dimanche 18 avril 2010

Un petit sourire, monsieur Rimbaud...

J'ai beau m'abîmer les yeux à la contemplation de ce nuage de pixels à dominante sépia qu'on nous présente, depuis jeudi dernier, comme la trace la plus nette du visage d'un trentenaire nommé Arthur Rimbaud, mon intime conviction tarde à se rallier au consensus...

Il est vrai que je ne suis guère physionomiste, et je dois reconnaître que j'ai parfois du mal, surtout le matin, à me reconnaître moi-même. J'ai déjà raconté, à l'époque où, en son adolescence, ce blogue était tout à fait génial, comment, lassé de ma ressemblance avec Alain Delon - car cela m'obligeait à parler de moi à la troisième personne -, je me suis laissé pousser une élégante barbiche complétée d'une fine moustache, afin de reprendre, à mes yeux, figure humaine.

Évidemment, nul parmi mes proches n'avait remarqué cette fâcheuse ressemblance.

Cela ne peut que me faire irrésistiblement penser à l'irrésistible début de Paris ne finit jamais, où Enrique Vila-Matas, nous présente le narrateur partant pour Key West, en Floride, pour participer au "traditionnel concours de doubles de l'écrivain Ernest Hemingway".

Cela fait je ne sais combien d'années que je bois, grossis et crois - contrairement à ma femme et à mes amis - que je ressemble physiquement de plus en plus à l'idole de ma jeunesse, à Hemingway. Comme personne ne m'a jamais approuvé sur ce point et que j'ai un caractère bien trempé, j'ai voulu donner une leçon à tout le monde et, grâce à une barbe postiche - dont j'ai pensé qu'elle améliorerait ma ressemblance avec Hemingway - , je me suis présenté, cet été, au concours.

Je dois dire que j'ai été d'un ridicule achevé. En effet, je suis allé à Key West, me suis présenté au concours et me suis retrouvé dernier ou, plutôt, j'ai été disqualifié, pis, écarté de la compétition non pas à cause de ma barbe postiche - ils ne l'ont pas découverte -, mais de mon "absence totale de ressemblance physique avec Hemingway". (1)

Le vainqueur du concours 2009.

Parfois, fatigué de rechercher les sept ressemblances probantes, j'imagine qu'un écrivain, qui ni tout à fait Vila-Matas, ni tout à fait un autre, pourrait nous raconter cette histoire de libraires d'ancien qui achètent un lot de vieilles photographies dans une brocante miteuse et y découvrent une épreuve de format carte postale, portant au dos la mention "Hôtel de l'Univers", qui capte leur attention jusqu'à la fascination.

Pour eux, l'un des personnages de cette photographie de groupe est le "sieur Rimbaud, se disant négociant"...

A la fin du récit, nos deux héros exténués, qui n'ont pu persuader qui que ce soit de leur intuition, mais qui sont parvenus à la fin de leur voyage, évoquent une dernière fois, avant de se dissoudre à jamais, le cliché qui les a amenés à ce point:

Sur l’image du perron de l’Hôtel de l’Univers, il est assis mais semble sur le point de se lever. Tout son être paraît protester contre son intégration à ce rituel bourgeois de la séance du portrait de groupe, auquel, pourtant, il n’échappe pas. Il ne considère que le spectateur, comme en une muette interpellation, qui n’attend pas de réponse. Il nous regarde, il n’a rien à nous dire. (2)


A gauche, l'un des deux clichés dus à Carjat,
à droite le fameux neuvième portrait de Rimbaud.
(Pour faire comme tout le monde, j'indique, pour ce dernier:
Libraires Associés / ADOC-Photos.)

Dans la réalité, les deux libraires qui ont fait la découverte de cette image, messieurs Alban Caussé et Jacques Desse, ne sont pas de flamboyants louseurs à la Vila-Matas. Ils se présentent eux-même ("joliment", dit Mohammed Aissaoui dans le Figaro) comme des "chasseurs de trésors" qui ont acheté "quelque part en France", et pour "un prix raisonnable" le lot de photographies où ils l'ont trouvée.

