mercredi 8 juin 2011

Paroles d'experts

Depuis qu'il reçoit du haut-débit, et cela fait déjà quelques années, monsieur Point-Barre peut faire profiter la terre entière de ses commentaires avisés sur tous sujets. Il a en effet développé une expertise quasiment universelle, fondée sur ce solide bon sens qui lui permet de poser ce qu'il appelle les "bonnes questions" tout en donnant, avec une étonnante générosité, les "bonnes réponses". Avec ses nombreux semblables, il entretient ainsi un bruit de fond basique que l'on s'oublierait presque à prendre pour l'expression dominante de l'opinion.

Parfois, perle rare, monsieur Point-Barre, partant d'un fait singulier et n'en retenant que des bribes, atteint la sublimité d'une leçon universelle :

Qu'il soit transmis aux parents de la fillette, que la place d'une enfant de 9 ans à 19h50 n'est pas au pied de son immeuble, mais avec ses parents pour sa toilette du soir avant que de retrouver le marchand de sable... "Avant que de remarquer la paille dans l’œil de ton prochain, ne devrais-tu remarquer la poutre qui est dans le tien?" Malheureusement, une nouvelle fois, ce sont d'innocents enfants qui subissent l'inconséquence de ceux qui devraient être là pour les protéger.

Ce délicat commentaire en forme de rappel aux devoirs parentaux fondamentaux a été enregistré le 7 juin 2011,à 15h 53, sur le site du quotidien Le Monde. Monsieur Point-Barre, qui a ici signé "Eli Dulcyvo", a été inspiré - et il s'agit bien d'inspiration comme en témoigne la citation biblique (Évangile de Luc, VI-41) - par la mise en ligne d'une dépêche de l'AFP commençant par :

La police et le père de la fillette blessée dimanche en marge d'affrontements dans la cité des Tarterêts de Corbeil-Essonnes ont fait part mardi de leur désaccord sur la nature du projectile qui a touché l'enfant, lequel était dans un état stationnaire.

Notre ami Eli Dulcyvo avait déjà réagi dans le même sens, 9 minutes avant, le 7 juin, à 15h 44 donc, en découvrant la première dépêche de l'AFP, datant de la veille.

Une fillette de 9 ans à 19h50 au pied de son immeuble... Père de famille, moi aussi, je ne comprends pas que des parents laissent une petite fille seule le soir... de surcroit dans un environnement peu sécurisant...

Écrit-il.

Voilà au moins quelqu'un qui a de la suite dans ce que l'on appelle (abusivement peut-être) les idées...

(Mais j'avoue ne pas avoir eu la curiosité de regarder si notre expert en régulation de la vie familiale avait cherché à les placer ailleurs.)

L'image emblématique de la cité des Tarterêts diffusée par la presse.
(Photo AFP/Joël Saget.)

La première dépêche nous apprenait que "dimanche, lors d'affrontements entre des jeunes et les forces de l'ordre dans le quartier des Tarterêts, à Corbeil-Essonnes", "une fillette de 9 ans", "touchée par un projectile non identifié" avait été "grièvement blessée" - suffisamment pour que l'équipe médicale de l'hôpital Necker, à Paris, où elle a été transportée, décide de la maintenir en coma artificiel pendant au moins trois jours.

Elle nous apprenait également ceci, que monsieur Point-Barre a dû omettre de lire :

Selon les déclarations des parents de la fillette, elle se trouvait avec sa mère et trois autres enfants dans un parc situé à proximité de leur immeuble. La mère et les quatre enfants ont cherché à rejoindre au plus vite leur appartement. "On courait pour traverser la route lorsque ma fille s'est écroulée à côté de moi", a confié sa mère.

(Mais, bien sûr, ce témoignage est probablement moins crédible que la version imaginée par Eli Dulcyvo qui sait lire entre des lignes qu'il ne lit pas...)

Autre image emblématique... Harmonie du soir aux Tarterêts.
(Photo AFP/Joël Saget.)

J'ignore si l'heure "de retrouver le marchand de sable" pour les petites filles de 9 ans est une "vraie question" de société qui nécessiterait la désignation d'une commission parlementaire en vue d'initier une réflexion pouvant mener à une réglementation stricte sur ce point...

Il me semble, naïvement, que la question essentielle est de savoir quel est ce "projectile non identifié" qui a blessé la fillette, et d'où il est parti.

Deux versions s'opposent, que l'AFP présente ainsi :

Les parents de la victime affirment qu'elle a été blessée par "une balle de Flash-Ball", ce que la police a pour l'instant démenti. "En l'état actuel des informations, aucun lien ne peut être établi entre les blessures de la fillette et un tir policier", a assuré la Direction générale de la police nationale (DGPN). Selon Jean-Claude Borel-Garin, le directeur départemental de la sécurité publique de l'Essonne, le certificat médical délivré lundi fait état d'un "projectile non pénétrant à très forte cinétique".

