mardi 3 février 2009

Un grand créateur se révèle

A bien l'observer, on pouvait se douter qu'il y avait chez cet homme-là une vocation contrariée ou un grand rêve d'enfance ravalé dans les larmes et les trépignements.

Maintenant, nous savons: monsieur Sarkozy a une passion rentrée et c'est la rage de créer.

L'indépendance calamiteuse des soubresauts qui agitent ses quatre membres principaux l'ont empêché de pratiquer quelque discipline artistique que ce soit, et par conséquent il est entré en politique en gardant en lui cette frustration douloureuse.

Mais, par un effet banal de retour du refoulé, le voici prêt à donner libre cours à ses pulsions. Il vient de s'autoproclamer, ce lundi, président du Conseil pour la création artistique qu'il s'était promis de créer pour se faire plaisir. Et il n'a pu s'empêcher de prononcer, pour l'occasion, un discours de haute tenue, écrit par on ne sait qui, dont voici le pompompompeux incipit:

Madame la Ministre, chère Christine,
Mesdames, Messieurs,
En créant un Conseil pour la création artistique - j'ai vu que cela en avait étonné certains - dans mon esprit je ne fais que renouveler l’attachement séculaire qui unit la Nation et ses artistes. Depuis Charles V et François 1er, l’État a été le promoteur de la création et le protecteur des artistes. Le Val de Loire, Versailles et Paris ont été modelés et embellis sous l’action du couple formé par le politique – celui qui construit la Cité – et le poétique – celui qui rêve mais aussi qui agit, au plus haut degré.

Comme j'ai décidé d'être bienveillant avec les rédacteurs attitrés de monsieur Sarkozy qui ont dû travailler jour et nuit ce dernier mois, avec tous ces discours de vœux qu'il a inventé de prononcer, je ne relèverai pas cette opposition entre le politique et le poétique, où l'étymologie me semble un peu malmenée... Pendant qu'on y était, on aurait pu parler du politique qui construit en poète, non ? Mais une référence à Hölderlin revisité par Heidegger aurait-elle été captée au vol par madame Albanel ?

Monsieur Sarkozy en serre une poignée à monsieur Karmitz,
tandis que madame Albanel regarde l'heure au poignet de son voisin.

Je passerai tout aussi charitablement sur la suite du discours où le rédacteur se contente d'enfiler quelques banalités de bon aloi sur la création artistique, en les teintant d'assez de hargne pour les faire passer pour des vérités iconoclastes et décomplexées.

La présentation de monsieur Marin Karmitz, qui, en tant que délégué général, sera la cheville ouvrière du Conseil, est un modèle de fausse provocation autosatisfaite:

Ah, j’oubliais, Marin Karmitz, semble-t-il, n’aurait pas les mêmes idées politiques que moi. Cela devrait rassurer, que des femmes et des hommes différents soient capables de travailler ensemble sur ce que doit être au XXIème siècle la politique d’encouragement à la création en France. Cela devrait profondément rassurer. (...) Alors j’ajoute, cher Marin, que le fait que l’on travaille ensemble, maintenant, cela fait ressortir votre passé glorieux. J’ai découvert plein de choses sur vous. Vous étiez donc très à gauche, très jeune, vous n’êtes pas le seul. Cela ne vous disqualifie pas pour porter un regard sur la création.

Monsieur Sarkozy est bien taquin, lorsqu'il parle du "passé glorieux" de Marin Karmitz.

Il aurait été préférable et plus véridique de dire que Marin Karmitz est un de ces nombreux renégats d'un gauchisme mal pensé qui, pour paraphraser un titre de Guy Hocquenghem (qui, lui n'a rien renié), sont passés du col Mao aux salons de la Fondation Saint-Simon, là où s'est élaborée cette nuisance rosâtre appelée le social-libéralisme et où, prétendait-on, s'opérait " la rencontre de gens qui avaient des moyens avec des gens qui avaient des idées"(Pierre Nora).

A l'époque, l'ancien cinéaste militant Marin Karmitz avait des moyens.

Quant aux idées, il est possible qu'il n'en ait jamais eu.

La réflexion n'était déjà pas son fort en tant que cinéaste.

Coup pour coup, non renié par Marin Karmitz,
puisque ça peut encore se vendre.

Quand sont sortis, en 1971, Coup pour coup de Karmitz et Tout va bien de Godard et Gorin, on pouvait déjà faire la différence entre un monteur de pellicule et deux créateurs de cinéma.

La vidéo qui suit, un peu datée, permet d'entendre le point de vue de Jean-Luc Godard sur cette question du cinéma militant.



5 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour moi c'est doux de retrouver Godard qui figure parmi ce qui se fait de mieux comme passeur du politique au poétique...
Pas trop le temps de tout goûter depuis le bureau, je me le garde pour ce soir.
Bonne suite.
JR

Guy M. a dit…

Même si "Tout va bien" n'était pas une grande réussite, c'était encore un film de Godard (malgré Gorin, diront les inconditionnels...)

Anonyme a dit…

1972?
Waouh… C'est pas daté de partout. Concernant la parole qui n'est pas donnée à tous, c'est même terriblement actuel.
Et la manipulation du cinéma aussi.
Il risquait pas de terminer chez Sarko le JLG.
Merci de ce désarchivage.

Guy M. a dit…

Oui, je trouve encore beaucoup de choses pertinentes dans ce que disait Godard.

A rebrousse-poil, comme d'habitude...

olive a dit…

«Un peu datée», la vidéo ?

Elle n'a pas pris une ride. Je ne l'avais jamais vue. Merci, Guy.