lundi 12 avril 2010

L'Afrique ancienne entre au Louvre

Lorsqu'en 2007, un arrogant "petit blanc" s'est rendu à Dakar pour s'adresser aux "jeunes d'Afrique" et leur apprendre que "le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire", je l'ai délibérément compris de travers, et hors contexte.

(C'était d'ailleurs, de ma part, une sage précaution: au sens strict, ce discours est vraiment atterrant.)

Et j'ai exhumé de mes cartons les deux petits volumes de L'Afrique ancienne de Basil Davidson, dans l'édition faite par la Librairie François Maspero en 1973.

La toute première publication de ce livre remonte à 1959, sous le titre Old Africa Rediscovered. Il a été traduit en français par Pierre Vidaud, et est paru en 1962, aux Presses universitaires de France, sous le titre L'Afrique avant les Blancs.

Il a été accueilli avec l'air pincé qui s'impose par beaucoup d'universitaires français: une recension, parmi d'autres, commence par signaler que Basil Davidson n'est ni ethnologue, ni historien, mais "un journaliste politique (...) dont l'intérêt pour les questions africaines s'est manifesté en premier lieu par des enquêtes sur des sujets de la plus saignante actualité: Union Sud-Africaine, Congo Belge, Angola", avant de conclure que "L'Afrique avant les Blancs est actuellement un des meilleurs ouvrages d'ensemble sur l'histoire pré-coloniale, (...) sans concession au sensationnel ou à la démagogie - bien que les sympathies et les antipathies de Basil Davidson ne se dissimulent nullement."

J'ai emporté ce livre, qui ne devait pas faire partie de la bibliographie du rédacteur du "discours de Dakar", lorsque je suis parti en Afrique...

Et c'est sa lecture qui m'a poussé, en 1980, à me joindre à un groupe d'une douzaine de personnes pour un voyage (dés)organisé qui devait suivre la vallée du Nil, de Khartoum au Caire, en passant par Méroé.

Arrivée en vue d'une nécropole de Méroé.
(Photo empruntée au site incrusté.)

A cette époque, et au mois d'août, l'immense champ de ruines était désert; et quand les jacasseries de notre accompagnatrice, habitée de la double terreur de se faire violer et/ou de perdre ses bagages, se furent calmées, nous avons pu cheminer en silence, à travers une étendue de roches sombres, en partie recouvertes de sable d'un ocre soutenu, vers les nécropoles royales de Méroé.

Le silence convenait bien à la montée vers ces ruines abandonnées qui, pourtant, devraient être comptées parmi les grands monuments du monde antique.

Arrivés sur place, un vieil homme, que nous avions vu, pendant que nous marchions, se diriger vers le site en houspillant vigoureusement son âne, a attiré la bénédiction de son Dieu sur nous, et nous a présenté le "Livre d'or" pour que nous y laissions nos paraphes...

C'est tout ce qu'il nous a demandé, et avec une grande courtoise, heureux de nous voir, sans doute, car la précédente mention sur son livre datait du printemps, mais surtout fidèle à ce principe, qui est peut-être encore appliqué au Soudan, d'ignorer le bakchich, qui "importune celui qui le donne et déshonore celui qui le reçoit", ainsi qu'on pouvait le lire, dit-on, au débarcadère de Wadi Halfa, à l'attention des voyageurs en provenance d'Égypte.

Pyramide de Tarekeniwal, dans la nécropole Nord.
(Encore une photo empruntée au site incrusté.)

Le traitement qui a été fait de Méroé, et de la civilisation kouchique qui s'est développée du Vème siècle avant JC au IIIème après, est un bon exemple de cette manière inimitable qu'à l'homme blanc d'entrer dans l'histoire des autres.

Le site de Méroé a été découvert en 1822 par l'explorateur français Frédéric Cailliaud qui en a fait la relation dans son Voyage à Méroé et au fleuve Blanc (réédition numérique aux éditions Harpocrate, 2010), et en grande partie saccagé, en 1834, par un médecin militaire italien, Giuseppe Ferlini qui, en quête de trésors, a trouvé très judicieux de démanteler quelques pyramides et de faire sauter les pyramidons des autres...

Il parvint à ses fins avec la sépulture de la candace Amanishakheto (pyramide N6), et quitta bien vite la région pour aller vendre ses trouvailles.

Il est vrai que cette reine, dont les formes généreuses, relevées par l'égyptologue Richard Lepsius, font davantage penser aux mamas-Mercedes des marchés d'Afrique de l'Ouest qu'à l'anorexique Nefertiti, possédait de bien riches parures.

Certes, il faut pouvoir les porter...
(Ägyptisches Museum Berlin, photo Wikipedia)

Quelques archéologues, plus tardivement, se sont également intéressés à la civilisation méroïtique, mais avec moins d'enthousiasme que les pillards, et presque toujours en annexe de leur spécialité d'égyptologues. En 1980, dans la prestigieuse collection "L'univers des formes", chez Gallimard, paraissait, sous la direction de Jean Leclant, le troisième volume de la série Le monde égyptien: il était intitulé L'Egypte du crépuscule, et sous titré De Tanis à Méroé.

Si les influences de la civilisation égyptienne sont évidentes, il ne suffit probablement pas de les répertorier en notant au passage les divergences, comme si Méroé s'était développée comme sous-produit du monde pharaonique devenu l'ombre de lui-même. On peut se demander si, pour comprendre le développement de ce royaume, il ne serait pas plus prometteur de partir de ses spécificités.

Basil Davidson en soulignait essentiellement deux.

