Avant que de retrouver de manière provisoirement définitive les plaisirs et les jouissances sans nom de l'ADSL, voici une dernière carte postale culinaire, qui mettra en outre un terme à cette "somme" sur l'estofinade du Rouergue.
Voici donc le modus operandi que je suivrai à la lettre pour organiser, à la demande générale, le grand repas de stofi qui devrait marquer le congrès fondateur et constituant de l'association "manger-bloguer-point-effaire" qui se tiendra l'hiver prochain à une date incertaine, dans un lieu imprécis, mais avec une assistance drastiquement choisie.
L'estofinade du Rouergue mérite bien cette place inaugurale. Servie en plat unique, elle a toutes les qualités requises pour alimenter ces conversations irremplaçables où l'on bouffe en parlant de bouffe: si la liste des composants est assez simple, on pourra indéfiniment débattre de l'origine du stofi dans la région (dragonnades, commerce fluvial, transport du minerai...), du berceau géographique de la recette (Villefranche-de-Rouergue, Decazeville, Capdenac, Figeac, voire Almont-les-Junies). Les spécialistes des corps gras pourront disserter quelque temps sur le grand danger encouru en portant de l'huile de noix à ébullition... L'observateur gastronomique avisé pourra faire remarquer la très grande singularité de ce plat unique: alors que les potées, cassoulets, garbures et kig ha farz sont de toute évidence d'origine rurale, l'estofinade est très probablement d'origine urbaine, et même ouvrière: je n'ai pas, au cours de mes modestes recherches, trouvé de traces écrites de ce fait, mais il se dit à Decazeville que l'estofinade est une acclimatation, avec les produits du cru, d'une recette apportée par des mineurs polonais.
La première difficulté de cette recette est de trouver du stockfish. J'ai parfois essayé d'en demander à mon poissonnier normand, mais l'œil arrondi de merlan frit que ce digne descendant des Vikings opposa à ma requête m'a conduit à délaisser cette source d'approvisionnement. Désormais, je monte une expédition en direction de Villefranche-de-Rouergue, Figeac ou Decazeville, vers la Toussaint, où je suis sûr de trouver, en poissonnerie, en grande surface ou sur les marchés, le précieux poisson séché. Il suffit de l'empaqueter soigneusement et hermétiquement pour lui faire effectuer sans trop de nuisances odoriférantes le voyage de retour. Car il faut bien avouer que, même sec, le poisson sent. C'est même à cela qu'on le reconnait...
Il faut alors le découper en tronçons pas trop longs pour le mettre à tremper. J'utilise pour cela une scie à métaux (la scie à bûches déchiquette trop la chair). Certains préférerons l'égoïne... mais ça leur passera avant que ça ne me reprenne.
Le trempage doit durer une bonne semaine, à l'eau claire, renouvelée deux fois par jour. Au fil du temps, vous constaterez que l'eau "usée" s'éclaircit, mais ne sent pas vraiment meilleur.
Les morceaux seront alors cuits dans une marmite d'eau. Vous maintiendrez l'ébullition pendant une bonne heure et demie, puis vous dépiauterez le poisson, ôterez les arêtes et l'épine dorsale, de manière à ne conserver que la chair que vous détaillerez en copeaux sans chercher à en faire une bouillie pour votre chat.
A ce moment de la préparation, il est bien évident qu'il n'y a plus personne aux alentours: tout le village a fui, je suis abandonné de ma famille et de tous mes amis, et il n'est pas question de préparer un plat si prestigieux pour ces lâcheurs. Aussi, répartis-je la chair du stockfish partiellement réhydraté en tas de 500 grammes que je mets à congeler, en attendant des jours meilleurs.
Donc, un jour meilleur, je remets à l'eau le contenu d'un sac congélation (500 g, pour ceux qui n'ont pas pris de notes) et le soumets à un ébullition d'une dizaine de minutes. Dans la même eau, débarrassée du poisson, je fais cuire en salant légèrement un petit kilo de pommes de terre à purée.
J'égoutte les pommes de terre, en gardant l'eau okazou, et je les écrase à la fourchette, ou au pilon à purée (que vous trouvez sur tous les marchés à côté des célèbres machines à couper les œufs durs en zig-zag). Je mélange cette purée grossière avec le stofi, trois ou quatre œufs durs coupés en rondelles et une solide persillade faite d'un bouquet de persil (simple) ciselé et de cinq gousses d'ail hachées. Je rectifie généreusement l'assaisonnement en sel et surtout en poivre.
Il arrive que la fin de la préparation se fasse sur la table, sous les regards médusés des convives.
Pendant que mon assistant mesure et fait chauffer deux verres d'huile de noix, je dresse le plat de service sur un chauffe-plat et je creuse un puits au centre de la préparation. J'y verse deux ou trois œufs frais battus en omelette et j'y ajoute la moitié de l'huile de noix bouillante. Je touille avec une cuillère en bois et toute l'énergie qui me reste, je creuse à nouveau un puits pour y verser le reste d'huile et je retouille (ou je passe la cuillère au trentenaire invité spécialement pour cela). Si le mélange me paraît trop sec, j'ajoute un peu d'eau de cuisson des pommes de terre (refusant d'ajouter, comme la Catinou, un verre de lait).
Après avoir évacué les victimes de projections d'huile bouillante, je prends ma plus belle voix d'Oncle Ben's pour lancer "Bon appétit, mes ami(e)s" et nous pouvons passer à table en remerciant, sur un air de gospel, le Seigneur de tous ses bienfaits.
En résumé:
500g de chair de stofi
1 kg de pommes de terre
3 ou 4 œufs durs
2 ou 3 œufs frais
bouquet de persil plat
5 gousses d'ail
2 verres d'huile de noix
sel, poivre.
Note pour le sommelier:
L'estofinade réalise une solide alliance de trois goûts forts (la morue, l'ail et l'huile de noix), alors le vin choisi doit se faire une place... En général, je bois un rouge régional un peu vigoureux (Marcillac, Cahors ou Gaillac).
jeudi 28 août 2008
Carte postale: Ma recette
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6 commentaires:
Il faut que je le confesse : de cette très instructive recette, j'ai surtout retenu qu'il y avait une beuverie en préparation. Et je vote résolument pour !
Tiens ! Ben on est au moins deux (trois, certainement, dès que Mademoiselle aura fait un tour par ici) à être vivement intéressés par le pinard qui accompagnera le stofi :-)
Bises !
Vous ne pensez qu'à boire!
Avant cela, il faudrait penser à fonder l'assoce, non ?
Moi, je vote pour laisser les choses sérieuses aux personnes sérieuses. C'est-à-dire plus âgées (tout le monde sait ça : avec l'âge vient la Sagesse et la Sérénitude).
Bises et bonne nuit !
Je constate que c'est un plat qui se mérite... Il faut une bonne dose de courage au chef-cuisinier, et aux convives aussi.
(On peut venir en combinaison ignifugée ? C'est moins chic qu'une robe du soir, mais peut-être plus approprié ?).
Pas de panique! On invitera un pompier mangeur et blogueur.
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