mardi 8 avril 2008

Les Garçons Ramponeau

La rue Ramponeau est une très ancienne voie qui prolonge, au delà du boulevard de Belleville, la rue de l'Oreillon. C'est rue de l'Oreillon qu'un certain Ramponeau, marchand de piquette à moins cher, avait établi son cabaret au XVIIIème siècle. Là, les plus aisés prirent l'habitude de venir s'encanailler et firent la réputation du quartier et de l'établissement.

Mais je suivrai un autre jour le fil de ces "fraternisations entre classes".

D'après Prosper-Olivier Lissagaray, témoin actif et historien de la Commune de Paris, la barricade de la rue Ramponeau aurait été la dernière à tomber aux mains des Versaillais, le dimanche 28 mai 1871. "Pendant un quart d'heure, un seul fédéré la défend. Trois fois il casse la hampe du drapeau versaillais arboré sur la barricade de la rue de Paris [actuellement rue de Belleville]. Pour prix de son courage, le dernier soldat de la Commune réussit à s'échapper."(P.-O. Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871) La légende dit que ce "dernier soldat" était Lissagaray lui-même.

Louise Michel, autre témoin et non des moindres, parle bien de la barricade de la rue Ramponeau, mais donne celle de la rue de la Fontaine-au-Roi pour dernière à être prise.

Peu importe, on n'est pas aux jeux olympiques…

Je pensais à ces événements, vendredi soir, en descendant la rue de Belleville [anciennement rue de Paris], et en mastiquant un sandwich hallal, poulet, œuf dur, salade, mayonnaise, pour rejoindre le centre social Elisabeth, sur le boulevard, où l'association Canal Marche présentait ses productions.

Canal Marches, qui est une association créée par des professionnels de l'audiovisuel, des chômeurs, des précaires et des militants de mouvements sociaux, se donne pour but de contribuer à l'expression des "Sans voix". Parmi ses projets figure celui des "Paroles et Mémoires populaires" qui a abouti, entre autres choses, à la réalisation d'entretiens filmés avec des "anciens".

Parmi les films présentés, j'ai vu celui de Patrice Spadoni "Les Garçons Ramponneau" qui tresse par le montage trois entretiens avec des "anciens" qui se sont connus à l'école Ramponeau.





L'école primaire de garçons de la rue Ramponeau, dans les années 1920-1930, avait la réputation la plus déplorable du quartier: on y évitait notamment d'y nommer des institutrices. Plus de la moitié des élèves étaient immigrés, plus ou moins légalement, et les petits "gaulois" étaient, disons, bien "intégrés"…

Au moment des entretiens, les "vieux" ont "dans les quatre-vingts", et des masses de souvenirs dans lesquels, manifestement, ils ont déjà fait un tri. Ils parlent avec sérénité, un brin d'humour et une grande sagesse. Ils ne semblent pas vouloir donner de leçon à une époque devenue décevante, ils racontent simplement, en sachant que cela pourrait servir. Ils sont filmés avec beaucoup d'attention et de discrétion, et le montage est efficace sans esbrouffe: pas de plans de coupe "à l'estomac", pas de musique envahissante, quelques insertions de documents d'époque…

Il y a donc Etienne Raczymow, Jacob Szmulewicz et Gaston Largeault. Les deux premiers sont fils de juifs polonais immigrés et le dernier est un petit "gaulois".

Leurs témoignages entrelacés commencent avec les années 1920: la vie de leurs parents, l'enfance, l'école, les bandes de gamins ("Pas méchants, mais… bien voyous", comme le dit Etienne), passent par les secousses de l'histoire: les manifestations et les combats de 1934, l'espoir et les grèves de 1936, la déclaration de guerre, les rafles, la résistance, la libération, et se terminent avec les doutes sur le rêve communiste…

Dans l'une des dernières séquences, Etienne, qui est malade et décédera quelques mois après le tournage (il ne pourra voir terminé le film, qui lui sera dédié), demande qu'on lui apporte sa Légion d'Honneur (obtenue pour actes de résistance, dans la troupe des "noirs de barbe, hirsutes, menaçants", les FTP-MOI).



Tenant d'une main qui tremble un peu sa croix au ruban rouge devant la caméra, donc devant nous, il nous prend à notre tour à témoin, avec beaucoup de silences, mais d'une voix qui ne tremble pas:



Ça c'est la Légion d'honneur au titre de la Résistance
alors justement je voudrais dire quelque chose sur la Légion d'honneur
la police française a arrêté tellement d'enfants juifs
des milliers d'enfants juifs qui sont pas revenus gazés
à Auschwitz
quinze jours avant la libération de Paris
la police
en partie de la police parisienne
sont rentrés en résistance
en partie
quinze jours avant que la deuxième DB rentre à Paris
on leur a donné la Légion d'honneur
De Gaulle leur a donné la Légion d'honneur
c'est vrai qu'il y avait des problèmes politiques
j'comprends qu'il puisse y avoir des problèmes politiques
mais ça m'ennuie beaucoup qu'entre ma Légion d'honneur à moi
et la leur
ça soye pareil
ils portent la fourragère rouge dans les cérémonies officielles
et ça m'ennuie beaucoup
parce que pour quinze jours de résistance
nous qui avons tellement perdu de garçons et de filles
qu'ils aient la Légion d'honneur
voilà le pourquoi qu'ça m'ennuie.





PS: Canal Marches propose un coffret de quatre DVD, contenant le film de Patrice Spadoni et les trois témoignages complets de nos trois compères. Vous pouvez aussi trouver des sections de ces témoignages sur le site spécifique de Paroles et Mémoires.

Par ailleurs Canal Marches participera au printemps de Belleville en vue(s).
 

2 commentaires:

Anonyme a dit…

La Légion d'Honneur... Oui, je comprends ce Monsieur. Et encore De Gaulle ne la distribuait pas comme des petits pains.

Alors la Légion d'Honneur maintenant, est-ce que ça veut encore dire quelque chose...

Guy M. a dit…

Oui, c'est vrai... mais je pense qu'Etienne est mort sans avoir digéré la décoration donnée à la police, prétendument pour les mêmes actes que lui (dont il parle avec justesse, ne cachant pas la peur continuelle qu'il avait...).

C'est vraiment un film qui nous donne un ramponeau!