Évidemment, avec un nom pareil, on se doute bien que "le Gender" doit avoir quelque chose de pas tout à fait catholique...
Et de franchement exogène.
Alors que le mot "genre" semble de plus en plus employé, et avec de moins en moins d'ambiguïté, comme équivalent français du "gender" des gender studies, un certain nombre de penseurs contemporains, d'obédience catholique psychorigide, s'obstinent à parler de ce fameux "Gender", avec majuscule initiale, ou même tout en majuscule - cas fréquent de crispation sur le clavier.
C'est ainsi que la lettre ouverte où madame Christine Boutin entend faire résonner aux oreilles de monsieur Luc Chatel "[s]on indignation et [s]a vive inquiétude face au contenu des nouveaux livres de « Sciences de la Vie et de la Terre » des classes de premières ES et L" est publiée, sur le site du Parti Chrétien-Démocrate (PCD), sous le titre "Lettre ouverte de Christine Boutin à Luc Chatel sur le Gender".
Notre bonne madame Boutin vient de "constate[r] en effet que les élèves de ces classes recevront dans cette matière un enseignement directement et explicitement inspiré de la théorie du genre".
(Pour que monsieur Chatel comprenne bien, elle a traduit gender studies par "théorie du genre"... C'est bien prudent de sa part.)
A partir de ce constat, notre épistolière ouverte s'interroge :
Comment cela est-il possible ? Comment ce qui n’est qu’une théorie, qu’un courant de pensée, peut-il faire partie d’un programme de sciences ? Comment peut-on présenter dans un manuel, qui se veut scientifique, une idéologie qui consiste à nier la réalité : l’altérité sexuelle de l’homme et la femme ? Cela relève de toute évidence d’une volonté d’imposer aux consciences de jeunes adolescents une certaine vision de l’homme et de la société, et je ne peux accepter que nous les trompions en leur présentant comme une explication scientifique ce qui relève d’un parti-pris idéologique.
On entend ici que le radicalisme religieux et la radicalité scientiste font assez bon ménage, sur le dos de "la réalité", au prix d'un rapide dépoussiérage de la très ancienne, et bien rarement pertinente, opposition entre science et idéologie - et d'un naïf contresens sur le mot "théorie", qui suggère que l'on pourrait aussi introduire un éclairage épistémologique dans l'enseignement des sciences...
dans cette foule de chercheurs de vérité,
saurez-vous la trouver ?
(Procession aux flambeaux, Lourdes, 2010.)
Avec cette lettre ouverte, la présidente du PCD a rejoint les rangs de la croisade déjà prêchée en d'autres paroisses. Les alertes semblent avoir commencé à la mi-mai, probablement à la réception, par les veilleurs idéologiques, des spécimens des manuels scolaires qui seront en usage à la rentrée prochaine.
Selon le programme de la série scientifique (in Bulletin officiel spécial n° 9 du 30 septembre 2010, p. 146) :
Thème 3 - Corps humain et santé
Thème 3 - A
Féminin, masculin
L’étude de la sexualité humaine s’appuie sur les acquis du collège. Dans une optique d’éducation à la santé et à la responsabilité, il s’agit de comprendre les composantes biologiques principales de l’état masculin ou féminin, du lien entre la sexualité et la procréation et des relations entre la sexualité et le plaisir. Ces enseignements gagneront à être mis en relation avec d’autres approches interdisciplinaire (philosophie) et/ou intercatégorielle (professionnels de santé). Il s’agit d’aider l’élève à la prise en charge responsable de sa vie sexuelle.
Devenir femme ou homme
On saisira l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée. Cette distinction conduit à porter l’attention sur les phénomènes biologiques concernés.
Et selon le programme des séries économique et sociale (ES) et littéraire (L) (in Bulletin officiel spécial n° 9 du 30 septembre 2010, p. 62) :
Féminin/masculin
La prise en charge de façon responsable de sa vie sexuelle par ce futur adulte rend nécessaire de parfaire une éducation à la sexualité qui a commencé au collège.
Ce thème vise à fournir à l'élève des connaissances scientifiques clairement établies, qui ne laissent de place ni aux informations erronées sur le fonctionnement de son corps ni aux préjugés.
Ce sera également l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée.
A l'issue de cet enseignement l'élève devrait être capable d’expliquer :
- à un niveau simple, par des mécanismes hormonaux, les méthodes permettant de choisir le moment de procréer ou d'aider un couple stérile à avoir un enfant ;
- comment un comportement individuel raisonné permet de limiter les risques de contamination et de propagation des infections sexuellement transmissibles (IST) ;
- le déterminisme génétique et hormonal du sexe biologique, et de différencier ainsi identité et orientation sexuelles ;
- que l’activité sexuelle chez l’Homme repose en partie sur des phénomènes biologiques, en particulier l’activation du système de récompense.
