dimanche 22 février 2009

Harcèlement bureautique dans les Hauts-de-Seine

Le ridicule qui s'attache si souvent aux positions d'autorité administrative permet de souligner l'ignominie de certaines règlementations.

Dans ce domaine, les courriels de monsieur Patrick Strzoda, le préfet des Hauts-de-Seine, publiés par Catherine Coroller sur son blogue, sont exemplaires.

Ces courriels sont adressés à deux citoyens qui avaient exprimé par mail leur indignation devant les mesures prises par la préfecture à l'encontre de monsieur Shixiong Lin, retenu au CRA de Palaiseau, en attente de l'exécution d'une éventuelle mesure d'éloignement.

Monsieur le nouveau préfet.

Monsieur Lin, qui vit en France depuis 2003, s'y est marié et il est le père de Juliana, née en France.

Son expulsion imposerait la séparation de la famille.

Pour moi, qu'il existe des règlementations dont l'application aient de telles conséquences, cela relève de l'ignominie. Et il me semble qu'un droit minimal du citoyen est de pouvoir exprimer son désaccord aux individus qui ont choisi pour carrière d'appliquer de telles règlementations.

Le communiqué du RESF est sans ambiguïté:

QUASI-ORPHELINE DE PERE A 3 ANS : MERCI M. LE PREFET

Arrêté le 11 février sur son lieu de travail à Levallois (92), Monsieur Shixiong LIN (dossier n°7503612346) est enfermé au CRA de Palaiseau (91). La préfecture des Hauts de Seine a décidé son expulsion qui est prévue demain vendredi 20 février 20 à 17h20 (vol CA964, Roissy CDG1)

Shixiong Lin a 27 ans, il vit en France depuis l’âge de 21 ans. Il s’est marié en France, il a une fillette de 3 ans, Juliana, née en France qui doit faire sa rentrée à l’école de la rue Domrémy (Paris XIII) en septembre prochain.

La seule question est de savoir si Juliana va être rendue quasi-orpheline de père ou pas par la décision de fonctionnaires français.

A l’évidence, quelles que soient les bonnes raisons que les fonctionnaires et les hauts fonctionnaires se donneront pour justifier leur décision, l’expulsion de Shixiong Lin en laissant sa femme et sa fille en France serait une saloperie. Elle ne doit pas avoir lieu, Shixiong Lin doit être libéré et régularisé.


Je souscris entièrement à ce mot de « saloperie ».

Face à cette situation, un certain nombre de citoyens, qui se sentent responsables au regard d'une certaine éthique minimale des droits humains, ont envoyé des mails au préfet.

A lire sa première réponse, il en aurait reçu une centaine. Ce qui est rassurant.

Mais cela a agacé monsieur le préfet.

Cela aurait pu l'alerter, non, cela n'a fait que l'agacer. Voici cette première réponse (en conservant ce que je suppose être l'accentuation d'origine):

De: STRZODA Patrick PREF92
Envoyé le : Jeudi, 19 Février 2009, 17h21mn 20s


M...

Votre message est le 50ième que je reçois concernant la situation de M. LIN et il y en a encore 50 qui sont enregistrès sur ma boite.

Vous êtes en revanche le premier émetteur à qui je réponds et vous serez le seul pour qui je le ferai; si vous avez donc la possibilité de faire connaitre ma réponse à tous ceux qui, comme vous, ont décidé d'inonder ma messagerie de centaines de messages strictement identiques, voici ma réaction.


Je viens de prendre mes fonctions de Préfet des Hauts-de-Seine.

Quand je suis sollicité pour réexaminer une décision d'éloignement qui relève de ma responsabilité, je suis enclin à le faire naturellement, surtout si la demande se fonde sur des motifs humanitaires.

En revanche, tant que mes collaborateurs et moi nous ferons l'objet de vos harcèlements bureautiques je refuserai systématiquement et par principe de réexaminer un dossier d'éloignement.


D'ailleurs, je ne lirais même plus les messages.


Je ne peux pas accepter que notre outil de travail, a savoir notre réseau de communication, soit détourné de sa vocation et embolisé par des pratiques aussi primaires.


La situation de M LIN ne sera donc pas réexaminée.

