Un jour, un malheureux (notre semblable), qui avait le souci des vues simples, demandait à un mycologue de lui désigner les champignons en se bornant à prononcer si l'on pouvait ou non les manger. Le mycologue lui répondit : "Les imbéciles peuvent manger tous les champignons."
André Dhôtel, Rhétorique fabuleuse, Le temps qu'il fait, 1990.
L'alerte au "mystérieux rejets d'iode radioactif", n'a pas duré bien longtemps...
Le 15 novembre, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a annoncé qu'avait été détectée une présence "tout à fait inhabituelle" d'iode-131 dans notre atmosphère. L'Institut précisait, avec l'ingénuité qui lui est peut-être habituelle, que cette émission intempestive semblait provenir d'un pays étranger, probablement centreuropéen, et appelait "le coupable à se dénoncer et les pays européens à coopérer pour le démasquer".
Deux jours plus tard, les journaux pouvaient victorieusement titrer : "Les rejets d'iode radioactif en Europe proviennent de Hongrie", sur la foi d'une dépêche de l'AFP qui relayait un communiqué de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) qui avait été informée par l'Autorité de l'énergie nucléaire de Hongrie
"que l'iode-131 détecté dans l'atmosphère en Europe était probablement dû à une fuite provenant de l'Institut des Isotopes, situé à Budapest".
(Tout cela est si transparent que la Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité (CRIIRAD) vient de demander "une expertise sur la contamination du site hongrois".)
Enfin rassurés, les amateurs de champignons, sûrs de pouvoir reconnaître ceux qui seraient venus en courant des environs de Budapest, ont pu reprendre les chemins des sous-bois...
Pour la douzième (et dernière) fois, un convoi ferroviaire, contenant des déchets hautement radioactifs, retraités par Areva à La Hague, doit partir de la gare de Valognes en direction de Gorleben en Allemagne. Il devrait être formé de onze wagons transportant les déchets vitrifiés dans leur emballage cadeau, joliment appelé "Castor" (c'est un sigle : Cask for Storage and Transportation of Radioactive Material). Devraient s'y ajouter trois voitures au format voyageurs, dont deux réservées aux forces de sécurisation de l'expédition. Au préalable, les déchets auront été acheminés par camion, sur 36 km, de l'usine jusqu'au terminal ferroviaire...
Aux personnes sensées qui s'étonnent que de telles procédures soient pratiquées, monsieur Julien Duperray, qui exerce les fonctions délicates de "porte-parole d'Areva chargé des transports", répond :
"Ce train est une forteresse roulante, (...) à vide, les castors pèsent 102 tonnes pour 14 tonnes de chargement dans un emballage métallique de 40 cm d'épaisseur".
Les emballages "résistent à tous les tests de sûreté", chute de neuf mètres sur surface indéformable, incendie de 800 degrés ou immersion de 200 mètres, a-t-il ajouté.
De telles précisions vous feraient presque regretter qu'il n'y ait pas davantage de champignons le long des voies ferrées.
cette affiche contient quelques inexactitudes.
(Voir plutôt le blogue de Valognes Stop Castor.)
D'après l'Express, Greenpeace et Europe Ecologie les Verts (EELV) ont appelé à un rassemblement mardi à 18h, mais ne s'associent pas à la tentative de blocage du train.
D'après Ouest-France, Sortir du nucléaire et Sud-rail n’appellent pas non plus à bloquer le train de déchets nucléaires allemands, mais à se rassembler le long de la voie ferrée (vingt et un lieux de rassemblement seraient d’ores et déjà prévus).
On dirait bien qu'avec ces organisations, très raisonnables et toutes pénétrées de la complexité des choses, il est inutile de chercher à appuyer sur le champignon pour accélérer l'inéluctable abandon du nucléaire.
Ça leur donne peut-être le vertige...
Comme doit leur donner le vertige la lecture de la tribune, intitulée Panique chez les nucléocrates, que le collectif "Valognes Stop Castor" a placée dans Libération.
Il doit leur paraître trop lucide et radical, ce texte qui appelle, dans la tiédeur ambiante, "le retour pratique d'un mouvement anti-nucléaire décidé, c'est-à-dire décidé à soulever l'hypothèque que le nucléaire fait peser sur tout futur possible", et qui affirme, à l'encontre de toutes les règles molles du consensus démocratique :
Il faut se battre, là où il est exclu de débattre.
Et termine sur ce point, sans doute inacceptable par ceux qui devraient être les "alliés naturels" du collectif :
Mais pour commencer, il nous faut bloquer ce train, afin d'éprouver notre puissance d'agir collective et ouvrir d'autres voies que l'apocalypse promise, pour les siècles des siècles.
Le préfet de la Manche, monsieur Adolphe Colrat a pris hier un "arrêté portant interdiction de manifestation", qui pèse tout de même 439,16 kB, selon le site de la préfecture.