Tout en réunissant le maximum d'indices pouvant confirmer leur intuition, ils ont eu l'heureuse idée de prendre contact avec un "expert", monsieur Jean-Jacques Lefrère, hématologue spécialiste des études rimbaldiennes, et, lui aussi, "chasseur de trésor".

Si l'on tient à poursuivre la métaphore de la vénerie, dans son cas il faut parler de "viandard".

Dans un article paru dans l'Express jadis, Jérôme Dupuis raconte ses débuts dans ce domaine:

Ancien élève du lycée Théophile-Gautier de Tarbes, où Lautréamont étudia un siècle avant lui, dans ce qui était alors le Lycée impérial, le jeune étudiant profite de ses vacances d'été pour rechercher les traces du séjour d'Isidore Ducasse - véritable nom du poète - en Bigorre.

Et:

«Un jour, la fille du meilleur ami de Ducasse, Louise Dazet, a descendu un vieil album de famille de son grenier, poursuit-il. Et là, soudain, je suis tombé sur la photo d'un adolescent au regard sombre. C'était Lautréamont.» (3)

Notre inventeur de trésor (4) a recours à un avis éclairé:

Fort de sa découverte, le jeune Lefrère va trouver Aragon dans son appartement de la rue de Varenne. Le vieux poète à crinière blanche s'absorbe longuement dans la contemplation du cliché et murmure mystérieusement: «Ça convient... Ça convient...»

On a connu des expertises mieux fondées.

Mais c'est probablement ce qu'a dû, en substance, dire le docteur Lefrère aux deux libraires: on trouve un agrandissement du portrait présumé de Rimbaud en couverture du dernier livre de notre spécialiste, Sur Arthur Rimbaud. Correspondance posthume. 1891-1900, paru le 15 avril, chez Fayard.

Ça convenait donc parfaitement.

Tout un tas de lettres, documents et articles
mentionnant Arthur Rimbaud,
de sa mort en 1891 jusqu'à 1900.

Ce même 15 avril, l'existence de "la" photo a été révélée au monde par un article du Figaro, et elle a été présentée au Grand Palais, où se tenait le Salon du livre ancien.

Un article de Charline Blanchard, dans le Monde, peut rassurer ceux qui s'inquièteraient du succès de ce petit montage:

A 17 h 30, une demi-heure après l'ouverture du Salon, l'épreuve était vendue à un mystérieux collectionneur français.

Sans doute pour "un prix raisonnable".


(1) Enrique Vila-Matas, Paris ne finit jamais, traduit par André Gabastou, Christian Bourgois éditeur, 2004.

(2) Ces phrases concluent l'article Un coin de table à Aden, signé de Jacques Desse et Jean-Jacques Lefrère, dans le numéro 41 de la revue Histoires littéraires.

(3) Je rappelle que le Rimbaud se reconnaît surtout à son regard clair, et le Lautréamont, à son regard sombre. Aucune confusion n'est donc possible.

(4) Il est aussi "l'homme qui a exhumé le fameux portrait de Rimbaud par Forain, l'homme qui a publié l'ultime pellicule de photos retrouvée dans la gibecière de Che Guevara le jour de sa mort". Et des tas d'autres bricoles... On dit qu'il serait sur la trace d'une photographie de Jean-Baptiste Botul, à six mois, tout nu sur un cousin de velours. Et, contrairement à Ducasse et Rimbaud, souriant...

10 commentaires:

Marianne a dit…

Et si il trouve la photo de Jean Baptiste Botul , j'espère qu'il aura la délicatesse d'en faire une photocopie à BHL .

Guy M. a dit…

J'image que BHL aurait les moyens de se porter acquéreur...

Raphaël Zacharie de IZARRA a dit…

(SUITE)

L'article de Jacques Quentin à mon sujet :

LES DESSOUS DE LA PHOTO DE RIMBAUD : IZARRIMBAUD ?

Elle lui ressemblait comme une fille peut ressembler à son père.

Avec la bonne foi, la sincérité de son âme entière, de son coeur franc (fatalement lucides), le public ne s'y était pas trompé. La France était convaincue !

Sauf que les tests ADN avaient rendu leur verdict, pétrifiant : désaccord génétique total et définitif entre la fille et son prétendu géniteur.

