Avec sa bonhomie habituelle, qui nous le rend si sympathique, monsieur Claude Guéant a fait répondre à monsieur Pierre Henry, directeur général de France terre d'asile (FTDA), que
concernant l'accueil des réfugiés en provenance de Libye,
ça n'allait pas être possible
"compte tenu de la crise actuelle de notre dispositif d'asile, et notamment de la saturation de nos capacités d'accueil",
et qu'il était désolé, et tout, et tout, mais qu'il l'assurait quand même d'une certaine considération...
(Ce n'est pas à monsieur Guéant qu'on va apprendre la politesse.)
Notre ministre de l'Intérieur et des expulsions vers l'Extérieur a dû être très soulagé d'apprendre que le gouvernement italien et le CNT (Conseil national de transition libyen) avaient signé, vendredi dernier, un texte "confirm[ant] l'engagement à une gestion partagée du phénomène migratoire à travers l'application de l'accord italo-libyen pour la collaboration dans la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, le trafic de drogue et l'immigration clandestine" - ce sont les termes mêmes du document officiel. Cet accord a été signé par monsieur Franco Frattini, ministre italien des Affaires étrangères, et monsieur Mahmoud Djebril, responsable des relations extérieures du CNT libyen. Il prévoit, cela va sans dire, mais cela est dit, une étroite coopération du CNT avec l'Italie pour organiser le "rapatriement d'immigrés en position irrégulière" et (re)mettre en place la "politique de refoulement immédiat" qui avait si bien réussi avec le (presque) regretté colonel Kadhafi .
Notre bonne presse note cependant :
L'accord est surtout symbolique, car l'écrasante majorité des 11 000 migrants arrivés cette année en provenance des côtes libyennes étaient des réfugiés originaires d'Afrique subsaharienne, protégés par la convention de Genève, que l'Italie ne peut donc ni expulser ni rapatrier. Selon des chiffres publiés vendredi, on comptait seulement 60 Libyens depuis le début de l'année.
Symbolique, peut-être, mais prévoyant proactivement une future "crise" du "dispositif d'asile", comme chez nous...
(Photo : Alberto Pizzoli/AFP/Getty Images.)
De "la crise actuelle de notre dispositif d'asile, et notamment de la saturation de nos capacités d'accueil", évoquées par monsieur Claude Guéant, pourrait témoigner l'histoire des Tunisiens parvenus ces derniers mois à Paris...
A condition que l'on s'y intéresse un jour, cette histoire, qui reste à écrire, pourrait être assez exemplaire de nos pratiques européennes - elles sont d'abord parisiano-française, certes, mais j'ai l'esprit large -, mais aussi de celles qui se mettent en place dans les nouvelles démocraties - la "transition" tunisienne, certes, mais il faut avoir l'esprit large...
Pour l'instant, seules quelques bribes de cette histoire de chasse aux hommes et aux enfants - car certains sont mineurs - nous parviennent.
C'est probablement le 7 juin, à l'occasion d'une première évacuation du ci-devant Centre Culturel Tunisien de Paris, que les lecteurs du Figaro ont pu apprendre son occupation :
Une trentaine de personnes, se présentant comme des Tunisiens sans papiers, avaient envahi le 31 mai le bâtiment, situé rue Botzaris à Paris (XIXe arrondissement), près du parc des Buttes-Chaumont. "Nous en avons marre de dormir dans la rue ou dans des parcs", avait alors déclaré un occupant, "nous demandons juste un lieu pour dormir et un coup de main de notre ambassade".
Les lecteurs ont dû trouver cela bien excessif, et se réjouir d'apprendre que, depuis ce coup de force, l'ambassade de Tunisie avait saisi la préfecture de police de Paris, demandant l'évacuation du bâtiment au prétexte habituel selon lequel "un certain nombre d'individus supplémentaires se sont joints aux occupants et ont commis un certain nombre de dégradations".
Histoire de rendre service, les forces de police avaient, ce jour-là, évacué "un certain nombre" de personnes. 74, selon la dépêche...
Le surlendemain, 9 juin, l'Ambassade de la République Tunisienne en France publiait, sur son site, un communiqué, modèle du genre torve, où elle expliquait ceci :
Soucieuse du bien être, de la dignité et de la sécurité des jeunes tunisiens enfants de la révolution du 14 janvier et arrivés récemment en France, consciente de la précarité de leur situation et des conditions pénibles de séjour qu'ils ont du surmonter, l'Ambassade de Tunisie en France a outre les rencontres et les démarches entreprises avec les autorités françaises et le tissu associatif, mis à leur disposition de ces jeunes le 31 mai, des locaux sis à la rue Botzaris Paris 75019 propriété de l’État tunisien, devenu un lieu de refuge et d'asile pour nos concitoyens.