On lit bien que, dans ces deux préambules, que la commission des programmes a prudemment évité toute référence aux gender studies et même tout emploi du mot "genre", mais qu'elle indique, de manière assez explicite pour une commission d'inspecteurs et de spécialistes de l’Éducation Nationale, qu'il y a là "l'occasion" d'introduire, auprès des élèves, la notion de "genre"...
Ce qu'on fait les auteurs des manuels, en toute cohérence.
Apparemment, on s'agite beaucoup dans les bénitiers autour de ce nouveau programme et de ces nouveaux manuels, et le temps nous manque, à vous comme à moi, mais surtout à moi, pour en faire la tournée. Voici, cependant, un exemple de l'indignation qui s'exprime :
Je viens de prendre connaissance des manuels de « SVT » (sciences de la vie et de la terre) des classes de 1e (séries L et ES), conformes aux programmes en vigueur à partir de la rentrée prochaine. C’est un déferlement d’idéologie, et même – parce qu’il s’agit en réalité d’incitation à la débauche – de pornographie. Les jeunes de 16 et 17 ans passeront une bonne part de leurs heures de sciences à ingurgiter l’« idéologie du gender » : le programme porte sur le « féminin-masculin », l’identité et l’orientation sexuelles, la manière de « vivre sa sexualité », et la « prise en charge de sa vie sexuelle », sans compter la promotion de la procréation assistée. Devant l’étalage d’une antimorale aussi insolente que richement illustrée, deux mots viennent à l’esprit : « inversion », « infernal ».
Ailleurs, on rappelle "que l’enseignement privé dispose d’une certaine liberté pédagogique dans la mise en œuvre des programmes reconnue dans le cadre du projet d’établissement. En outre, avoir un manuel n’est pas une obligation (...)". Mais on omet de proposer, pour traiter le point litigieux du programme, d'utiliser, tout simplement et en bonne orthodoxie, cet extrait du catéchisme :
2357 L’homosexualité désigne les relations entre des hommes ou des femmes qui éprouvent une attirance sexuelle, exclusive ou prédominante, envers des personnes du même sexe. Elle revêt des formes très variables à travers les siècles et les cultures. Sa genèse psychique reste largement inexpliquée. S’appuyant sur la Sainte Écriture, qui les présente comme des dépravations graves (cf. Gn 19, 1-29 ; Rm 1, 24-27 ; 1 Co 6, 10 ; 1 Tm 1, 10), la Tradition a toujours déclaré que " les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés " (CDF, décl. " Persona humana " 8). Ils sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas.
2358 Un nombre non négligeable d’hommes et de femmes présente des tendances homosexuelles foncières. Cette propension, objectivement désordonnée, constitue pour la plupart d’entre eux une épreuve. Ils doivent être accueillis avec respect, compassion et délicatesse. On évitera à leur égard toute marque de discrimination injuste. Ces personnes sont appelées à réaliser la volonté de Dieu dans leur vie, et si elles sont chrétiennes, à unir au sacrifice de la croix du Seigneur les difficultés qu’elles peuvent rencontrer du fait de leur condition.
2359 Les personnes homosexuelles sont appelées à la chasteté. Par les vertus de maîtrise, éducatrices de la liberté intérieure, quelquefois par le soutien d’une amitié désintéressée, par la prière et la grâce sacramentelle, elles peuvent et doivent se rapprocher, graduellement et résolument, de la perfection chrétienne.
D'autres paragraphes du même document pourront bien sûr contribuer à un enseignement de sciences "dans le respect de la loi naturelle", mais je ne vais pas tout citer non plus...
Avant d'en arriver à une sécession, les agités des bocaux d'eau bénite ont, paraît-il, lancé une pétition pour demander à monsieur Luc Chatel de lutter avec eux contre l'envahissement de l’Éducation Nationale par l'idéologie du "Gender".
Selon mes informations, cette pétition ne porte pas (encore) sur le scandale que représente, si l'on y songe, l’enseignement de la notion de genre grammatical.
Ce combat d'arrière-garde intervient au moment où, un peu partout, et notamment à l’Institut d’études politiques de Paris, les gender studies sont en passe de devenir ce que l'on peut appeler un nouveau paradigme des sciences humaines.
