Pour ouvrir un album intitulé Blues par l'étude opus 10 n°12 de Frédéric Chopin et le clore par la mélodie opus 84 n°1 de Gabriel Fauré, il faut avoir une conception assez œcuménique de la forme blues.
(Du reste, les oreilles dogmatiques qui traînent un peu partout ne repèreront qu'un seul morceau de ce disque auquel attribuer le label rouge, l'attestation d'origine contrôlée et la certification "blues" élevé en plein air, mais tant pis pour elles.)
En décidant, en 1982, d'enregistrer ce disque, Colette Magny envisageait de prendre comme une "récréation", mais aucunement de faire des concessions.
La basse qui soutient l'étude "révolutionnaire" de Chopin roule comme les vagues d'assaut d'une foule en révolte. Silence. Accalmie : Anne-Marie Fijal joue l'introduction de Strange Fruit, de Lewis Allan (aka Abel Meeropol), que peu de chanteuses ont osé reprendre après Billie Holiday :
Plus loin, comme en écho, Colette Magny prête sa voix à The Meeting, l'hymne du Black Panther Party, d'Elaine Brown, soutenue par le violoncelle d'Hélène Bass et le piano d'Anne-Marie Fijal.
Mais Colette Magny se fait aussi plaisir en interprétant de petites choses comme My heart belongs to Daddy, de Cole Porter, où elle s'accompagne au piano "sommaire". Et, à vrai dire, on partage son plaisir...
Plus acide, son interprétation de Mon homme, la scie de Maurice Yvain (avec Albert Willemetz, Channing Pollack et Jacques Charles), popularisée par Mistinguett, jazzifiée en My Man. Elle la fait suivre d'une Titine largement rigolarde et parodique.
(Hélas ! je n'ai pas trouvé ces titres sur la Toile youtubique.)
Avant de conclure l'album, Colette Magny offre une seconde version de son Melocoton, cette chanson qu'elle avait déclaré morte au Vietnam.
La conclusion est un poème de Sagesse, de Paul Verlaine, mis en musique par Gabriel Fauré. Si j'en crois la pochette du CD (Le Chant du Monde), l'interprète aurait pris des cours auprès d'un professeur de chant classique durant les mois précédant cet enregistrement. Je ne suis pas sûr de l'entendre...
J'entends Colette Magny poser sa voix comme Colette Magny la posait sur tout texte, sur toute mélodie.
Et j'entends encore à quel point c'était beau.
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
- Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
Paul VERLAINE, Sagesse (1881)
5 commentaires:
Chopin, Fauré, Strange Fruit et The Meeting, c'est l'évidence même, la nudité (bonne vingt-septième année de merde à ceux qui m'ont piqué le disque en même temps que tous mes bouquins).
Le ciel est, par-dessus le toit..., Louis Arti le chantait à Strasbourg dans les années 70 sur une autre musique ; on était cinq ou six contre le froid dehors, je le chante encore, personne ne peut me le piquer.
Trois cents mètres de blues encore : bottes de brouillard, silence de terre, nuit nue.
On a beau s'y attendre un peu (on n'est pas dans L'Escalier par hasard), un tel billet, c'est comme une fleur en papier qui se déplie rien que pour soi.
Alors voilà pour tes étrennes...
Et pour les miennes, je garde le nom de Louis Arti, que je ne connaissais pas.
Une très grande dame... qui nous manque. Les médias n'ont pratiquement rien dit d'elle à sa mort, quelques lignes, c'est tout. Comme ils le faisaient déjà de son vivant. Oui, elle manque cruellement.
Elle manque, mais on ne l'oublie pas...
merci monsieur Guy M. de m'avoir fait entendre quelques titres de cet album, que je vais me dépêcher d'acquérir...dommage que cela ne lui rapporte rien!
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