jeudi 5 novembre 2009

L'art et la manière

Pendant que le bon peuple (au sens de monsieur Besson) se triture le bulbe et l'arrière-bulbe sur l'art et la manière d'être Français, l'art et la manière d'expulser les étrangers indésirables du territoire national progresse sensiblement.

Mais comme ces progrès ne portent que sur une routine déjà bien rodée, sans les alertes de la Cimade, les articles de deux journaux régionaux et le communiqué du RESF et de la Cimade, nous aurions très bien pu n'en jamais rien savoir.

C'est une nouvelle assez banale en notre "douce France" que donne d'abord Le Progrès (édition de Dijon):

Une vingtaine de Géorgiens demandeurs d'asile interpellés

Une vingtaine de demandeurs d'asile de nationalité géorgienne, dont sept enfants, ont été interpellés lundi à Marsannay-la-Côte, près de Dijon, et conduits dans un centre de rétention à Lyon, en vue de leur expulsion en Pologne, a indiqué la Cimade.

Françoise Duguet, responsable de la Cimade, apporte deux précisions. Ces demandeurs d'asile appartiennent à la "la communauté Yezides*, minorité la plus fragile de Géorgie, discriminée et spoliée par les autorités géorgiennes". Et les sept enfants, d'une dizaine d'années, sont scolarisés à Dijon depuis la rentrée.

L'article donne les explications très administrativement circonstanciées de monsieur Alexander Grimaud, directeur de cabinet du Préfet de Bourgogne, qui confirme l'arrestation de "21 personnes, dont quatre familles avec sept enfants, de nationalité géorgienne, primo-demandeurs d'asile dans un pays de l'espace Schengen qui n'est pas la France, mais la Pologne".

Selon M. Grimaud, ces personnes, conformément "à la convention Dublin 2, avaient l'obligation de rester dans ce premier pays où elles avaient demandé asile, or elles ne l'ont pas fait et sont venues s'installer en France, près de Dijon où elles ont été hébergées". Pour le directeur de cabinet, ces personnes, qui ont été "prises en charge par la gendarmerie en toute humanité et dans le plus grand respect", ne feront pas l'objet d'une procédure d'expulsion mais "de réadmission, dans leur premier pays d'accueil", à savoir la Pologne.

Il parle très élégamment la novlangue bessonnienne, ce monsieur Grimaud... On l'écouterait pendant des heures, ne trouvez-vous pas ?

Pour ne pas mentir, il omet de dire que les personnes embarquées par la police à Marsannay-la-Côte ne seront pas placées en rétention au centre de Lyon, mais à celui de Nîmes, sous le prétexte que le CRA de Lyon affiche «complet»...

Comme ça, mais avec des barbelés autour...

Pour trouver cette information, il faut lire l'article du Midi Libre qui relate l'expulsion (car cela s'appelle comme cela) des personnes arrêtées, dans la matinée du 3 novembre:

Quatre familles de Géorgiens (21 personnes) de la minorité yézid, parmi lesquels trois malades et sept enfants, ont été embarqués manu militari à Garons, dans un avion pour la Pologne, hier matin. L'appareil avait été affrété par le ministère de l'Intérieur et cette opération, organisée par la police des frontières, a mobilisé une bonne trentaine de policiers.

Il s'agit bien des familles arrêtées "la veille, au lever du jour, dans un hôtel situé dans la banlieue de Dijon, en Côte-d'Or."

L'article précise:

Ils étaient en France depuis le début de l'année et les enfants, scolarisés à Dijon, étaient encore en vacances de Toussaint. Le département de Côte-d'Or n'ayant pas de centre de rétention administrative et celui de Lyon étant complet, ces quatre familles ont abouti à celui de Nîmes, dans la soirée de lundi, vers 20 heures.

José Lagorce, de la Cimade, souligne qu'il était alors "trop tard pour saisir le juge des libertés sur les conditions d'interpellation, de transfert, la présence de malades et d'enfants normalement scolarisés" et affirme:

"Tout a été planifié pour se faire en cachette et nous empêcher d'intervenir car il était trop tard pour saisir le juge des libertés, surtout que l'avion devait décoller à 7 heures. Nous n'avons malheureusement rien pu faire."

Le lendemain matin, toutes les précautions avait également été prises pour que rien ne puisse être fait, et que les informations soient les plus floues possibles:

A l'aéroport de Garons, où l'avion a finalement pu décoller peu avant 11 heures, des consignes de silence absolu avaient été données . "Les vols privés sont confidentiels", expliquait un employé, tandis que des policiers en civil, "au courant de rien", disaient être là pour une ... "réunion". Même silence embarrassé du côté du centre de rétention administrative, où l'on refusait de répondre à Midi Libre.

Les autorités ont dû, pourtant, démentir une complication inattendue au départ du centre de rétention nîmois:

(…) les enfants, qui hurlaient de terreur, auraient été arrachés à leurs parents, hier matin, pour obliger ces derniers, qui s'y refusaient, à sortir des locaux d'hébergement du centre de rétention. L'émotion et la tension auraient été telles que des policiers, scandalisés, auraient carrément refusé de prêter main forte à leurs collègues. Ce que démentent les autorités.

Je suppose que c'est le refus de la part de certains policiers que les autorités démentent, non les ignobles pratiques de chantage utilisant les enfants pour faire sortir les parents...

Cela, c'est peut-être une pratique de routine.

Allons enfants...

Ces deux articles, qui ont été écrits par des journalistes qui ont essayé de faire leur métier en recueillant les informations disponibles, comportent sans doute des inexactitudes, puisque tout a été manigancé, du côté des responsables, pour dissimuler.

Selon une dépêche de l'AFP, consultée en ligne ce matin sur le site de France-Info (mais qui n'est plus disponible à l'heure où je poste ce billet):

NÎMES, 4 nov 2009 (AFP) - Une quinzaine de Géorgiens, dont six enfants, interpellés lundi près de Dijon (Côte-d’Or), ont été expulsés mardi de Nîmes vers la Pologne, ont annoncé mercredi le réseau RESF et la Cimade, qui dénoncent "une expulsion express".

(...) La Cimade n’a pas pu rencontrer ces Géorgiens mais a recueilli des témoignages de personnes travaillant dans le centre de rétention de Nîmes, qui ont fait part "de leur émotion sur les conditions dans lesquelles l’expulsion a été menée" et notamment l’utilisation d’une contrainte exagérée, selon la Cimade.

Il peut y avoir une erreur sur le nombre d'expulsés, mais, malgré le style devenu plus "lisse" sous la plume du rédacteur de la dépêche, il est impossible de se leurrer sur l'art et la manière qui président à la routine de ces expulsions.


* A propos de cette minorité, on peut consulter cet article sur le site du comité de liaison pour la solidarité avec l'Europe de l'est.

5 commentaires:

Swann a dit…

Ce n'est évidemment pas un argument face aux problèmes humains et éthiques que posent les expulsions, mais tout de même, cet "art" a poussé Le Point (torchon bolchévique, comme chacun sait) à commettre fin octobre un article titré "Expulser un clandestin coûte deux fois plus cher que de le maintenir en France".

Guy M. a dit…

L'argument du non-sens économique n'est pas à négliger: face à ce qui se passe, tout est bon.

damien a dit…

Les étrangers n'ont qu'à être français, comme il sont bêtes ... (lol)

;-)

Sue Pollet a dit…

@ Damien : en d'autres termes, ils l'auraient Bien Mérité ?

Guy M. a dit…

@ Damien,

Oui, comme tout le monde...

@ Sue Pollet,

Quel rebond !