Il est vrai que les grenouilles ont une certaine propension à toujours être en retard d'une ou deux idées intelligentes...
PS : Le 10 juin sera organisé, à Sciences Po Aix-en-Provence, le 2ème marathon de la science politique, qui aura pour thème Identité(s) sexuelle(s) et confusion des genres. Cette "folle journée" se tiendra, de 8h à 20h, à l'amphi Cassin. L'IEP d'Aix est situé au 25 de la rue Gaston de Saporta.
(Désolé, je n'ai pas été fichu de vous trouver le programme sur internet... Mais je peux faire suivre le courriel sur simple demande. Polie.)
Et pour les amateurs de contrastes, signalons que le 15 juin, de 19h à 21h, à l'auditorium de l’Espace Georges-Bernanos (Paroisse catholique Saint-Louis d’Antin, 4, rue du Havre, Paris IXe), la Fondation de Service Politique organisera une conférence-débat avec Elizabeth Montfort (Porte-parole de la Fondation de Service politique, présidente de l'Alliance pour un nouveau féminisme européen) et Béatrice Bourges(Porte-parole du Collectif pour l'Enfant, auteur de L'Homoparentalité en question - Ed. du Rocher, 2008). Cette rencontre portera sur le thème "L'idéologie du gender à l'école et à l'université, Science ou propagande ?"
6 commentaires:
Je suis un défenseur acharné de la Laïcité et de la libre pensée, donc en accord parfait avec ce qui vous révulse.
Outre les attaques renouvelées des religieux des trois monothéismes,il y a un symbole qui me hérisse le poil depuis plus de 130 ans: le "sacré-cœur" est non seulement une insulte au bon goût mais il fut édifié pour racheter les pêchers de la Commune de 1871. De plus depuis son édification 24 h / 24 des cathos se relaient, 7 jours /7, pour y prier et tenter d'intercéder auprès du Barbu les fautes de ces magnifiques républicains.
Merci, merci. On m'a commandé hier un article sur le sujet et je savais pas de quoi on parlait. Tout le boulot de recherche est fait...
L'encadré de Bordas est plein d'erreurs. L'expression "gender studies" désigne le domaine d'études universitaire (et pas la théorie). Et le concept a été popularisé bien avant Judith Butler. Les auteurs ont clairement rien compris au sujet.
C'est bizarre d'arriver à écrire ça dans les livres à partir des extraits de programme officiel que tu donnes....
Tu pourrais écrire un article sur les attaques créationnistes dans le domaine des programmes scolaires, j'ai besoin de ça aussi ?
@ Jeanmi,
Comme quoi un libre-penseur peut s'accorder avec un agnostique, jusqu'au Sacré-Cœur inclus.
Ainsi que tous les monuments "expiatoires"...
@ Christine,
De rien, de rien... Tu te débrouilleras comme une grande pour les sources ultra-religieuses : ça grenouille de partout.
Je suppose que, dans les manuels, il ne s'agit que de quelques pages dites "d'ouverture". Malgré les flottements et les simplifications, je trouve que c'est déjà énorme qu'un(e) élève de 1ère puisse découvrir que cette approche existe - à elle/lui, ensuite, d'avoir la curiosité d'approfondir.
(Sur la résistance créationniste, je n'ai pas trop d'éléments. J'ai l'impression qu'elle est bien vigoureuse aux USA, et plutôt éteinte ici. Mais je peux me tromper...)
Celui-là : "2359 Les personnes homosexuelles sont appelées à la chasteté. Par les vertus de maîtrise, éducatrices de la liberté intérieure, quelquefois par le soutien d’une amitié désintéressée, par la prière et la grâce sacramentelle, elles peuvent et doivent se rapprocher, graduellement et résolument, de la perfection chrétienne."
C'est mon passage préféré, vraiment. L'incohérence religieuse m'épatera toujours. D'un côté c'est croissez et multipliez, de l'autre la perfection chrétienne, c'est quand même la chasteté (bon moins pour les prêtres qui aiment laisser venir à eux les petits enfants, mais bon).
Le pire c'est qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat dans cette histoire et qu'il est beaucoup plus choquant de supprimer le chômage des programmes de sciences économiques que de parler de sexualité et de sexuation dans un programme scientifique.
PS : au fait, oui effectivement le Sacré-coeur est une offense à toute personne dotée de sens artistique.
Proposer un idéal inatteignable et encourager le sentiment de culpabilité du "pécheur" sont les deux temps du moteur religieux. Qui, à plein régime, peut produire ses chédeuvres expiatoires...
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