A mon oreille la langue grecque chante comme l'une des plus belles du monde. Pourtant je ne la comprends pas, hormis quelques mots de la vie courante. Mais je ne suis jamais tout à fait perdu dans la foule grecque, car dans la mélodie de la langue moderne, j'entends aussi les mots de l'une des langues originaires de ma pensée.
Lors de notre premier séjour en Crête, nous* avons passé quelques jours dans le petit village de Kératocampos, mal desservi par les autocars, pauvre en vestiges archéologiques, peu fréquenté par les touristes étrangers, mais lieu de villégiature pour les crétois ou les grecs du continent. Nous y avions rencontré une dame crétoise, Kyria Panaghiota, qui aimait retrouver avec nous la langue française qu'elle avait étudiée dans sa jeunesse pas trop lointaine.
Un soir qu'elle voulait nous expliquer l'origine des traditions de l'hospitalité que pratiquent les crétois et dont ils sont assez fiers, ne trouvant plus les mots en français, elle ne put que prononcer "xénophilia" en espérant que nous comprendrions.
"Xénophilia", attirance vers l'étranger. Nous avons assez bénéficié de cette "xénophilia" dans cette île dont l'histoire semble faite d'une longue suite d'invasions, d'occupations, de révoltes, de résistances, de massacres et où malgré cela le voyageur étranger (qui se distingue du touriste cependant) est accueilli avec prévenance, à la seule condition de payer le tribut de son récit: Raconte! Qui es-tu? D'où viens-tu? Que cherches-tu ici? Pourquoi aimes-tu être ici?
Alors que cette xénophilie, qui se nourrit d'une curiosité pour l'étranger, est une pulsion qui peut déboucher sur les sentiments nobles d'amitié ou d'amour, la xénophobie est une répulsion qui s'alimente d'une peur irraisonnée et qui peut conduire à la haine. Il ne faut pas se faire d'illusions: ces deux pulsions coexistent en chacun d'entre nous et, de même que nous sommes capables d'amour et de haine, nous pouvons nous laisser aller à l'une comme à l'autre.
Je trouve bien choisi le titre de l'appel au rassemblement** du 5 avril:
Le président Sarkozy a voulu créer un ministère de l'identité nationale (et d'autres choses). J'en attendais beaucoup: qu'on me dise enfin ce qu'est l'identité française! Après une dizaine de mois d'exercice, ce ministère ne m'a toujours pas éclairé. Ce n'était pas son but, sans doute, et le ministre lui-même serait en peine de faire cette définition en toute clarté. On peut même supposer que l'idée qu'il s'en fait est assez éloignée d'une idée politiquement acceptable au vu de cette anecdote qu'il colporte comme un "grand beunaye"*** (ainsi que l'on disait dans mon village): sur une aire d'autoroute, il se sent reconnu par deux ou trois noirs, qu'il salue et à qui il demande d'où ils viennent; de Caen, répondent-ils… Et il trouve ça drôle!
Mais cette notion, même vague, d'identité nationale nous constitue en un tout plus que politique, plus qu'organique puisqu'elle nous dote d'un esprit, d'une personnalité, et peut-être même d'une âme… Elle n'est pas loin de nous obliger à penser la nation comme individu.
Et elle permet d'asseoir la politique d'immigration du ministère de l'identité nationale en faisant ignoblement appel à la pulsion xénophobe de l'individu-nation.
Face à cela, je ne peux que récuser l'identité nationale à laquelle on veut me faire adhérer, et pourtant je dois satisfaire à tous les critères que l'on avance: né français de parents français nés sur le sol français, parlant couramment le français, connaisseur des habitudes culturelles française… tout ce que vous voudrez de français, je vous le fais! Mais pas l'identité nationale de messieurs Sarkozy et Hortefeux!
* Ce "nous" n'est pas un "nous" de majesté. Il est là parce que c'est comme ça…
** Rassemblement auquel je me joindrai vers 14h 45, après m'être prélassé à la terrasse du café qui se trouve à l'angle de la place avec le boulevard de l'Hôpital. J'y aurai relu avec attention A quoi sert "l'identité nationale", de Gérard Noiriel (éditions Agone), emmitouflé dans mon écharpe noire portant un "marsupilami" brodé.
*** "Grand benêt".
Addendum:
Trouvé sur le blog L'air de Paris, de Sylvain Besson, correspondant du «Temps» en France, cette courte note:
"Sans son ministère de l'Identité nationale, Nicolas Sarkozy n'aurait peut-être pas été élu président. Mais aujourd'hui, Brice Hortefeux préfère éviter le sujet. Je lui ai posé la question ce matin à l'Assemblée nationale: «La promotion de l'Identité nationale, ça avance?» Réponse du ministre: «Vous définissez ça comment, vous?»
Brice Hortefeux précise qu'en 10 mois d'activité, son ministère n'a pas pondu un seul document expliquant ce qu'est l'Identité nationale de la France. «On pourrait mener une réflexion à ce sujet», hasarde-t-il. Et il ajoute comme pour se défendre: «Partout où je vais en Europe, les gens me parlent de leur identité.» Alors pourquoi est-il si réticent à en parler? Peut-être parce que l'identité nationale, ça n'existe pas? Allons donc..."
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