Monsieur Xavier Argenton, qui, depuis 2001, est maire de la belle commune de Parthenay, dans les Deux-Sèvres, et conseiller régional, mériterait bien de recevoir un de ces jours un premier prix dans la catégorie du "Politiquement Correct" pour sa tentative de censure d'un texte d'Ida Grinspan, ancienne déportée.
Ce texte-témoignage, rédigé pour des collégiens des Deux-Sèvres qui auraient dû le lire devant le monument aux morts de Parthenay, le dimanche 25 avril, à l'occasion de la journée nationale du souvenir des héros et victimes de la déportation, doit être lu par tous.
Le voici, tel que le reproduit le NouvelObs.com:
J’ai été, par précaution, envoyée dans les Deux Sèvres alors que j’avais 10 ans, par mes parents inquiets et soucieux que je grandisse loin de la capitale.
Je suis donc arrivée dans une famille, chez ma nourrice Alice et son mari Paul et auprès de Madame Picard, ma maîtresse d’école à qui je dois ce que je sais ; je pars non pas pour me cacher mais me réfugier ! J’ai été très bien accueillie et je suis allée à l’école communale, j’ai passé mon certificat d’étude : j’étais heureuse, même si je m’inquiétais pour mes parents restés à Paris ; maman malheureusement a fait partie de la rafle du Vel' D’Hiv en juillet 42 ; je vivais sans racisme, sans anti sémitisme de la part des voisins, de mes amies de classe et des habitants du village ! J’étais la petite juive, voilà tout.
Une armée victorieuse, mais en passe d’être vaincue, et qui ne trouve rien de plus urgent que d’intimer l’ordre à se vaincus d’aller dénicher une petite juive des Deux Sèvres pour l’expédier dans l’enfer d’Auschwitz ! La patrie des Arts menant une guerre à mort contre une enfant parmi des milliers d’autres pour le seul crime d’être née !...
J’ai été arrêtée le 31 janvier 1944 par 3 gendarmes, l’inhumanité même de ces 3 hommes, le chiffre 3 , chiffre impair qui montre bien la détermination d'être solidaires, de ne pas se laisser influencer face à la jeunesse, face aux suppliques de ma nourrice, des demandes insistantes du maire de la commune pour ne pas m’emmener moi, si jeune, si innocente, qui avait la malchance d’être née juive! Alors que les armées alliées sont en train de délivrer l’Europe des allemands, 3 gendarmes français, ont obéit aux ordres de m’emmener à Niort pour connaître le pire : d’abord le camp de Drancy, puis l’enfer d’un voyage de 3 jours dans un wagon à bestiaux, plombé, avec des hommes, des femmes et des enfants pour arriver aux camps de la mort : c’était ça La Déportation. C’était un voyage terrible, où l’on devait apprendre à vivre ensemble, à faire ses besoins dans une tinette qui a débordé au bout de quelques jours, à vivre dans la saleté, le manque d’air !
On se disait que le pire était derrière nous mais il était devant nous : quand le wagon s’est ouvert un comité d’accueil allemand avec chiens et hurlements nous attendaient pour la sélection. Je me souviendrai toute ma vie de ces hommes et femmes, enfants, vieillards qui sont partis dans des camions, pour les chambres à gaz ; moi, j’ai eu la chance si l’on peut dire, d’entrer dans le camp pour y travailler avec tout ce que l’on sait de la vie quotidienne dans les camps : nous étions des numéros, et non des êtres humains ; la déportation c’est aussi un programme de déshumanisation organisée par le régime nazi.
La barbarie s'était glissée, cette nuit d’hiver, dans un hameau que tout destinait au sommeil heureux des lieux oubliés par l’Histoire. Oui j’ai donc connu jusqu’à mes 14 ans une vie loin des fracas de la guerre, des privations de nourriture, des rafles, de l’ostracisme du gouvernement de Vichy et derrière tout cela le totalitarisme nazi organisait l’éradication du peuple juif.
Selon l'AFP-Le Monde, ce texte avait été demandé à Ida Grinspan par madame Nathalie Lanzi, professeure d'histoire-géographie au collège de la Couldre, qui l'aurait ensuite soumis à monsieur Michel Birault, un ancien gendarme et "adjoint chargé des affaires patriotiques" (ça existe !).
Cet expert en manifestations cocardières fut sans doute profondément choqué par le récit de l'arrestation de la "petite juive" de 14 ans par les gendarmes. La professeure aurait accepté de remplacer le mot "gendarmes" par "hommes", ce qui constitue, je pense qu'elle en a conscience, une révision par omission de la vérité historique...
M. Birault a présenté ensuite le texte au maire, Xavier Argenton (Nouveau Centre) qui, lui, a refusé sa lecture. "Ne stigmatisons pas une catégorie professionnelle qui, dans ces temps troubles, avait obéi aux ordres de l'autorité légitime", a-t-il dit à son adjoint. Ce texte "n'est pas de nature à apaiser les ressentiments à une époque où le repentir est malheureusement mis en exergue", a-t-il ajouté.
On notera que monsieur le maire de Parthenay se place, en présence de son adjoint, à un niveau de langage fort relevé...
Mais les ampoules dont monsieur Argenton agrémente en guirlandes le clinquant de son style ne doivent pas nous empêcher de remarquer que, dans sa volonté de ne pas stigmatiser "une catégorie professionnelle", il accorde au gouvernement de Vichy, en 1944, les prérogatives et les attributions de "l'autorité légitime".