En résumé, et réparti en trois articles, cela dit :
Toute manifestation organisée sur la voie publique à compter du mardi 22 novembre 2011 à 8 heures jusqu’au jeudi 24 novembre 2011 à 23 heures est interdite. Cette interdiction s’applique sur le territoire suivant : le terminal ferroviaire AREVA de VALOGNES et un rayon de 500 mètres autour, la gare SNCFSociété nationale des chemins de fer français de VALOGNES avec un rayon de 500 mètres autour ainsi que la ville de VALOGNES, la gare de CARENTAN avec un rayon de 500 mètres autour, la portion de voie ferrée partant du terminal AREVA de VALOGNES jusqu’à la gare de LISON (partie manchoise) et 500 mètres de part et d’autre.
On peut noter, parmi les "CONSIDERANT" de la préfecture, des "considérations" assez diverses, telles que :
CONSIDERANT l’appel à manifester du 22 au 24 novembre 2011 à VALOGNES lancé depuis plusieurs semaines par de nombreux groupes antinucléaires en vue de bloquer par tous moyens un convoi ferroviaire baptisé « CASTOR » au départ du terminal ferroviaire de ladite ville et tout au long de son cheminement ;
ou bien :
CONSIDERANT que des militants de groupes anarchistes prônant le recours à la violence contre l’Etat et contre le nucléaire ont fait part de leur intention d’être présents ;
CONSIDERANT l’ampleur de la menace, son caractère protéiforme et le caractère très étendu des lieux ;
et d'autres encore.
Heureusement, face à " l’ampleur de la menace, son caractère protéiforme et le caractère très étendu des lieux", monsieur le préfet a pu compter sur la bonne volonté des élus locaux qui ont accepté d'interdire le stationnement automobile à l'entour des gares de Valognes et de Carentan.
Car on ne sait jamais...
Pour compléter, il a été décidé de fermer, pour la journée de demain, les deux collèges et le lycée de la ville de Valognes.
Car on ne sait jamais...
On voit que les dispositions prises sont encore plus spectaculaires que lorsque monsieur le président de la République vient se faire siffler dans la Manche(*).
Ainsi devient-il évident que le train du progrès est surtout le train de la peur entretenue.
Ça, on le sait bien.
(*) Ledit président était aujourd'hui à Toulouse, où il a été applaudi, bien sûr, et où il a réaffirmé sa foi dans le progrès :
"J'ai la tristesse d'entendre de plus en plus de discours remettant en cause l'idée même du progrès, y compris dans des domaines jusqu'à présent incontestés de notre pays, qui faisaient l'objet d'un consensus politique entre la gauche et la droite."
Ajout du 23/11 :
Toujours peu d'échos dans la presse ce matin.
On peut toutefois relever qu'un "un photographe de l'AFP" (on se demande où sont les journalistes...) a constaté que "les forces de l'ordre ont fait usage de grenades lacrymogènes mercredi 23 novembre au matin contre les manifestants antinucléaires le long de la voie ferrée près de Valognes que doit emprunter un train de déchets nucléaires allemands que des antinucléaires veulent bloquer".
La redondance étant une figure de style habituelle de l'Agence, on lit un peu plus loin :
Des centaines de militants se trouvaient le long de la voie ferrée et les forces de l'ordre ont fait usage de bombes lacrymogènes peu après 8h et menacé de faire usage d'"explosifs", selon la même source, sans autre précision sur la signification de ce terme.
La "même source" me semble désigner le photographe égaré dans la campagne manchoise...
Ajout n°2 :
En fin de matinée, quelques médias ont mis en place, sur leurs sites, un déroulé des événements en direct.
Ainsi la version des autorités, ainsi que celle d'Areva, vous seront plus accessibles.
Par ailleurs, le réseau "Sortir du nucléaire" tient lui aussi un fil info.
4 commentaires:
Je ne connaissais pas l'existence de ce train et je vais m'empresser de fouiller le site du collectif.
Quant à vous, Guy, merci encore pour toutes ces références notamment celle de la "Rhétorique fabuleuse". Je vais également m'empresser de le trouver (le site "La route inconnue" est savoureux).
On parle peu de ce type de trains. Et je crois qu'on n'en parlerait pas du tout si les "zécolos" restaient bien tranquilles. Ce qui n'est pas le cas, surtout en Allemagne où les actions anti-castor réunissent plusieurs milliers de personnes.
("Le vrai mystère des champignons", qui se trouve dans la "Rhétorique fabuleuse" est, pour moi, l'un des plus merveilleux textes de Dhôtel...)
"Les imbéciles peuvent manger tous les champignons".
Certes, mais comment leur passer l'info, (si possible massivement) ?
;-)
Informer les imbéciles soulève un paradoxe bien délicat à trancher...
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