jeudi 23 décembre 2010

Noël clandestin au Pays Basque

Aurore Martin n'a jamais été aussi visible, dans la presse nationale, que depuis qu'elle a annoncé sa décision "d’arrêter [son] contrôle judiciaire et de ne plus [se] montrer publiquement". Elle est ainsi devenue, pour TF1 news, "cette militante basque qui défie la justice française".

Mais ne comptez pas trop sur TF1 pour savoir ce que défie et piétine la justice française, lisez plutôt l'intégralité de la lettre qu'Aurore Martin a adressée à Euskal Herriko Kazeta (Journal du Pays Basque), et que je copicolle en annexe à ce billet.

L'article de Karl Laske, dans Libération, rappelle qu'Aurore Martin est "visée par un mandat d’arrêt européen émis par l’Espagne" et résume ainsi les "charges" retenues contre elle :

Le problème, c’est que l’Espagne reproche à Aurore Martin sa «participation à une organisation terroriste» sur la base de sa présence à des conférences de presse de Batasuna, en 2006 et 2007, à Pampelune, et son appartenance, alors, au bureau national du mouvement. En outre, elle a été salariée en 2006, du groupe parlementaire d’EHAK, le Parti communiste des terres basques… interdit en 2008.

Ce mandat d'arrêt européen a été validé le 23 novembre par la Cour d'appel de Pau, et, la semaine dernière, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par Aurore Martin.

La décision de la justice française de se rendre aux raisons de la police-justice espagnoles offense le simple bon sens. Celui-ci s'exprime, par exemple, dans les propos de monsieur Max Brisson, conseiller général UMP des Pyrénées-Atlantiques, que l'on ne peut suspecter de sympathie excessive avec parti indépendantiste basque Batasuna - il prend d'ailleurs des gants diplomatiques assez épais pour en parler :

"Je n'accepte pas que son parti, Batasuna, ne condamne pas sans réserve la violence et le terrorisme, mais je n'accepte pas davantage qu'une jeune française soit extradée pour ses convictions politiques et son appartenance à un parti qui n'est pas interdit en France."

Monsieur Brisson a tenu à faire cette déclaration "à titre personnel" au conseil général, le 17 décembre, et a souhaité que "l'assemblée dise qu'elle ne veut pas que l'une de ses concitoyennes soit extradée vers un pays étranger, fût-il voisin, ami et démocratique".

Lundi dernier, avant que la lettre d'Aurore Martin ne soit connue, le Conseil régional d'Aquitaine a adopté, à "une très large majorité d'élus, toutes sensibilités confondues", une "motion demandant au gouvernement français de ne pas procéder à l'exécution de l'extradition de la jeune femme".

Bien que «juridiquement possible», cette extradition «serait basée sur des faits non répréhensibles sur notre territoire, tels que l’appartenance à un parti politique et la participation à des manifestations publiques», ont souligné les élus.

Sud-Ouest donne, en encadré, l'avis d'un magistrat de Cour d'appel de Pau :

"La décision de transfert en Espagne est exécutoire, Aurore Martin sera inscrite au FPR [fichier des personnes recherchées] et des recherches seront engagées dès lors qu'elle ne répondrait plus aux obligations du contrôle judiciaire auquel elle est soumise."

Les voies de recours juridique ont été explorées, en vain, mais comme le souligne Askatasuna, le comité de soutien aux prisonniers politiques basques :

"La bataille n'est pas juridique, mais politique, et nous allons la mener jusqu'au bout. Nous n'accepterons pas que nos droits civils et politiques soient bafoués. Après Batasuna, nous savons que ce sont les militants syndicaux ou associatifs qui seront visés, et pourquoi pas des journalistes et des élus. Le mandat d'arrêt européen constitue un nouvel outil de répression pour les gouvernements."

Mobilisation à Saint-Jean-Pied-de-Port.
(Photo Patrick Bernière/Sud Ouest.)

Un blogue regroupe les informations sur la mobilisation en cours. Pour y accéder, il suffit de cliquer sur la bannière:



Annexe: La lettre d'Aurore Martin.

Le coup de massue est tombé!

Me voilà amenée à vous écrire une lettre d’un genre particulier.