Il parle d'abord de la présence, sur le site de Méroé, de traces d'une intense activité de métallurgie, qui ont été notées très tôt par les archéologues et dont l'importance faisait dire à Sayce, au début du XXème siècle, que c'était là une "Birmingham de l'Afrique ancienne". Comme l'archéologie s'intéresse de plus en plus, et de mieux en mieux, à ces problématiques au ras du sol, je suppose que des progrès ont dû être faits dans ce domaine...

La seconde singularité de la civilisation méroïtique est d'avoir produit une écriture que l'on sait lire depuis les travaux de Francis Griffith en 1911, mais que l'on ne sait toujours pas comprendre. Cependant la connaissance de la langue transcrite par cette écriture a beaucoup progressé grâce aux efforts de Claude Rilly qui, en reprenant une hypothèse de Bruce Trigger, a montré, en 2003, qu'elle appartient, avec le nubien et des dialectes proches, parlés du Tchad à l'Erythrée, à une famille dont il a reconstruit une protolangue : le soudanique oriental nord.

A lire en utilisant l'alphabet idoine.
(Vous pouvez aussi télécharger les fontes.)

Depuis le 26 mars, le Louvre accueille, au département des Antiquités égyptiennes, l'exposition Méroé, un empire sur le Nil, qui y restera jusqu'au 6 septembre.

On peut lire, dans le Monde, cette déclaration d'intention:

Cette exposition vise à dévoiler la créativité du plus ancien empire d'Afrique noire. Guillemette Andreu-Lanoë, directrice du département des antiquités égyptiennes du Louvre, veut montrer que Méroé "n'est pas l'Egypte pharaonique, mais l'antiquité kouchique, qu'il faut apprécier à sa juste valeur, avec ce côté très rude, très violent, d'influence africaine".

Reste à voir si "ce côté très rude, très violent" est une pertinente appréciation de la "juste valeur" d'une "influence africaine".


PS: Il est curieux de constater que la plupart des articles de presse qui parlent de cette exposition semblent avoir été écrits par des journalistes qui ont préféré aller au Soudan plutôt que d'aller au Louvre...

Ceci dit, j'irai au Louvre.

Promis.

8 commentaires:

Floréal a dit…

"les jacasseries de notre accompagnatrice, habitée de la double terreur de se faire violer"
On ne dit pas se "faire violer"mais "etre violée". Votre utilisation d'une expression (à ma connaissance, il n'est pas une seule association féministe qui ne l'ait condamnée) aussi machiste laisse mal présager de la suite de votre article animé d'intentions si louables dans la défense dans la défense du Bien dont vous vous faites le héraut.

(vous aviez donc cependant besoin d'etre "accompagné"? en vous lisant j'ai éclaté de rire au passage: tiens, un bobo dans le désert avec Nouvelles Frontières! J'ai fait le parcours Le Caire - Abou-Simbel en 1978 avec mon compagnon de l'époque et ...le "guide bleu" comme seuls "accompagnateurs")

"Il est vrai que cette reine, dont les formes généreuses, relevées par l'égyptologue Richard Lepsius, font davantage penser aux mamas-Mercedes des marchés d'Afrique de l'Ouest qu'à l'anorexique Nefertiti,"

J'ai cherché les références de Leptius pour les "formes généreuses" mais n'ai point trouvé. Je n'ai pas trouvé davantage en ce qui concerne vos "mamas-Mercedes ". Je suppose que vous faites allusion à des formes comparables à celle de la Vénus de Willendorf, ce qui reste dans la droite ligne de la misogynie qu'exhale tout votre article. Rien dans les représentations de Néfertiti ne vous autorise à la qualifier d' "anorexique". Seule votre misogynie vous y incite. Clairement, vous entendez magnifier une civilisation en recourant au cliché des "formes généreuses" de Déesses-Mères hippopotamesques, ne vous rendant pas meme compte qu'inconsciemment vous disqualifiez par votre misogynie ce que vous prétendez promouvoir.

"Reste à voir si "ce côté très rude, très violent" est une pertinente appréciation de la "juste valeur"" ...

Vous concernant, c'est le moins qu'on puisse dire.

Guy M. a dit…

Je vous remercie de l'intérêt que vous continuez à porter à ce modeste blogue et de l'énergie que vous déployez à en dénoncer l'insupportable misogynie.

Ceci dit, et pour limiter autant que faire se peut les éclaboussures de vos mictions vinaigrées, les commentaires seront désormais filtrés.

... et bonjour chez vous.

Floréal a dit…

Votre accompagnatrice avait certainement de forts bonnes raisons de craindre d'etre violée. Votre façon goguenarde de vous en moquer est parfaitement déplaisante, et symptomatique.

Quand nous sommes arrivés à Assouan, les rares voyageurs qui revenaient du Soudan nous ont fortement déconseillé d'aller plus loin qu'Abou-Simbel (de toutes façons nous n'avions plus assez de temps ni d'argent pour poursuivre).

Rassurez-vous, le racisme que vous mettez tant d'énergie à combattre aura disparu quand le sexisme, qui est le premier des racismes, persistera encore. Quand on a lu votre article, on en est tout à fait persuadé.

Guy M. a dit…

Votre manière de prendre la mouche est si réjouissante - je n'ose parler des symptômes - que je vous laisse encore un commentaire...

... et bonjour chez vous.

Olivier Bonnet a dit…

Ne parle pas à Floréal, elle n'en vaut pas la peine, c'est une femme :D

Guy M. a dit…

Ça ne réussit pas à tout le monde, c'est vrai...

Unknown a dit…

La logique floréalienne voudrait qu'elle te gratifie sous peu d'un billet spécialement écriten ton honneur.
Bravo, j'suis fière de toi.

Guy M. a dit…

En route vers la gloire !

...avec un Guide Bleu.