jeudi 23 juin 2011

Chute verticale d'un boulet

Pendant des années, j'ai été correcteur de l'épreuve de mathématiques du baccalauréat, et généralement pour la section S.

Cette épreuve qui a "fuité" cette année, voyez...

Et chaque année, j'ai vu surgir au tournant, toujours au même tournant, "la" question, toujours la même question :

cher monsieur, vous qui êtes de la maison, pensez-vous que l'on puisse encore longtemps maintenir notre cher, très cher, trop cher, baccalauréat sous sa forme actuelle d'examen national ?

Sachant que mon opinion sur ce point n'avait aucune importance - je n'étais pas encore l'un des 3 256 5879 652 blogueurs les plus influents de l'hexagone mondial -, je me contentais de faire état de la suspension de jugement que j'avais adoptée sur le sujet.

Je n'ai toujours pas abandonné cet agnosticisme, mais quand j'entends monsieur Luc Chatel affirmer avec le plus grand sérieux :

"Vous savez, les Français sont très attachés au Baccalauréat, qui est l'examen qui incarne sans doute le mieux l'école de la République, qui est l'aboutissement de quinze années d'étude, et puis qui est un peu un rite initiatique de passage à l'âge adulte pour tous les Français.",

je me demande s'il ne prépare pas déjà l'oraison funèbre qu'il prononcera prochainement sur le champ de ruines de ce "monument national que l'on doit préserver", pour reprendre l'expression passe-partout de monsieur Jack Lang...

Et je me demande aussi s'il n'y avait pas quelque chose de prémonitoire dans cette bribe du sujet de Sciences Physiques qui, elle aussi, aurait "fuité" :

Les physicien(ne)s n'ont jamais manqué d'humour.
(Document RTL.)

On pouvait faire confiance à monsieur Chatel pour prendre, face à cette situation de fuite avérée, la plus mauvaise décision possible, mais la plus économique en deniers publics - et pour cela, il sera soutenu.

Disons qu'il n'a pas déçu.

Il a expliqué ce matin, sur RTL, comment serait accommodé le barème de l'épreuve de mathématiques. On a pu constater que la recette de cette cuisine était fort simple, et que les conseillers experts de monsieur Chatel avaient bien pris soin de ne faire usage d'aucune règle de trois, lui économisant par là un effort intellectuel trop intense en pleine "gestion de crise". Mais on a pu surtout constater que, de quelque manière que l'on prenne les indications données par le ministre, ces aménagements ne compensaient en rien le déséquilibre introduit entre les candidat(e)s par le suppression pure et simple d'un exercice.

Quant aux justifications données à cette "deuxième décision" - la première étant de déposer plainte auprès du Parquet de Paris -, elles font apparaître que l'expression du jour étaient "rupture d'égalité" :

La deuxième décision que j'ai prise, et je réponds précisément à votre question. J'ai pris la décision ; il fallait réagir puisque comme vous l'avez très bien dit : il y avait rupture d'égalité entre les candidats. Je suis le garant de l'égalité de tous les candidats face à cet examen. Il y avait rupture d'égalité et j'ai pris la décision qui permettait de léser le moins possible les candidats, c'est-à-dire que la fraude porte sur un des quatre exercices qui était noté sur quatre points. Il y avait trois autres exercices dans cette épreuve de mathématiques. J'ai donc décidé de noter l'épreuve sur les trois exercices restants.

(La transcription de RTL a tenté de reconstituer des phrases, mais ce n'était pas gagné...)

Pour ceux qui n'auraient pas vraiment suivi la pensée de monsieur Chatel, le Monde commente le document qu'il a paraphrasé sur RTL, intitulé Mesures prises suite aux soupçons de fuite et destiné aux membres des jurys...

En principe, si mes souvenirs sont bons, ces "recommandations" suggestives sont de nature confidentielle. Mais au point où nous en sommes, les publier ne peut pas faire grand mal, et pourrait même, tant la plus grande mansuétude y est conseillée, dissuader les parents ou les lycéen(ne)s de déposer des recours*.

Monsieur Luc Chatel face aux technologies nouvelles.
(Photo Telecom-point-gouv-point-fr.)

