Tous les ans à même époque, je cherche à arracher des fosses de ma mémoire en décomposition les premiers vers d'un poème de Raymond Queneau que j'avais jadis appris...
Inutile de préciser que je n'y arrive plus depuis longtemps, mais cela occupe mes déambulations solitaires et désœuvrées...
Puis je me résigne à ouvrir L'Instant fatal, de Raymond Queneau, à la page 167 de l'édition au format de poche de la maison Gallimard:
L'instant fatal
Quand nous pénétrerons la gueule ed' de travers
dans l'empire des morts
avecque nos verrues nos poux et nos cancers
comme en ont tous les morts
lorsque narine close on ira dans la terre
rejoindre tous les morts
après dégustation de pompe funéraire
qui asperge les morts
quand la canine molle on mordra la poussière
que font les os des morts
des bouchons dans l'oreille et le bec dans la bière
abreuvoir pour les morts
et le cerveau mité un peu genre gruyère
apanage des morts
quand le chou flétri les machines précaires
guère baisent les morts
et le dos tout voûté la charpente angulaire
peu souples sont les morts
nous irons retrouver le cafard mortuaire
qui grignote les morts
charriant notre cercueil vers notre cimetière
où bougonnent les morts
lorsque le monde aura marmonné ses prières
qui rassurent les morts
et remis notre cause ès dossiers de notaires
ce qui forclôt les morts
distribuant nos argents comme nos inventaires
nos défroques de morts
aux vifs qui comme nous enrhumés éternuèrent
se mouchent plus les morts
alors il nous faudra lugubres lampadaires
s'éteindre comme morts
et brusquement boucler le cercle élémentaire
qui nous agrège aux morts
dans l'empire des morts
avecque nos verrues nos poux et nos cancers
comme en ont tous les morts
lorsque narine close on ira dans la terre
rejoindre tous les morts
après dégustation de pompe funéraire
qui asperge les morts
quand la canine molle on mordra la poussière
que font les os des morts
des bouchons dans l'oreille et le bec dans la bière
abreuvoir pour les morts
et le cerveau mité un peu genre gruyère
apanage des morts
quand le chou flétri les machines précaires
guère baisent les morts
et le dos tout voûté la charpente angulaire
peu souples sont les morts
nous irons retrouver le cafard mortuaire
qui grignote les morts
charriant notre cercueil vers notre cimetière
où bougonnent les morts
lorsque le monde aura marmonné ses prières
qui rassurent les morts
et remis notre cause ès dossiers de notaires
ce qui forclôt les morts
distribuant nos argents comme nos inventaires
nos défroques de morts
aux vifs qui comme nous enrhumés éternuèrent
se mouchent plus les morts
alors il nous faudra lugubres lampadaires
s'éteindre comme morts
et brusquement boucler le cercle élémentaire
qui nous agrège aux morts
(...)
Quand je le connaissais par cœur, je pouvais le réciter à la fin des banquets de mariage pour relancer un peu l'ambiance languissante.
En ce temps-là, on savait encore s'amuser.
Jakob Gautel, Sans titre, 1991.
Lithographie sur papier, 32,5x25 cm.
(Collection du Frac Haute-Normandie.)
Lithographie sur papier, 32,5x25 cm.
(Collection du Frac Haute-Normandie.)
C'est avec des bribes de ce gai refrain en tête que j'ai hier croisé l'annonce de l'installation d'une exposition au Musée d’Évreux, en collaboration avec le Frac de Haute-Normandie, dans le cadre de la Grande Veillée du festival Automne en Normandie.
Sous le titre Memento mori (Jusqu’à ce que la mort nous rassemble…), cette exposition, me disait-on, devait "[rassembler] des œuvres issues des collections du musée d'Évreux, des collections du Frac de Haute-Normandie et de collections privées" et "[mettre] en lumière la façon dont le thème du deuil et de la mort a traversé les siècles et les expressions plastiques."
Vaste programme. Mais en errant dans les belles salles de l'ancien évêché d'Evreux, j'ai croisé des œuvres plus dispersées que rassemblées, accrochées ou installées dans les espaces vides, voire dans l'entrée-billetterie-vestiaire ou dans l'escalier. Je n'ai pas été voir dans les toilettes...
J'ai pu croiser également une exposition du photographe Thierry Secretan, intitulée Il fait sombre, va-t-en ! et consacrée aux cercueils d'apparat fabriqués depuis un demi-siècle par des menuisiers ghanéens de la région d'Accra. Prêtés par la galerie Dieleman, quelques uns de ces cercueils, de formes tarabiscotées diverses et peints de couleurs pétantes, étaient visibles, disséminés dans les salles du musée.
Comme il commençait à faire sombre, je suis parti.
7 commentaires:
Je vais me recopier ce poème. Je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi les riches veulent être de plus en plus riche,nos gouvernants avec plus de pouvoir?
Nous finissons pourtant à poil.
Je suis toujours étonné de l'avidité des gens.
A poil, mais avec la grande croix de la Légion d'Honneur, c'est plus classe !
Enfin, pour certains...
Pour le coup, j'hésite à me faire enterrer dans un cercueil poisson ou dans une urne au nez rouge.
Pour l'épitaphe, j'ai demandé à mes gosses d'écrire quelque part un truc du genre : "merci pour tout"
Merci à toi.
Arghh, tu m'as filé le cafard… :-)
(Comme épitaphe, je veux bien celle de Groucho Marx, qui finalement ne fut pas inscrite : "Je vous l'avais bien dit que j'étais malade !")
@ JR,
Tu as encore le temps d'y penser...
Tandis que moi, je n'ai pas le temps d'y penser.
@ JBB,
Le cafard ? Tu connais Evreux alors ?
(Dommage de ne pas l'avoir mise. Je vais peut-être la reprendre pour le faire-part.)
Evreux ? Non. Mais on m'en a dit beaucoup de bien, hein (et généralement, au bout de la troisième bouteille de rosé… Une coïncidence, sûrement)
A la troisième bouteille, je comprends (et compatis)...
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