Et puis cela :
Toutefois, suite aux actes graves et délibérés de vandalisme et de dégradation des lieux et équipements, biens de l’État tunisien, constatés dès la matinée du 7 juin 2011, et avant l’intervention des autorités françaises pour faire évacuer les lieux, l’Ambassade de Tunisie en France a fermement insisté auprès de ces mêmes autorités sur le respect de la dignité et l'intégrité des ressortissants tunisiens présents sur ces lieux.
Mais expliquait aussi :
Une fois relâchés certains de ces jeunes, sont revenus sur les lieux armés de battes de base-ball et armes blanches pour s'en prendre aux gardiens faisant partie du personnel de l'Ambassade et assurant depuis des mois la sécurité sur place.
Tout en concluant :
Tout en regrettant la tournure prise par ces événements, l'Ambassade continuera avec le concours des autorités françaises compétentes ainsi que celui du tissu associatif a apporter son soutien total à ces jeunes et œuvrera pour leur trouver une solution digne et durable honorant la Tunisie de la révolution.
(Photo : Mathias Destal/Libération.)
Cette magnanimité toute diplomatique n'allait pas durer très longtemps, puisque le jeudi 16, vers 6 h du matin - l'heure du policier -, les forces de l'ordre ont procédé à une nouvelle évacuation.
L’Ambassade était probablement désireuse de récupérer les locaux de ce prétendu Centre Culturel, qui fut aussi une base parisienne du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) de l'ancien président Ben Ali. Des documents importants pourraient encore s'y trouver...
Ces documents, beaucoup plus intéressants pour la presse que les occupants, ont fait l'objet d'articles ici, et là, et là...
Cependant, Mathias Destal, dans Libération, a consacré un bout de colonne aux "trente Tunisiens sur le carreau après leur expulsion de l'ancien siège du parti de Ben Ali". Il y indique comment l'Ambassade de Tunisie a "œuvré", "avec le concours des autorités françaises compétentes", "pour leur trouver une solution digne et durable honorant la Tunisie de la révolution" :
Afin de trouver un compromis pour les locataires du «36», une entrevue a eu lieu ce vendredi matin entre des représentants des Tunisiens et Elyes Ghariani, le chargé d'affaire de l'ambassade de Tunisie en France. L'objectif: trouver une solution pour la trentaine de clandestins qui n'ont toujours pas trouvé où dormir légalement. Les plus chanceux ont déjà été dirigés vers des gymnases aménagés pour accueillir les réfugiés tunisiens.
«Nous avons essayé de trouver une solution pour qu'ils ne dorment pas dans la rue ce soir» explique Amira Yahyaoui, la fille de Moktar Yahyaoui (un opposant à Ben Ali en Tunisie), présente à la réunion au côté d'Ali Garghouri «L'ambassadeur a appelé la mairie de Paris qui nous a renvoyé vers France Terre d'asile.» Vendredi à 18 heures, l'association n'était pas en mesure de nous dire si une solution avait été trouvée pour les Tunisiens du «36».
Pendant la journée, au moins, "une solution avait été trouvée" pour l'immeuble, qui avait changé de nom.
Quant aux "enfants de la révolution du 14 janvier", ils ont dû se replier vers le parc des Buttes-Chaumont dont les "capacités d'accueil" sont assez considérables...
Mais où la météo est fort capricieuse.
Samedi soir, un avis de tempête très localisé a été lancé - mais d'où ? cela n'est pas très clair... - sur tout le périmètre du parc.
Fabien Abitbol, vaillant localier de l'Est parisien, raconte la chose dans un billet de son blogue "Ménilmontant, mais oui madame..." :
Hier soir samedi 19, ce fut quelque peu mouvementé. Un très étrange avis de tempête s’est abattu pile-poil sur les vingt-cinq hectares du Parc (la superficie de Paris est de 105 km2). Avant 20h, toutes les entrées secondaires des Buttes-Chaumont étaient fermées, ainsi que la plupart des grandes grilles. Ailleurs, il fallait demander à un gardien pour sortir. Mais, lorsque l’on voulait entrer, la réponse était laconique: «Le parc est fermé». A la première demande d’explications, la réponse était qu’il y avait un “avis de tempête”, dont le bruit se répandit assez rapidement sur le réseau social twitter.
Il semble bien que, par le plus décoiffant des hasards, cet avis de coup de vent soit arrivé en même temps que des renforts de police.
Histoire de "sécuriser" la zone, sans doute.
PS : Pour plus de détails sur cette soirée ventilée, voir le récit de Paul.
Paul est, avec Elisabeth, presque constamment sur place. Il vient d'ouvrir le site botzaris36.org, en complément de #botzaris36.
Elisabeth touitte ses photos, et elle raconte, sur Le Puzzle, "comment [elle se] retrouve au milieu d'un gros bordel..."
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