat du 12e. Ils ont tous été relâchés.
LIBERTÉ POUR TOUS !
Cette information ne me semble avoir été reprise nulle part.
Pas plus que cet appel du 26 novembre, venant non de Vincennes, mais du Mesnil-Amelot:
COMMUNIQUE DES SANS-PAPIERS DU MESNIL-AMELOT
Ici, il n’y a pas de chauffage. C’est intenable. Comment peut-on nous traiter comme ça ? Les Français doivent savoir ! Imaginez ce que c’est de passer une nuit en ce moment sans chauffage… Pour nous, ça dure depuis plusieurs jours !
Et pourquoi le bâtiment 2 a-t-il été fermé alors qu’il est chauffé, lui ?
De plus, malgré ces températures, la plupart d’entre nous sont musulmans et nous ne pouvons pas manger car on refuse de nous donner des menus ou au moins, un plat hallal. Quand ce n’est pas périmé.
Certains policiers nous bousculent et nous manquent de respect alors que d’autres, gênés marquent ostensiblement leur respect envers nous.
Les gens qui nettoient ne sont pas nombreux. Du coup, c’est très sale mais quand on a demandé si on pouvait nettoyer, les policiers ont refusé. Quand ils nettoient nous devons sortir dans le froid.
Nous savons qu’une grève de la faim est en cours au centre de rétention de Vincennes et nous réfléchissons de notre côté aux moyens de nous faire entendre.
Des retenus du Mesnil-Amelot
A 15 h, samedi, les retenus du Mesnil-Amelot ont cherché à manifester en solidarité avec ceux de Vincennes.
Les Français pourront-ils l'apprendre ?
Ou pourront-ils, encore une fois, dire qu'ils ne savaient pas.
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