mercredi 17 novembre 2010

La bonne soupe à la française

Certains ont bien rigolé, avouons-le, en apprenant, en 2008, que le président Nicolas Sarkozy, grand buveur d'eau plate et adepte du régime jockey, avait l'intention d'appuyer la demande de classement de la grande cuisine française sur la liste représentative du "patrimoine culturel immatériel de l'humanité" régulièrement mise à jour par l'UNESCO. Il avait alors déclaré, avec beaucoup de conviction, que la France pouvait être fière d'avoir "la meilleure gastronomie au monde".

Désormais, ça va un peu moins glousser dans les rangs des ricano-persifleurs. L'UNESCO n'a certes pas reconnu que la France possédait "la meilleure gastronomie au monde", mais les experts, réunis à Nairobi, ont jugé que le "repas gastronomique des Français", "avec ses rituels et sa présentation", dixit Le Monde, remplissait les conditions requises pour figurer sur cette fameuse "liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité".

Comme je n'ai pas écouté l'intervention de monsieur Nicolas Sarkozy - pourquoi perdre son temps à entendre ce qui se résumera en trois mots le lendemain ? -, j'ignore s'il a profité de son passage à la télévision pour annoncer cette grande avancée. Monsieur François Fillon, lui, n'y a pas manqué:

François Fillon a salué mardi ce classement de l'Unesco. "Il est particulièrement remarquable que la France soit le premier pays à être ainsi honoré pour son génie des arts de la table", souligne le premier ministre dans un communiqué. Selon François Fillon, "la cuisine est pour la France non seulement le produit d'une longue tradition historique mais aussi l'une des expressions les plus abouties de l'excellence de ses produits, de la qualité de ses savoir-faire artisanaux et de son rayonnement culturel".

De son côté, l'amicale des blogueurs de Trifouillis-en-Normandie, auto-proclamée réblouguique des ploucs, a déposé ce matin en préfecture les statuts de la Ligue Anti-Cholestérol, rapidement copiés sur ceux de la Ligue Anti-Tabac, afin de pouvoir attirer l'attention des pouvoirs publics, et notamment celle de monsieur Xavier Bertrand, ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé, et celle de madame Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la Santé, sur les dangers qu'une telle promotion de la grande bouffe ritualisée à la française peut faire courir à l'ensemble de la population de notre cher pays.

En 1973, déjà Marco Ferreri lançait un cri d'alarme.
(Affiche de Reiser.)

Il faut éviter de commettre un fâcheux contresens en interprétant cette heureuse décision du comité intergouvernemental chargé de se prononcer sur les candidatures. Ce qui est ainsi "classé" est un ensemble de pratiques, de rituels et de cérémonies qui font que le "repas gastronomique à la française" est ce qu'il est: une "pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes".

Monsieur Jean-Robert Pitte, président de la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires, qui accueille cette décision "avec joie, avec émotion, mais aussi avec modestie", a accordé un entretien au quotidien La Croix. Il y détaille ainsi nos spécificités:

La gastronomie française se distingue par ses rituels, ses pratiques, ses traditions vivantes et une certaine manière d’être à table. Une façon de dresser la table, de s’y installer, de goûter des saveurs particulières qui ont une personnalité, de valoriser les différences d’une région à l’autre. Associer certains vins à certains plats est une invention française. De même que le déroulé qui va des entrées au dessert et impose le pain, le vin et le fromage.

Autrement dit, ce qui distingue la "gastronomie française" serait un certain art de s'emmerder à table, pendant des heures, en dégustant des mets exquis, en savourant des breuvages délicieux, mais en cherchant vainement l'intérêt d'attendre tant de plats et tant de vins au milieu des bavardages convenus et insipides de la convivialité "à la française".

Faut-il le regretter ? Ces repas avec tout le tralala, dont l'origine remonterait, selon monsieur Pitte, à la cour de Versailles, se font de plus en plus rares dans les milieux populaires...

"Voyages du roi au château de Choisy " :
souper du samedi 8 janvier 1752 par Brain de Sainte Marie.
(Document RMN / Gérard Blot)

Pourtant, il y a tout lieu de penser que cette "pratique sociale coutumière" n'a pas entièrement disparu chez les heureux du monde d'en haut.

Le dîner mensuel que Le Siècle, le club de rencontres des élites françaises, organise pour ses membres dans les locaux de l'Automobile Club de France, place de la Concorde, est peut-être un exemple de "repas gastronomique à la française"... Seul un examen impartial par une commission ad hoc, mandatée par les ministères de la culture et de l'agriculture, pourrait nous assurer que ces dîners du Siècle sont bien représentatifs de notre "patrimoine culturels immatériel".

Ils font, en tout cas, partie de notre patrimoine politique depuis 1944, date à laquelle Georges Bérard-Quélin, patron de presse, a fondé ce club "réunissant des membres les plus influents de la « classe dirigeante » française afin de produire une synergie entre leur pouvoir".

Ce type de "synergie" porte aussi un autre nom, que vous pourrez trouver seuls, sachant que:

On y trouve une sélection des personnalités les plus puissantes de la société française, des hauts fonctionnaires, des chefs d'entreprises, des hommes politiques de droite ou de gauche, des syndicalistes, ou encore des représentants du monde de l'édition et des médias de premier plan.

L'arrivée des convives du dernier dîner du siècle, le 27 octobre, a été gentiment chahutée par une manifestation qui avait des faux airs de promotion pour le tout juste sorti film de Pierre Carles. Un articulet et une vidéo, sur le site de Bakchich, permettent de se faire une idée de la portée, que je trouve assez limitée, de cette action.

Une invitation à un "pique-nique collectif", devant l'hôtel Crillon, est lancée pour le prochain le prochain dîner, le 24 novembre.


Bien que persuadé que les membres du Siècle méritent beaucoup mieux que quelques lazzis rigolards, je relaie cet appel.

En espérant que C.F.C.-B.A.P. (Collectif Fin de Concession - Branche Armée... de Patience) saura faire preuve d'un peu plus d'imagination, ne serait-ce que pour accueillir dignement, mais fermement, madame Nicole Notat, qui vient d'accéder à la présidence du Siècle. Le 1er janvier 2011, elle succédera à monsieur Denis Kessler, ainsi que nous l'apprend Le Figaro.

4 commentaires:

olive a dit…

Il est fort drôle en son ridicule, ce M. Pitte, dont les fonctions laissent supposer qu'il possède quelque connaissance des «cultures alimentaires», lorsqu'il vante comme une «invention française [...] le déroulé qui va des entrées au dessert

En réalité, le service dit à la française, où tous les plats étaient offerts simultanément au libre choix de chacun comme dans nos buffets garnis, a été remplacé au début du XIXe siècle par le «déroulé» de M. Pitte, dont l'origine n'a rien de français : ce service dit à la russe a été introduit par l'ambassadeur de — je vous le donne en mille — Russie.

Elle est belle, l'identité nationale ! Arf !

Guy M. a dit…

Purée ! et moi qui lui aurait servi le bon dieu sans confession, à ce monsieur Pitte, déniché par miracle dans La Croix...

Monsieur Pitte, je suis déçu.

olive a dit…

En vérité je vous le dis : ne servons jamais le bon dieu sans l'avoir confessé... désossé (carcasse pour le bouillon, huit heures de rang à raison d'un blob par minute de la marmite au coin du feu)...levé en filets... laissé mariner...

Guy M. a dit…

Amen...