Il ignore sans doute que bien avant 1944 cette légitimité avait, heureusement, été remise en question, en paroles et en actes, par des femmes et des hommes qui n'avaient pas eu peur du "politiquement incorrect".
Bien sûr, monsieur Xavier Argenton nie toute censure. Jean-Philippe Bois, dans son article de La Nouvelle République, transcrit cette déclaration piteuse:
« Depuis des années, la municipalité a tout fait pour donner aux cérémonies un éclat particulier avec notamment la présence de jeunes. C'est dans le sens des valeurs que nous véhiculons. Il se trouve que, dimanche, mon adjoint m'a demandé mon avis sur ce texte. Je n'ai donc donné que mon avis, car je n'ai pas pour habitude de contrôler les textes lus aux cérémonies ».
(On ne voudrait pas qu'en plus il ait le courage de ses opinions et de ses décisions...)
Jean-Philippe Bois ne semble guère convaincu, puisqu'il termine son article par ce rappel:
Pourtant le 11 novembre 2004, à l'occasion de la commémoration du 11 Novembre, ce sont des lycéens qui, cette fois, n'avaient pu interpréter la chanson de Craonne, écrite par des poilus dénonçant les injustices de la Grande Guerre.
Avant qu'elle ne soit interdite, et pour l'édification des jeunes générations, voici (encore une fois peut-être ?) la chanson de Craonne, interprétée par Marc Ogeret:
PS: Depuis des années Ida Grinspan témoigne, inlassablement. Et elle continuera de le faire.
Elle a écrit, avec Bertrand Poirot-Delpech, un livre de souvenirs intitulé J'ai pas pleuré, publié chez Robert Laffont en 2002, et repris en Pocket Jeunesse en 2003. Ce livre n'est pas épuisé, il faudra l'offrir à monsieur Argenton.
Son témoignage a également été recueilli en 2004 par le Mémorial de la Shoah et la Mairie de Paris. On peut le trouver en vidéo, sur le site du journal Le Monde.
7 commentaires:
Ça sent la pisse, celle des vrais hommes qui pissent debout.
Pisse sur les cadavres, sur les survivants, sur les résistants ; pisse sur les noms, pisse sur les mémoires, pisse sur le chant du bourdon dans la pivoine.
À Trifouillouse aussi, légèrement hors sujet mais la porte à côté (gougoliser ceci : neuffontaines+jdc+licra+mohammed+bourguignon).
Tiens, c'est marrant, samedi dernier près de Trifouillouse-lès-Neuffontaines, avec l'accordéoniste qui me sauve de l'extinction complète quand on arrive quelque part en sauvages, on nous a demandé trois fois La chanson de Craonne.
Marrant aussi, que la version Internet que tu offres ici, quelle Amazing Grace !, soit ma préférée.
Marrant. Avec des flots de pisse.
Est-ce qu'on se rend bien compte que les déportés encore vivants, soit sont très coriaces (Stéphane Hessel), soit ont été déportés enfants ? Imre Kertész était un petit garçon, Ida Grinspan une fillette. Ah... Souvenirs d'enfance...
Et Ruth Klüger aussi, qui répond à la mâle pisse en lui balançant des seaux d'insolence à chaque phrase (Refus de témoigner, éd. Viviane Hamy, 1997).
Les Grands lâchent aussi leur flot inconvenant dans des Livres d'or. Pour celui d'Auschwitz, voir — on ne peut plus de circonstance : A. Le Bihan, Auschwitz Graffiti, éd. Librio, 2000.
Quand tous les témoignages auront été anéantis à grands coups de commémorations dans la gueule, nous assisterons enfin, sans être gênés aux entournures, à l'inauguration de Disneylands parfaitement sécurisés.
Fourmi dans la tulipe saluer Guy.
...le Dit des vrais hommes: il y a un accord subtil entre les "raisons" du maire de Parthenay et les propos récents du vieux lion du FN.
Mais que des lycéens (en accord avec un(e) enseignant(e)) pensent à la chanson de Craonne (que l'on demande et redemande...) devant un sinistre monument aux morts de la Grande Guerre (ils remontent presque tous à cette époque), cela me rassure un peu: la mémoire n'est pas toujours soluble dans les flots nauséabonds et ammoniaqués.
Mon père a participé à la grande guerre , à la deuxième aussi d'ailleurs . Il n'en racontait que les épisodes rats dans les tranchées et grand verre de gnole avant de partir au front.
La chanson de Craonne a une résonance particulière pour moi .Toute mon admiration pour cette dame qui n'accepte pas que l'histoire soit réécrite plus de 65ans après .
...et si vous voulez témoigner de votre dégoût auprès de M.Aregenton, son site de campagne est toujours en ligne à cette adresse.
Sourire
@ Marianne,
Ces souvenirs-là, venus de pères ou grands pères taiseux, nous sommes encore assez nombreux, je pense, à les avoir, et la chanson de Craonne les ravive.
Elle n'est pas politiquement correcte, elle est vraie.
@ JR,
C'est gentil: son modérateur va pouvoir s'occuper...
"son modérateur va pouvoir s'occuper..."
Eh oui, je m'active pour le maintien de l'emploi dans les boulots même et surtout inutiles (je tiens à mon poste)
Par contre ton modérateur n'a pas corrigé ma faute sur le nom de ce brave (?) M. Argenton
J'en suis arrivé à faire la modération moi-même: c'est la crise.
Alors je ne fais rien (et surtout, je ne suis pas sûr de pouvoir corriger (n'oublie pas que je suis de plus en plus nul en ouaibitude)).
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