lundi 6 décembre 2010

Hippocrate dit non

Il fut un temps, pas si lointain, où l'on parlait plaisamment du "trou de la sécu". Ce temps est révolu, et l'on parle plutôt de "déficit", ce qui est plus impressionnant.

Cependant, ce sujet de conversation, fort propice au contrepet et autres subtiles manipulations langagières, a connu, à l'époque, son quart d'heure de gloire. Il se plaçait vers la fin des repas de famille, entre la bûche-crème-au-beurre et le pticafé. Chacun y allait de ses chiffres, de ses anecdotes exemplaires et de ses solutions expéditives. Avec le service du café, et dans l'attente du pticalva, le calme revenait qui permettait de mesurer à quel point il faisait mauvais dehors...

J'ai retrouvé cette chaude ambiance argumentaire en lisant des extraits d'un entretien de monsieur Thierry Mariani, paru en août dans le magazine Minute. Ces morceaux choisis peuvent se dénicher sur un site qui s'efforce d'informer la Chrétienté*...


Pour lancer son offensive contre l'Aide médicale d'État (AME), qu'il assure pourtant être "nécessaire pour des motifs humanitaires", monsieur Mariani avance quelques chiffres:

Ces deux dernières années, les dépenses de l’AME ont augmenté quatre fois plus vite que celles du régime général, soit 17% ; et ces dix derniers mois, accrochez-vous, elles ont augmenté, en Ile-de-France, de 66% !

J'ai servi assez longtemps le Nombre et les nombres pour me désintéresser totalement des "chiffres" ainsi balancés au public, sans trop de référence...

Alors je passe, mais dès que, comme mon beau-frère, monsieur Mariani en arrive aux racontars, je dresse l'oreille.

Trouvez-vous normal que, dans les soins couverts par l’AME, l’on trouve les cures thermales ou la procréation assistée ?

Et je trouve intéressant qu'il ajoute alors:

J’ajoute qu’un enfant né par assistance médicale rend inexpulsable l’immigré illégal qui a bénéficié de ce traitement…

Dieu ! que "l'immigré illégal" est sournois !

Après avoir envisagé diverses possibilités de fraudes, notre brillant causeur termine par l'anecdote qui doit emporter notre adhésion à ses vues:

En Géorgie, j’ai eu connaissance de l’existence d’un trafic de Subutex fourni par des dealers se le procurant gratuitement, en France, grâce à l’AME !

Dieu ! que "l'immigré illégal" est retors !


Cet "immigré illégal", en cure à Vichy, dealait du Subutex.
Quand il a exigé une fécondation in vitro, il s'est fait repérer.

Sur son blogue, Contes publics, Philippe Le Coeur, journaliste au Monde, annonçait:

Les sénateurs ont voté, samedi 4 décembre dans le cadre de l’examen du projet de budget pour 2011, des amendements qui annulent deux des articles introduits par les députés visant à réduire l’aide médicale d’Etat (AME) dont peuvent bénéficier les personnes en situation irrégulière.

Et il précise:

Les députés avaient exclu du panier de soins pris en charge à 100 % des bénéficiaires de l’AME certains actes, produits ou prestations dont le service médical rendu est “faible” ou qui ne sont pas destinés directement au traitement d’une maladie, comme les cures thermales ou le traitement de la stérilité. Ils avaient également institué une contribution forfaitaire des bénéficiaires - adultes - de l’AME de 30 euros par an sous la forme d’un timbre fiscal. Ce sont ces deux dispositions que les sénateurs ont annulé.

Pour se consoler, avant de probablement repartir à l'attaque, monsieur Mariani pourra toujours lire les commentaires qui suivent ce billet. Il y retrouvera l'essentiel de son argumentaire, et d'autres rumeurs infondées sur le sournois et retors "immigré illégal" qui vient chouraver notre Subutex.

Le billet lui-même lui apprendra, s'il ne le sait déjà, que l'opposition aux arrangements prévus de l'AME a été menée par monsieur Alain Milon, sénateur UMP du Vaucluse, par ailleurs médecin.

Celui-ci ne s'est pas contenté de bobards:

"L’AME correspond à des soins de première nécessité. Les cures thermales et les fivettes ont été citées, mais ces exemples ne correspondent à aucune réalité constatée. D’autre part, le risque de « tourisme sanitaire » est sans objet puisque les étrangers gravement malades lorsqu’ils arrivent en France relèvent de la CMU et de la CMU-c."

