On avait pu se rendre compte, à lire ses réponses à une interview accordée par écrit au journal le Monde, que le jeune Julien Coupat possédait un certain talent dans la pratique du foutage de gueule élégant, accompagné d'un certain dandysme dans l'écriture qui avait achevé de mettre en rage les bons esprits épais.
Quand ils ont appris que Yldune Lévy et Julien Coupat envisageaient de se marier, et que pour ce faire, en se conformant à une loi qui souffre pourtant quelques exceptions hautement placées, avaient fait afficher les bans à la mairie du XXième arrondissement de Paris, les mêmes esprits épais se firent ironiques et se gaussèrent de voir deux ultragauchistes "sacrifier à l'une des plus anciennes institutions bourgeoises".
C'était, d'une part, oublier que la plus vénérable institution bourgeoise est la propriété privée.
Et d'autre part, c'était négliger que nos deux tourtereaux avaient fait suffisamment de bonnes et savantes lectures pour au moins connaître les techniques du détournement.
Je ne trouve pas étrange cette volonté de se marier; il me suffit de savoir que:
Le juge Thierry Fragnoli, bien conscient du ridicule qu'il y aurait à empêcher leur union, a dû lever définitivement l'interdiction de se rencontrer au couple, dans une ordonnance du 15 juin. Le parquet ne s'y est pas opposé.
Disons qu'il s'agit là d'un mariage de convenance, ou de connivence - mais en est-il d'autres -, permettant de contourner les restrictions imposées par la justice: une fois mariés, Julien et Yldune auront en quelque sorte obligation de vivre ensemble, de se porter secours et mutuelle assistance, etc.
Cela tombe bien, il parait qu'ils en ont envie...
Comme la date du mardi 16 juin circulait depuis quelque temps, nous avons vécu une journée particulièrement haletante. Si j'avais pu séjourner ce jour à Paris, je me serais probablement installé à l'une des terrasses des cafés de la place Gambetta, pour admirer la chasse menée par les plus fins limiers que l'on puisse trouver parmi les envoyés spéciaux de la presse française.
J'ai pu suivre ce suspense de mon bureau, en connectant régulièrement sur le direct heure par heure, mis régulèrement à jour sur 20minutes.fr par C. L. avec Oriane Raffin, qui n'ont pas perdu leur journée.
Première information excitante:
12h30 Une vingtaine de journalistes dont une de 20minutes.fr, était plutôt à la recherche d'un sandwich que d'un jeune couple. Car à cette heure-là, pas l'ombre d'une robe blanche ou d'un quelconque mouvement inhabituel ne vient troubler la place Gambetta. Mais il y a des indices qui font espérer les reporters: l'information de ce mariage devait avoir lieu ce mardi, parue dans «Le Monde» lundi et reprise par l'ensemble des médias français dont 20minutes.fr. La noce ayant été expressément autorisée par la justice, en changer la date ne doit pas être si simple. De plus, selon un gardien de la mairie, «des renforts de police devraient arriver vers 13 heures».
Je croyais les journalistes, surtout les envoyés spéciaux, beaucoup plus futés: pour mourir de faim sur la place Gambetta, il faut être un(e) anorexique incurable en phase terminale...
Mais poursuivons:
13h08: L'attente toujours. Et rien de neuf. Avec une question cruciale: faut-il surveiller la salle des mariages? Ou toutes les salles de la mairie du 20e? Réponse: toutes les salles.
On voit que l'affaire se complique sérieusement, mais notre nunuche égarée place Gambetta a-t-elle trouvé de quoi se restaurer ?
13h10: Où sont passés les bans? Ils étaient affichés ce mardi matin, mais entre-temps ils ont été enlevés. Signe que le mariage a eu lieu? Réponse: Non, visiblement il manquait une signature et puis, cela faisait dix jours qu'ils étaient affichés, ce qui suffit.
13h30: Selon notre envoyée spéciale, le père d'Yldune est arrivé à la mairie vers 13h30.
On imagine la tension qui monte: il faut vraiment des caténaires d'acier pour faire ce métier.
13h50: Rumeur d'annulation. Les employés de la mairie auraient laissé entendre que la noce aurait été annulée. Mais les journalistes sur place se demandent si la venue du père n'a pas servi de diversion pour faire entrer le couple discrètement dans l'hôtel de ville.
Nos reporteurs ont la déduction imparable. Au passage, on se réjouit de voir notre mairie passer au rang, plus noble, d'hôtel de ville.
13h56: Des invités arrivent à la mairie.
14h38: Pendant ce temps là, à la mairie du 20e... Rien de neuf. La maire s'apprête à faire un point presse pour la vingtaine de journalistes toujours sur place.
14h43: Ruse ou vérité? La maire du 20e a annoncé que la noce était annulée, les futurs époux souhaitant «s'unir dans la plus stricte intimité». Mais il en faut plus pour déloger les journalistes sur place qui continuent à faire le pied de grue sentant bien que l'annonce faite par la maire serait une ruse pour les éloigner...
On imagine maintenant nos journalistes en train de sombrer dans la paranoïa aiguë.
S'ensuit une longue période, où j'ai pu expédier mon travail de la journée, qui s'achève sur un constat désabusé:
16h00: Les journalistes commencent à lever le camp... Toujours pas de mariage
Les journalistes commencent peu à peu à lever le camp sans savoir si le mariage a eu ou va avoir lieu. Les forces de l'ordre qui avaient été mobilisées quittent également les alentours de la mairie. Julien Coupat, qui avait bénéficié d'une ordonnance du juge pour quitter la Seine-Saint-Denis devra renouveler sa demande s'il souhaite s'unir avec Yldune à la mairie du 20e.
Pour couronner cette immensité d'inanité médiatique, 20minutes.fr propose même à ses lecteurs une vidéo exclusive, que je ne vais pas inclure dans ce billet.
En revanche, je me permets de révéler pourquoi Yldune et Julien ont renoncé au dernier moment à venir à la mairie du XXième.
Ce n'était certes pas par refus de se livrer en pâture aux tâcherons du spectacle, assemblés en cet arrondissement mal famé, en quête d'images à sensation, et de sandouiches.
C'est la découverte du document suivant, que je déconseille aux âmes sensibles, qui les avait entièrement désabusés, et désenchantés, en leur montrant avec une terrible évidence les effets désastreux d'un mariage durable.
6 commentaires:
"il faut vraiment des caténaires d'acier pour faire ce métier."
Je viens de passer deux minutes à rigoler tout seul devant mon ordi.
Le ton distancié de ton billet, avec juste ce qu'il faut d'ironie, est parfait pour parler de ce type de non-événement. Joli, j'ai beaucoup aimé.
Je dois dire (pour les futurs thésards qui s'attaqueront à mon œuvre) que j'ai été très influencé par la lecture que je fis de l'Almnach Vermot, dans une réédition, à l'âge de 56 ans.
Mais depuis, j'ai beaucoup gagné en maturité...
(Merci, j'aime autant que tu aimes bien.)
Bon texte,
et super video. (j'adore l'oeillade de Bernadette pour dire "tu vas pas fermer ta grande gueule!")
Merci. (c'est bien bon de rigoler...)
J'aime aussi beaucoup le dernier sourire du Chirac pris-en-faute adressé à sa complice d'un instant.
"très influencé par la lecture que je fis de l'Almnach Vermot"
Je me disais aussi.
(Alors, juste pour le plaisir : comment vas-tu… yau de poêle ?)
Le Vermot, faut pas l'aborder trop jeune...
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