Tout le monde était très occupé, le ouiquende dernier, sur les ondes, à tenter de prononcer le nom du glacier islandais où est localisé le volcan qui produit ce nuage de cendres abrasives que l'on dit fatales aux moteurs d'avions.
C'est pourtant simple: cela s'écrit Eyjafjallajökull, et cela se prononce autrement. C'est tout.
On comprend alors que les spiqueurs et les spiquerines des infos aient renoncé à nous parler du pays basque; la langue basque est presque aussi redoutable pour certain(e)s que l'islandaise. Mais on remarquera que c'était là faire un usage excessif du "principe de précaution": il n'y avait pas grand risque à annoncer la tenue, samedi dernier, à Saint-Jean-de-Luz, d'une manifestation rassemblant 5000 personnes (4600 selon la police) à l'appel du collectif Jon Anza, pour réclamer, sur le ton de l'exigence, la vérité sur sa mort.
(Photo J.-D. Chopin, pour Sud-Ouest.)
José Maria Anza Ortuñez, dit Jon Anza, militant nationaliste basque de 47 ans, a passé une vingtaine d'années dans les prisons espagnoles et, à sa libération, s'était installé en France, où il vivait, avec sa compagne, dans le village d'Ahetz. Il était atteint d'une tumeur au cerveau, dont l'extension menaçait le nerf optique et pour laquelle il avait été opéré deux fois. Il était en train de perdre progressivement la vue.
Il y a un an, le 18 avril 2009, Jon Anza a pris, en gare de Bayonne, le train pour Toulouse, sans donner à ses proches de détails sur son voyage, ni de moyens de le joindre.
Après environ trois semaine de silence, sa famille signale sa disparition et le parquet ouvre une enquête. La réquisition adressée par la PJ aux hôpitaux, le 20 mai, ne donne aucun résultat, et un avis de recherche est lancé sur le site de la police nationale.
La routine d'une enquête un peu mollassonne...
Cependant, le 18 mai, un communiqué d’Euskadi Ta Askatasuna (ETA) avait dénoncé un "enlèvement" par des forces de sécurité espagnoles, et avait même précisé que Jon Anza s’était rendu à Toulouse pour remettre clandestinement une "importante somme d’argent" à l'organisation.
Il ne semble pas que cette hypothèse, régulièrement reprise dans les journaux basques, d’un débordement par un service espagnol ait beaucoup stimulé nos enquêteurs puisqu'il a fallu attendre encore 10 mois avant que l'on ne retrouve, presque par hasard, le corps de Jon Anza à la morgue, à Toulouse.
On a pu alors savoir que les services de secours toulousains ont pris en charge Jon Anza le 29 avril, devant un restaurant, boulevard de Strasbourg, victime "d’un accident respiratoire". Il n'avait sur lui aucun papier d’identité, ni carte bleue, ni téléphone portable, seulement un billet de train aller-retour Bayonne-Toulouse et 500 euros. Il a été admis à l'hôpital Purpan, où il est décédé le 11 mai.
Son corps, non identifié, sera transféré à la morgue où l'on peut trouver curieux qu'il soit resté si longtemps...
Mais la question principale demeure posée: que s'est-il passé entre le 18 avril et le 29 avril 2009 ?
Une autopsie est décidée. Elle aura lieu le 15 mars 2010, dans un hôpital placé sous forte protection policière. A l'extérieur, les proches de Jon Anza et les membres du collectif manifestent: la procureure de Bayonne, madame Anne Kayanakis, a refusé la présence de la famille et de son médecin de confiance lors de cette autopsie. Devant leur insistance, et dans ces circonstances assez inhabituelles, les forces de l'ordre emploient leurs moyens habituels.
En conclusion, selon la procureure, le décès de Jon Anza serait dû à une "atteinte polyviscérale neuro-cardio-pulmonaire", tout à fait "en rapport avec [son] état de santé": il fallait circuler, en effet, il n'y avait rien à voir...
Mais, beaucoup trop de faits troublants sont révélés autour de cette affaire, qu'il faut aller chercher à l'aide d'une loupe dans la presse nationale.
Celle-ci se montre, en effet, d'une très grande discrétion, à l'exception notable du Nouvel Observateur, qui publie, le 8 avril, sous le titre L'énigme Jon Anza, un long article du journaliste, mais, et cela se sent, également romancier et scénariste, Serge Raffy. A n'en pas douter, notre "enquêteur", qui semble avoir de bons contacts dans les "services", croit tenir là un excellent sujet de polar, et il nous donne, en exclusivité, les grandes lignes de son futur développement, hors le dénouement, en utilisant toutes les ficelles du genre, y compris la psychologie à deux balles.
Démenti sur un point précis, Serge Raffy maintiendra son scénario...
La question n'est plus "Non da Jon ?", mais "Zer egin duzue Jonekin ?" et elle est assortie d'une exigence: "Egia nahi dugu !"
"Nous voulons la vérité !"
5000 personnes, ce qui n'est pas rien, se sont appliquées à articuler et scander cette question et cette exigence, samedi dernier, à Saint-Jean-de-Luz, une ville que l'on dit très chère au cœur de madame Michèle Alliot-Marie, actuelle Garde des Sceaux, qui était ministre de l'Intérieur au moment de la disparition de Jon Anza.
On ne doute pas que la vérité soit également très chère au cœur de madame Alliot-Marie, mais, aux journalistes de Sud-Ouest qui voulaient l'entretenir de cette affaire à la veille de cette manifestation, elle aurait "indiqué qu'elle se trouvait être dans l'impossibilité de répondre à [leurs] questions, car «l'instruction est en cours»".
Elle connaît suffisamment la région pour savoir que ces propos n'empêcheront pas ses concitoyens d'afficher partout leur exigence.
Y compris sur l'Arc de triomphe*, comme l'a fait vendredi un groupe de militants.
En l'absence de réponse, on en viendrait presque à se demander si la vérité sur la disparition de Jon Anza à Toulouse ne ferait pas partie de ces vérités imprononçables dans les démocraties qui se veulent respectables.
* Selon l'articulet de Karl Laske, dans Libération, "un jeune militant basque, Xabier, a fait une chute de 20 mètres du sommet de l’Arc de triomphe alors qu’il s’était encordé avec d’autres, pour y accrocher une banderole posant cette question : «Qu’avez-vous fait de Jon Anza ?» Il a été hospitalisé, atteint de fractures multiples aux jambes. Selon les manifestants, les policiers auraient provoqué la chute de Xabier, en détachant un premier militant auquel il était encordé."
6 commentaires:
Nos belles démocraties ne seraient que des devantures, même pas ragoutantes ces derniers temps? Je ne peux y croire...
Ah moi non plus: je le vois, mais je n'y crois pas...
On trouve encore des courageux qui n'ont pas peur de se salir le derrière avec une certaine bannière, tout espoir n'est donc pas perdu.
Et l'on n'est pas certain que la bannière soit grand teint...
Merci pour cet article : cette affaire-là m'avait totalement échappé. Preuve effectivement qu'elle est bien peu médiatisée.
De rien, de rien...
Les "affaires basques" ont toujours un peu de mal à passer dans la presse nationale, on dirait.
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