Je m’adresse à vous tous aujourd’hui pour vous exprimer toute mon indignation, mon inquiétude, ma peur, mais aussi toute ma détermination et ma volonté de me battre.
Il est l’heure de défendre nos droits civils et politiques avec force, ce précédent ne laisse rien présager de bon.

L’inacceptable est-il acceptable ? Bien sur que non ! Cependant l’histoire du Pays Basque nous a souvent démontré que l’inacceptable était possible : les extraditions, les multiples mandats d’arrêt européens délivrés à des dizaines de militants politiques (Segi, Askatasuna, Udalbiltza…), l’existence des législations et tribunaux d’exceptions à Paris et Madrid, la pratique de la torture dans les commissariats et casernes espagnoles, les partis politiques interdits, deux quotidiens fermés et ses journalistes torturés et incarcérés, les arrestations massives, la disparition et la mort de Jon Anza… Tout cela existe, cette répression est normalisée, c’est le lot quotidien du Pays Basque, des Basques. Cela est possible car les principales formations politiques en France et en Espagne, avec la complicité de leurs relais locaux, le permettent, le défendent et pour certains le laissent faire par leur silence coupable. Il est temps de prendre vos responsabilités !

Je n’ai pas été surprise par le verdict de la Cour de Cassation. Nous le savions depuis longtemps, dans les affaires basques, les justices espagnole et française sont là pour appliquer des décisions politiques. Depuis mon incarcération à Seysse, les dés étaient jetés, le reste n’était que de la mise en scène, une belle mascarade. Tout cela pour arriver à leur fin, l’illégalisation de fait de Batasuna par l’Etat français, de toute la gauche abertzale, et plus s’ils le jugent nécessaire. Une illégalisation sournoise menée main dans la main avec l’Espagne.

Une preuve de plus que l’Etat français est un acteur majeur et direct du conflit politique basque. En acceptant ce MAE, Paris ne fait que renforcer ses choix politiques : la répression et la négation du Pays Basque ; une négation qui est à l’origine de ce conflit. Il n’y aura pas de solution juste donc définitive tant que la France ne reconnaîtra pas l’existence politique du Pays Basque nord.

Ce nouveau saut répressif a lieu au moment où la gauche abertzale multiplie ses efforts en faveur d’un processus démocratique de résolution de ce conflit. Mon Mandat d'Arrêt Européen et le maintien dans l’illégalité de la gauche abertzale sont des obstacles à sa mise en place. Tous les acteurs du conflit doivent pouvoir participer à ce processus en toute normalité ; dans ce sens, la gauche abertzale doit être légalisée sur l’ensemble du Pays Basque et toutes les poursuites judiciaires à son encontre stoppées.

Malgré cette répression, ces provocations, Batasuna réaffirme son engagement en faveur de ce processus démocratique. Dans ce sens, nous mettrons tout en œuvre pour qu’il puisse aller jusqu’à son terme.

Je n’ai pas l’intention de me soumettre aux autorités espagnoles, ni de faciliter à la France l’exécution de mon Mandat d'Arrêt Européen. Depuis quelques jours, ma vie a quelque peu changé. En effet, mon activité politique est interdite en France, en Espagne et en Pays Basque. Je n’ai pas d’autre choix que de me cacher pour pouvoir continuer mon activité politique au sein de Batasuna. J’ai donc décidé d’arrêter mon contrôle judiciaire et de ne plus me montrer publiquement. Je suis en Pays Basque, parmi vous, grâce à vous, grâce aux nombreux amis et soutiens qui m’ont accueillie et ouvert leurs portes. En Pays Basque, il y a une valeur qu’on ne nous enlèvera jamais, c’est celle de la solidarité.

Merci à tous, proches, amis, militants, élus… pour tout le travail accompli. Sans vous tous, cela ne serait pas possible. Continuons ce travail, rassemblons-nous, créons entre tous un rempart contre la répression, créons les conditions de la résolution de ce conflit, créons les conditions de la reconnaissance politique du Pays Basque nord.

Pour terminer cette lettre je vous demande d’avoir une pensée pour les militants incarcérés ou réfugiés, et leurs familles, qui, comme moi, vont passer les fêtes de fin d’année loin de leurs proches.

Merci.

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