La douche froide.

Qui ne se souvient pas de cette douloureuse affaire Aurore Drossard, fille imaginaire de Montand ? La leçon, authentique cas d'école, doit nous inciter à adopter à l'avenir la plus extrême prudence dans ce genre d'information où la subjectivité peut brouiller les pistes les mieux balisées.

Or, avec le dernier avatar concernant Rimbaud, nous sommes dans un processus médiatico-hystérique exactement inverse : cette fois ce sont les "spécialistes" qui, enivrés de doctes fumées, se sont eux-mêmes convaincus. Et de quoi donc me demanderez-vous ? Du pire : la mine patibulaire d'un Rimbaud aux antipodes de sa légende esthétique.

La pilule à du mal à passer chez les vrais-faux admirateurs du poète de Charleville qui, avec ce bon sens inné caractérisant les profanes et les ignorants, doutent.

La découverte de la photo date de deux ans. Troublant : à la même époque un certain Izarra criait à qui voulait l'entendre -et nul ne semblait vouloir prêter sérieusement l'oreille à ses élucubrations- qu'il était l'auteur du "Rêve de Bismarck", un autre inestimable trésor rimbaldien sauvé des rebuts d'un bouquiniste de Charleville-Mézières. Décidément, le hasard facilite bien des choses dans l'environnement de cet énigmatique Izarra...

Mais revenons à la tête de Rimbaud. Les spécialistes dont le fameux Jean-Jacques Lefrère se sont basés sur quatre de ses photos (plus ou moins nettes) déjà connues et reconnues pour établir un nouveau dogme avec cette vertigineuse certitude propres aux exégètes de leur niveau, élevés au pain blanchit. La farine universitaire a d'incontestables vertus de salubrité intellectuelle... Bref, c'est avec la même conviction, pour ne pas dire la même ferveur que le "Rêve de Bismarck" fut décrété authentique.

Rien n'est plus ressemblant à un portrait qu'un autre portrait, pour peu que le coeur s'emballe. On s'interrogera sur les méthodes employées par ces imprudents spécialistes cherchant à faire passer à la postérité le visage d'un parfait anonyme confondu avec Rimbaud sous le prétexte d'une enseigne d'hôtel en guise de (fausse) piste aux stars du Parnasse, de chasse aux mythes... Bertillonnage ? Identification judiciaire ? Tests ADN ? Les rieurs riront.

Les convictions pour le moins subjectives -autant dire hautement fantaisistes- de Jean-Jacques Lefrère et ses disciples sont une bonne gifle pour nous rappeler qu'à travers ce genre de révélation sensationnelle pleine de flou artistique lié à l'univers de Rimbaud, un Izarra peut toujours en cacher un autre.

Les érudits échaudés ajouteront : aujourd'hui plus qu'hier.

Méfiance donc.

Jacques Quentin
jacquesquentin@hotmail.fr

ARTICLE ORIGINAL : http://fauxrimbaud.blogspot.com/2010/04/elle-lui-ressemblait-comme-une-fille.html

Lire le dossier complet : http://fauxrimbaud.blogspot.com/

Guy M. a dit…

Autant laisser ce double commentaire, n'est-ce pas ?

Il est posté à la suite de tout article et de tout billet concernant Rimbaud.

On peut juste regretter que cet inoffensif timbré ne soit pas plus amusant.

Dorémi a dit…

N'empêche, je ne sais pas où ils sont allés trouver quelque ressemblance que ce soit entre Arthur et l'inconnu de cette photo…

Guy M. a dit…

Je vois que tu n'es pas plus physionomiste que moi.

Et ça me rassure !

Dorémi a dit…

C'est toi qui m'as rassurée :-) Je pensais être la seule à ne pas trouver que…
Bise, monsieur Guy

Guy M. a dit…

Va falloir faire un collectif.

Bise, madame Dorémi

DoMi a dit…

Ben ça alors…
http://www.rue89.com/2010/09/11/le-petit-moustachu-en-bas-a-droite-cest-bien-rimbaud-166195

Guy M. a dit…

Comme tu dis...

Mais que va en dire notre cher Raphaël Zacharie ?