Bonsoir


On remarquera que monsieur le préfet introduit le fécond concept de « harcèlement bureautique », qui pourrait bien avoir quelque avenir... et qu'il ne recule pas devant le très beau verbe « emboliser ».

A lire le second courriel adressé par monsieur Patrick Strzoda, à une autre correspondante, on peut penser que monsieur le préfet a un bon fond humanitaire. On y apprend qu'à 23 h 30, il est encore au bureau, avec un informaticien réquisitionné, à essayer de réunir les éléments du dossier de monsieur Lin. Ce mail vaut bien son pesant de litchis en boîte:

Date : Thu, 19 Feb 2009 23:32:48 +0100
De : STRZODA Patrick PREF92

Madame

N'étant ni sourd ni aveugle, et étant autant que vous attaché au respect des valeurs républicaines, qui commencent par le respect des lois qui encadrent la présence des personnes étrangères en France, je suis capable d'entendre "la mobilisation citoyenne" sans avoir à subir des agissements qui perturbent et entravent les process et procédures qui me permettent d'accéder aux dossiers qui font l'objet de recours pour les réexaminer avec la sérénité qu'ils méritent.

Pour être très concret, les dysfonctionnements qu'a engendré l'avalanche des mails que j'ai reçus concernant M LIN ont interrompu le réseau sur lequel je travaille et m'ont empeché d'accéder au dossier de l'interessé.


Au moment où je vous écris, à 23H10, et malgré la réquisition d'un informaticien encore présent, la liaison avec le service gestionnaire du dossier n'est toujours pas rétablie!


Je ne peux donc que vous confirmer ma position exprimée à M...; aussi longtemps que l'expression de vos réactions aura pour conséquence ou pour objectif de bloquer ou de retarder inconsidérément les liaisons indispensables à l'examen de dossiers complexes traités par plusieurs services, les procédures d'éloignement engagées seront menées à leur terme.


Bonsoir

On pourra s'étonner qu'un préfet, agacé certes, mais alerté vers 17h, ne puisse obtenir de ses collaborateurs, en plein milieu de la semaine, qu'on lui fournisse un dossier complet..

On s'étonnera également de cet étrange blocage d'un réseau informatique, capable de pétrifier un informaticien, fût-il réquisitionné, par un afflux de courrier électronique...

Ce qui n'a pas empêché le préfet de confirmer l'ordre d'expulsion de monsieur Lin.

Comme je suis selon mon entourage professionnel un spécialiste hors-classe de la catastrophe informatique, j'ai aussitôt envoyé un courrier pour proposer mes services à la préfecture des Hauts-de-Seine, en précisant mes brillants états de service.

Evidemment, j'ai utilisé la voie postale ordinaire, pour ne pas être accusé de « harcèlement bureautique ».

Petite fête d'accueil du nouveau préfet des Hauts-de-Seine

PS: Le démantèlement de familles, que l'on suspecte a priori de mauvaises intentions ou de fraudes, est une pure ignominie (ou encore une saloperie) en passe de devenir courante dans notre pays. Elle est de plus d'une inefficacité lamentable en se plaçant du point de vue des expulseurs... On peut voir à ce sujet l'article de Laetitia Van Eeckhout, paru dans LeMonde.fr.

Malgré la réaction quasiment infantile du préfet des Hauts-de-Seine, il faut continuer à écrire dans les préfectures.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Eheh… je te vois bien en auxiliaire informatique de la préfecture, ils ne seraient pas déçus du voyage… :-)

Quant à expliquer comment une centaine de mails peuvent bloquer tout un réseau préfectoral… Doivent bosser sur des Amstrad des années 80, je vois pas d'autre explication.

Anonyme a dit…

..eh, mais avec le courrier vous allez engorger le vaguemestre, même sans accusé-réception :(

Marianne a dit…

Pas facile d'être préfet en Sarkozie, pauvre homme je crains pour ses nerfs , c'est sympa d'avoir proposé vos services , félicitations .

Guy M. a dit…

@ JBB,

En informatique, j'arrive à planter n'importe quel réseau... et ça repousse derrière moi.

@ Nini,

Pas d'inquiétude, il y a de moins en moins de courrier papier dans les préfectures.

@ Marianne,

J'attends une réponse d'une semaine à l'autre... C'est plus lent que pour expulser, forcément.