vendredi 11 novembre 2011

Sous le pont de Paris

Sous le pont de Paris, à Beauvais, il y a plus de place que dans un modeste logement social de la rue de Beauvais, à Paris (*), mais sans doute un peu moins de commodités. A proximité, l'eau courante ne fait que passer avant d'aller se jeter dans l'Oise pour rejoindre la Seine...

Depuis plus six mois, une trentaine de migrants a installé un campement d'infortune dans cet endroit idyllique. Ils sont, pour la plupart d'entre eux, demandeurs d'asile, en attente, forcément en attente.

Denis Girette, journaliste au Courrier picard, décrit ce "campement indigne" dans un article paru le 27 octobre. Il a passé une soirée sous le pont, en compagnie de Francky Mangoni, qu'il présente comme un "Congolais élu président de cette communauté errante et mondialisée", et il livre ces "choses vues" comme à distance, sans trop de misérabilisme ajouté, ce qui les rend plus choquantes.

Son confrère Olivier Hanquier a entrevu monsieur Nicolas Desforges, préfet de l'Oise, et noté ses propos, publiés à la même date dans le Courier :

Vous êtes-vous déjà rendu sous le pont de Paris à Beauvais ?

Bien sûr, à plusieurs reprises.

Et alors ?

Je ne suis pas satisfait de la situation de ces demandeurs d'asile, mais l'État, et j'en suis le garant, applique la loi dans cette affaire. La loi est d'ailleurs très protectrice pour les demandeurs d'asile. Il faut remettre les choses dans leur contexte.

On sent bien que la distanciation est là d'une tout autre nature...

Et le très humaniste "garant" de l'État, ancien élève de l'ENA - promotion "Solidarité" -, après avoir longuement détaillé les affres stratégiques et calculatoires d'un qui "gère les demandeurs [d'asile] de toute la Picardie", de promettre au journaliste qui s'inquiète :

Il n'y aura pas de demandeurs d'asile sous le pont cet hiver.

Ici, la TVA restera inchangée.
(Photo : LP/P. CO.)


Une délicate initiative des édiles de la ville de Beauvais pourrait bien aider monsieur Desforges à tenir cette promesse.

En effet, madame Caroline Cayeux, maire de Beauvais et toute nouvelle sénatrice - groupe UMP et membre de la commission des affaires sociales -, a inventé, avec son équipe, d'entamer, à l'encontre des migrants du pont de Paris, une procédure judiciaire d'expulsion, au motif qu'ils occupent "sans droit ni titre un domaine public routier". On appréciera que cette décision soit présentée sur fond de "raisons humanitaires" :

"Les migrants sont confrontés à des problèmes d'insalubrité, à des risques sanitaires ou même d'accidents avec les bombonnes de gaz qu'ils utilisent", justifie Tidiane Koita, directeur du pôle Solidarité à la Ville.

Afin sans doute de bien "remettre les choses dans leur contexte", l'article du Courrier picard poursuit :

Caroline Cayeux a écrit à de nombreuses reprises au ministre de l'Intérieur "afin qu'il soit mis en place un hébergement provisoire par l'État", comme indiqué dans l'assignation en référé. Comme elle l'a déjà rappelé à de nombreuses reprises, la municipalité réclame une meilleure répartition de la prise en charge des demandeurs d'asile à l'échelle régionale.

Cette "meilleure répartition (...) à l'échelle régionale", le préfet en parle, lui aussi...

Elle n'est pas vilaine non plus, la cathédrale d'Amiens...
(Vue du jardin de l’évêché, où l'on pourrait peut-être camper.)
(Photo : Yvette Guyette.)

On parle moins du "trouble à l'ordre public".

Il est vrai que, s'il y a troublant désordre, les migrants du pont de Paris semblent en être les premières victimes. Un article de Pauline Conradsson, publié le 29 octobre dans Le Parisien, fait état de Relations tendues entre migrants et SDF - c'est le titre.

Des insultes à répétition, des violences parfois. A Beauvais, sous le pont de Paris, l’ambiance entre les sans-domicile-fixe et les demandeurs d’asile est pour le moins tendue. Paroxysme de ce malaise, dans la nuit du 11 au 12 octobre, une personne encagoulée a essayé de mettre le feu aux haies situées le long du camp de fortune des demandeurs d’asile.

Elle a ensuite aspergé de gaz lacrymogène les toiles du campement sous lesquelles dormaient les migrants. Quatre d’entre eux ont dû être hospitalisés. Certains ont cru reconnaître un SDF. L’enquête est en cours.

L'enquête étant toujours en cours, on admettra que, comme le tablier du pont de Paris, les sans-logis puissent avoir le dos large.

En tout cas, ils n'ont pas lancé la procédure judiciaire...

... qui suit son cours.

Deux huissiers se sont présentés sous le pont de Paris, le 4 novembre, à 8 h 30, pour signifier aux occupants une assignation à comparaître, devant le tribunal de grande instance de Beauvais, le jeudi 10 novembre à 9 h.

Le communiqué de presse de Solidarité Migrants Oise n'a guère été repris...

Un articulet du Courrier picard, mis en ligne, hier, en fin de matinée, nous informe que les migrants assigné à comparaître "se sont rendus dans le calme au tribunal" - fallait-il donc qu'ils s'excitent ? - mais que "l'audience a vite été écourtée". La défense, représentée par Me Virginie Bellagamba, qui n'a pu rendre connaissance des pièces de la partie adverse que la veille, a demandé, et obtenu, le renvoi.

La séance est donc reportée au jeudi 17 novembre, à 9 heures.

En attendant, les services culturels de la mairie de Beauvais pourraient distribuer aux demandeurs d'asile quelques invitations au festival "Aux couleurs de l'Afrique" qui se déroule actuellement, en partenariat avec la Ville...

C'est tellement chaleureux, la culture africaine,
si proche et si lointaine, et tout ça...



(*) Il n'existe pas de rue de Beauvais à Paris, c'est donc le meilleur endroit possible pour y situer des logements sociaux.

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