Face à d'autres fuites sur la toile, au mois de janvier, monsieur Luc Chatel avait trouvé la parade idéale en refusant déjà d'annuler les épreuves, et en décidant de ne se soucier de rien...

On se souvient que les cahiers d’évaluation des élèves de CM2, comprenant 100 questions de français et de mathématiques, étaient disponibles au téléchargement sur le site "Evaluator" et sur un site syndical. Les évaluations s'étaient déroulées dans la plus grande confusion, des parents d'élèves ayant pris le relais pour la diffusion des cahiers et/ou des corrigés...

Monsieur Luc Chatel avait vigoureusement dénoncé "un comportement inadmissible et irresponsable", lancé un vibrant appel "à la responsabilité et à l'éthique" des enseignants et parents d'élèves, et annoncé :

"J'ai saisi la direction des affaires juridiques et je me réserve le droit d'engager les poursuites qui s'imposent."

J'ignore où en sont les poursuites, si poursuites il y a eu...

Mais je sais que les résultats de ces prétendues "évaluations des acquis des élèves en CM2" ont été publiés, et sont, bien sûr, encore disponibles. Ils ont fait l'objet de doctes commentaires de la part de monsieur Chatel :

"Les derniers résultats portant sur l'examen de CM2 datant de janvier montrent un léger frémissement en mathématiques. 38% des enfants ont des acquis «très solides» dans cette matière, contre 35% l'an dernier. Et ils ne sont plus que 7% à avoir des acquis «très fragiles» contre 10% l'année dernière. Les académies de Lille, la Réunion ou Créteil, plutôt en dessous de la moyenne nationale il y a un an, ont chacune progressé de plus de deux points. C'est bien la preuve que notre recentrage sur les fondamentaux, français et mathématiques, à l'école primaire est en train de payer."

Le Café Pédagogique, où j'ai retrouvé cette fine analyse d'abord livrée au Figaro, ajoute :

Ainsi le ministre n'a pas tardé à trouver une utilisation à ces évaluations en leur faisant dire ce que chaque administration productrice de données souhaite entendre...
Lien
Et il importe peu que les données produites soient biaisées, puisque l'administration les lira également en biais et de travers.

Ce schéma montre à l'évidence que,
dans l'académie de Rouen, tout va bien.
(Copie d'écran, détail.)

Au fond, malgré ses précautions oratoires oiseuses sur le "rite initiatique de passage à l'âge adulte" et sa volonté affirmée de "léser le moins possible les candidats" face à cette "rupture d'égalité entre" eux, monsieur Chatel persiste aujourd'hui dans la même attitude gestionnaire qui lui permettra, éventuellement, commentant les statistiques bien lissées du bac 2011, de parler de "léger frémissement en mathématiques"...

(Et pourquoi pas ?)

Tout cela, on l'a peut-être compris, dans le mépris le plus total de ces individus qu'on appelle des élèves.



* Inattention de ma part ou blaquahoute ? Il me semble qu'à part l'APMEP (Association des Professeurs de Mathématiques de l'Enseignement Public) et la SMF (Société Mathématique de France), qui ont co-signé une lettre au ministre, les professionnel(le)s de la profession sont étrangement discret(e)s... Déjà plongé(e)s dans leurs paquets de copies ?

5 commentaires:

