samedi 26 novembre 2011

Cantine de luxe et/ou restau pas cher

Si j'en crois un jeune et brillant historien rouennais, interrogé par mes soins à l'heure de l'apéro, il est faux de croire que la célèbre Croix de Pierre est une fontaine en forme de clocheton.

Non.

L'édifice qui encombre cette placette, où convergent les rues Saint-Vivien, Saint-Hilaire, Orbe, Edouard Adam et des Capucins, est en réalité un clocheton maquillé en fontaine.

Ce serait, selon cet informateur qui me semblait bien informé, l'extrémité sommitale de la tour d'une église jadis consacrée à sainte Audrobèque. On dit que cette jeune chrétienne, qui habitait le quartier au IVe siècle et y gardait ses moutons à l'occasion, fut immergée dans la rivière toute proche, et ce, jusqu'à ce que mort s'ensuive, après avoir subi les derniers outrages de la part d'une compagnie de reîtres mal dégrossis qui manquaient singulièrement de religion. On lui attribua naturellement nombre de miracles et elle fut canonisée par un pape déjà gâteux - il y en a toujours eu, et c'est peut-être à cela qu'on les reconnaît - qui la rangea, par erreur ou par dérogation, parmi les vierges et martyres. Quant à la rivière où la sainte fut noyée, elle prit son nom, déformé d'abord en Eau-de-Robec, puis abrégé en Robec.

On ne sait trop si ce fut par une abondante coulée de boue ou à la suite de l'effondrement d'une marnière que fut ensevelie l'église. Peu importe, l'essentiel est que la croix resta debout, ultime miracle de la petite bergère.


Le clocheton de la Croix de Pierre.
(Photo d'une certaine époque.)

Le promeneur désireux de découvrir ce joyau du patrimoine rouennais devra excentrer ses pas et se dépayser des environs trop connus de l'hypercentre. Ainsi pourra-t-il, en toute tranquillité, apprécier l'architecture tordue de ce vieux quartier dont les colombages commencent à être mis en valeur et en couleurs. S'il peut lui arriver de croiser quelques groupes de touristes égarés, il ne doit pas s'en inquiéter, leurs guides, qui par ailleurs ignorent pour la plupart la véritable histoire authentiquement fabuleuse de la Croix-de-Pierre, les ramènent en général dans des quartiers plus classieux pour le déjeuner.

Le voyageur averti profitera de l'heure méridienne pour aller, quant à lui, se restaurer à proximité, au débouché de la rue Saint-Hilaire – au 149, pour être redoutablement précis -, à l'enseigne de "La Conjuration des Fourneaux, cantine de luxe et littérature explosive".

L'ouverture de ce restaurant-librairie, qui propose "des plats succulents et des cafés débordants au milieu de livres passionnants" a été saluée, en son temps, par un article élogieux de Paris Normandie, encore affiché, dont le flâneur pourra prendre connaissance avant d'entrer.

Titré

Cantine de luxe et pas cher,

et chapeauté d'un

INEDIT. Le plat au prix du kebab, c'est le défi de ce resto situé à la Croix-de-Pierre et qui fait aussi librairie,

cet articulet lui apprendra que

A la fois cantine et lieu de culture et d'échange, ce projet associatif est porté par un groupe de trentenaires rouennais.

Poursuivant sa lecture, il découvrira que "leur point commun" est "un goût pour les manifestations, les piquets de grève et la discrétion".

Sans doute se dira-t-il que ce goût signalé de "la discrétion" doit se doubler d'un certain goût du paradoxe pour que ce "groupe de trentenaires rouennais" ait ainsi travaillé pendant deux ans pour "transformer cette ancienne pharmacie en un lieu accueillant" avec pignon – ou plutôt façade – sur rue.

Un dernier fragment abscons de cette prose retiendra peut-être son attention avant d'entrer :

Cette « cantine de luxe » a pour but de conjurer le sort en opposant un plat traditionnel à un plat exotique.

Que cela ne l'empêche pas d'entrer, le menu du jour - "10 € pour une formule entrée, plat, dessert et café" – ne devrait pas le décevoir s'il peut encore apprécier de bons produits, simplement mais bien cuisinés, servis en assiettes copieuses, dans un cadre confortable.

Photo prise discrètement par l'un(e) des conjuré(e)s.

Notre ami(e) de Paris Normandie note, cum grano salis, que "ce restaurant est aussi une librairie" où "poésie, philosophie, histoire et romans côtoient le sel et le poivre"... "Les ouvrages proposés", nous dit-on, "ont tous marqué les créateurs de ce restaurant".

Ça tombe bien, moi aussi...



PS : La phrase conclusive de l'article de "not'journal" laisse entendre que "La Conjuration des Fourneaux" entend aussi devenir "un lieu de débat politique ouvert à tous".

Signalons qu'y fut organisée, le 10 novembre, une première rencontre avec un militant anti-nucléaire allemand.

2 commentaires:

Olivier a dit…

wow! une grande envie de connaître cette "conjuration" m'envahit! Une grande envie de passer le long du Robec dont j'ai vu quelques photos et autour duquel, peut-être, nous ferez-vous un article un de ces jours.

Guy M. a dit…

Le Robec est maintenant un ruisseau factice, mais le quartier mérite encore une promenade malgré tout...

Alors, bienvenue à vous, à l'occasion.