Par ailleurs, monsieur Milon avait déposé un amendement, qui a été adopté, modifiant la disposition, votée par l’Assemblée nationale, qui soumettait à un agrément préalable la prise en charge des bénéficiaires de l'AME pour des soins hospitaliers.

"La procédure d’agrément prévue par cet article s’apparente à un réexamen systématique des conditions d’accès à l’AME dont la durée moyenne actuelle est de vingt-trois jours", a souligné M. Milon, l’auteur de l’amendement. "Soumettre la conduite d’examens à un tel délai ne peut que conduire à aggraver la situation sanitaire du malade ; une telle procédure est également susceptible de pousser les bénéficiaires de l’AME à retarder leur demande de soins, aggravant leur situation sanitaire. Elle risque enfin de transformer les examens planifiés en soins inopinés, perdant ainsi toute efficacité".

Monsieur Milon a pu convaincre ses collègues sénateurs/trices en parlant le langage un peu sec des gestionnaires de santé publique. J'ose croire qu'il a aussi parlé, en tant que soignant, guidé par les vieux principes hippocratiques.

Car il n'y a pas de honte à parler au nom de ces grands principes face à ceux qui leur opposent une "saine gestion".

Quand la gestion s'oppose aux principes, c'est peut-être qu'elle est malade.



* Lié par une promesse faite jadis une fidèle abonnée, je ne vous en donne pas l'adresse. Mais je peux tout de même vous indiquer, pour vous aider, qu'on y trouve aussi de fermes réactions sur la "communion à grand spectacle de la reine d'Espagne"...

11 commentaires:

DoMi a dit…

Merci, Monsieur Guy :-)

Delphine a dit…

Oui, merci! très intéressant, ce site, ils ont même une catégorie "e-deo" ... ah! ils ont aussi une catégorie "non classé" (Marie-Madeleine ???).

emcee a dit…

Parfois, certaines histoires finissent bien. Et pourtant, ce n'était pas gagné, vu l'ambiance actuelle.
Merci pour ce compte-rendu intéressant.

Guy M. a dit…

@ Dorémi,

De rien, une promesse est une promesse...

@ Delphine,

Je n'avais pas exploré si loin.

A vrai dire, je me suis arrêté à BHL disant du bien de Pie XII...

@ emcee,

L'histoire n'est peut-être pas terminée. Je crois que les députés ont encore le moyen de passer outre le vote des sénateurs. Faudrait que je regarde dans mon manuel d'éducation civique, mais j'ai un peu la flemme...

emcee a dit…

Pas impossible, en effet, que cela doive repasser devant l'assemblée. Mais qui c'est qui gagne? Est-ce qu'on repart à zéro?
Moi aussi, je n'ai plus mon manuel d'IC, il doit être enfoui sous la Constitution et le programme du CNR, désormais caducs.

olive a dit…

Quand même je voudrais préciser qu'on trouve un vaste assortiment comprenant du Subutex jusque dans les brouillards des combes du Morvan. J'ai pris naguère en stop un type qui va communier ostensiblement à l'église comme la reine d'Espagne, et qui prétend être un bûcheron roumain... euh... géorgien... euh... polonais — enfin bref, un de ces pays en vrac de par là-bas, quoi.

Il ne boit pas de pastaga, il n'a pas de fusil de chasse. Je dis ça, hein...

Guy M. a dit…

@ emcee,

Il est possible aussi qu'ils laissent retomber, pour relancer à une autre occasion. Ils sont sournois et retors, les élus...

@ pièce détachée,

Monsieur Mariani sait-il seulement que le Morvan existe ?

olive a dit…

@ Guy :
Même les Morvandiaux, même à jeun, ils croient qu'ils sont vers la Corrèze.

Même les Parisiens, tu peux leur soutirer dix verres de Pouilly fumé au bar en échange qu'ils t'expliquent toute la beauté du wolof que tu parleras au Bangladesh sur ton champ de fouilles.

Alors Mariani faut le comprendre. Faire distribuer des boîtes de crayons-gouache à quarante couleurs mélangeables, il s'appelle pas Caran d'Ache non plus, hein.

Guy M. a dit…

Manquerait plus que Mariani se mélange les crayons !

olive a dit…

Relisant ce billet, il y en a un qui ne sait pas à quel point le pastel est délétère : Ph. Le Cœur et ses «exclu[s] du panier de soins». C'est joli un panier pour faire les courses aux soins et mourir.

«La langue pense et poétise à notre place» (Victor Klemperer).

Guy M. a dit…

Merci de faire un sort à ce "panier de soins"...

Il m'était resté dans la gorge.