lejournaldepersonne a dit…

J'ai eu mon bac chiche

(Elle s’apprête à allumer un joint)
Liberté… calamité ! deux ou trois ronds de fumée… et toute mon âme est résumée.
J’ai envie de fumer pour m’enfumer
Je ne comprends pas pourquoi ils veulent dépénaliser l’herbe folle… on la trouve un peu partout sans peine.
Peut-être parce qu’il y a des cons qui ont du mal à en trouver
C’est comme pour les arriérés mentaux, on leur demande d’ouvrir des portes ouvertes…
De quelles couleurs, le bleu, blanc rouge est composé ?
- il y en a qui répondent : de noir… c’est bizarre.
Non… je n’ai pas encore fumé
C’est indigne de moi ?
Oui c’est ce que je me disais…
C’est pour ça que je suis une indignée
Je ne fais pas ce pour quoi je suis faite
Alouette gentille alouette… Je te plumerai…
Qui ne peut faire l’ange, fait la bête
On peut se renvoyer indéfiniment à la figure nos petites indignités
Déjà que se moucher, je trouve ça indigne de l’homme, sniffer… même pas la peine d’en parler !
Non, je n’ai plus envie de prendre mon pied quand on m’apprend comment les gens le prennent… je décline toute invitation… et même si on me lèche les pieds, je dirais non, toujours non ! Même pas en photo !
Que c’est laid de ne pas se trouver beau !
Ce qui m’indigne ?
C’est qu’on se paye ma tête
Qui ? Toi, moi et tous ceux qui le veulent…
Avec un brin d’herbe, déposé sur ma tombe
Ça me fait une belle jambe
Merde ! Quand on ne gagne pas, on perd
Il faut finir par l’accepter
Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, précisément parce qu’il est nébuleux.
Et qu’est-ce que vous me répondez ?
Qu’il faut apprendre à tricher….
Chiche ! Non pas chiche !
Et ça m’indigne
D’être prise pour un pois chiche
Sous prétexte que j’ai préféré perdre que tricher
Ah ! Vous l’avez remarqué ?
Les riches n’ont pas besoin de tricher
T’as raison… c’est le cas de tous les dignes héritiers…
Ils se contentent d’exister : j’existe… j’existe… j’existe !
Non… je n’ai pas envie d’être riche
Ni envie d’avoir envie de haschich…
Ni envie d’avoir envie de triche…
Ni envie d’avoir envie de bakchich…
Je suis une femme libre…

http://www.lejournaldepersonne.com/2011/06/jai-eu-mon-bac-chiche/

Guy M. a dit…

Voui, d'accord...

Mais le lien suffirait peut-être ?

(C'est des coups à tomber dans les spams, comme un boulet.)

Ysabeau a dit…

On va quand même pas s'enquiquiner pour des petits délinquants paresseux plus jeunes que nous qui crachent sur Hadopi et téléchargent illégalement non ?

NB : je n'avais aucun avis sur le bac, ayant eu le mien depuis suffisamment longtemps pour avoir oublié la plus grande partie de ce qui m'avait été enseigné. Mais l'interview d'un syndicaliste m'a fait réfléchir : "tout le monde passe le bac dans les mêmes conditions". Et puis j'ai pensé, que si l'on optait pour un système de contrôle continu, il y aurait des bacs de seconde zone (Nation-Aubervilliers-Pantin et Neuilly-sur-Marne) et des bacs de première catégorie (Neuilly-Auteuil-Passy).

C'est, finalement, un des rares cas ou stricte égalité rime vraiment avec justice.

emcee a dit…

Cela fait un moment qu'ils veulent supprimer le bac sans y arriver.

les politiques ne cessent de répéter depuis des années que "ça coûte trop cher".
Mais le bac est une institution en France, et, donc les Français ne veulent rien savoir.
Ils ont réussi à remplacer certaines épreuves par un contrôle continu, mais pour autant, ils ne sont pas encore parvenus à généraliser cela.
D'où les sabotages (comme celui-ci - ce n'est pas tant la fuite, il y en a toujours eu, comme des erreurs d'énoncés, etc. mais le fait qu'il ait refusé de faire repasser l'épreuve) ou les convocations absurdes des profs pour corriger les épreuves.
Ces problèmes vont se multiplier jusqu'à ce qu'une majorité dise "pouce".
"Ils" instaureront un contrôle continu (avec ce que cela comporte de subjectivités, de paramètres et de trafics) qui sera entièrement à la charge des enseignants et dans leur service, ce qui ne coûtera rien. Et "ils" pourront même réduire les vacances scolaires d'été.
De toute façon, bientôt, plus personne ne pourra se permettre de partir en vacances.
Alors, autant réviser la règle de trois ;-)

Et voilà. Tout cela s'inscrit bien dans la grande destruction du service public d'éducation.

NB: le Journal de personne s'incruste de force sur les sites en déposant sa pub. Aucun intérêt pour le débat. Je la vire.

Guy M. a dit…

En exercice, comme je l'ai dit, je trouvais (en gros) qu'il y avait autant de mauvaises raisons de maintenir le bac-examen que de le supprimer.

Avec le recul, et ce qui s'exprime dans l'éditocratie depuis la rédaction du billet, je sens que j'évolue... Bientôt prêt à vous rejoindre toutes deux.