Et puisque l'expression "projectile non pénétrant à très forte cinétique" pourrait bien, après tout, aux yeux d'un public non expert, passer pour une bonne description d'une "balle de Flash-Ball", monsieur Borel-Garin ajoute :

"Je vois mal un projectile en mousse faire une plaie ouverte et encore moins des policiers tirer volontairement sur une fillette avec une arme aussi précise."

Il ne précise pas la densité de la "mousse" en question...

Et il n'a probablement pas bien lu "le certificat médical délivré dès dimanche soir par les médecins de l'hôpital Necker" qui, selon la dépêche publiée le lendemain par l'AFP, "mentionne une 'plaie non saignante circulaire de 5 cm de diamètre', selon une source policière."

Laquelle "source policière" tient à préciser :

"Il s'agit de l'avis d'un médecin, pas d'un expert."

Monsieur Jean-Claude Borel-Garin, qui a peut-être maintenant lu cet avis "d'un médecin", qui ne saurait s’autoriser d'aucune expertise - c'est une affaire entendue -, s'étonne :

"Qu'on m'explique comment une balle de défense qui mesure 3 cm de diamètre peut faire un hématome de 5 cm, même en tenant compte de l'écrasement de la balle."

(Il devrait pouvoir trouver dans ses services des experts en balistique de la mousse compressée pour lui montrer comment s'écrase "un projectile en mousse"...)

Le rédacteur de la dépêche, qui, selon toute apparence, tient à nous faire savoir que l'hypothèse selon laquelle la petite fille aurait pu être victime d'un tir policier perdu est tout à fait déraisonnable aux yeux des experts de la police, ajoute encore :

Et selon le DDSP, "le certificat parle d'une plaie circulaire, mais ce n'est pas dit qu'il s'agit d'un cercle parfait qui, dans ce cas, pourrait éventuellement correspondre à une balle de défense".

Et là, il vous vient comme l'impression qu'on en fait un peu trop...

Quant aux dernières nouvelles de la victime - ses jours "ne sont plus considérés comme étant en danger" -, c'est monsieur Claude Guéant, expert entre les experts, qui les a données ce matin sur Europe 1, sans préciser, me semble-t-il, s'il les tenait d'un vulgaire médecin ou d'un respectable expert.

6 commentaires:

Christine a dit…

C'est gentil de nous faire rire avec cette histoire. J'aime beaucoup les explications autour de la plaie...

Mais faut PAS lire les commentaires sur les sites d'infos, c'est toujours horriblement réactionnaire et crétin.

Guy M. a dit…

Je ne peux pas m'empêcher de regarder les commentaires. C'est compulsif... Exactement comme dans un café on s'arrête à deux ou trois conversations qui forment le bruit de fond. Vaut mieux entendre ça qu'être sourd...

emcee a dit…

Moi aussi, accro des com's et c'est une énorme perte de temps, hélas. Pas d'amélioration du Français - Française, à l'occasion - de base :-(

Bon, encore une histoire qui ne va pas remonter le moral des troupes, Guy.
Tiens, un petite nouvelle d'RESF:
"Maimouna MEITE est lycéenne, elle a 19 ans … aujourd’hui (née le 8 juin 1992). Elle prépare un bac pro au lycée François Truffaut dans le 3è arrondissement de Paris. Elle a été élevée par sa grand-mère en Côte d’Ivoire. Au décès de celle-ci, Mainouna avait tout juste 16 ans, sa mère vivant en France en situation régulière (titre VPF) l’a fait venir auprès d’elle. Depuis septembre 2008, elle suit sa scolarité à Paris.
Maimouna a été arrêtée ce 8 juin au guichet de la préfecture de police, et placée en rétention au CRA de Cité. Un vol pour la Côte d'Ivoire lui a été annoncé pour demain, 9 juin".

Les voyages forment la jeunesse.

Elles poussent les tomates?

Guy M. a dit…

Pas très bonnes les nouvelles de RESF...

Placer une gamine en rétention à quelques jours des examens, c'est très malin; mais nos commentateurs préférés diront que "la loi, c'est la loi"...

(Je n'ai pas planté de tomates... Il y a plein de vrais paysans qui les réussissent beaucoup mieux que moi.)

emcee a dit…

Oui, RESF, c'est pas des marrants: ils ont toujours des histoires comme ça.
Quelle cruauté. Ahurissant.

Ah? pas de tomates? Des fruits? Enfin, quelque chose qui donne satisfaction dans ce monde pourri, quoi.
Parce que, vraiment, là, non ... :-(

Guy M. a dit…

Des fruits ? Pas encore, à part quelques cerises que je partage généreusement avec les oiseaux de passage - sans doute des irréguliers sans papiers. Bonne nouvelle : "la" mirabelle s'annonce bien...