samedi 20 juin 2009

Lumières voltairiennes sur Vincent Geisser

L'époque ne pouvant donner que ce qu'elle a, nous avons les Voltaire que nous pouvons.

Puisque monsieur Philippe Val a accepté désormais des fonctions plus conformes à son miraculeux destin, il nous reste madame Caroline Fourest.

Mais, c'est comme tout, on ne naît pas Voltaire, on le devient; et madame Caroline Fourest s'applique.

Puisqu'elle est titulaire d'un DESS de communication politique, obtenu à la Sorbonne, il n'a pas dû lui échapper que les procédés voltairiens sont un gouleyant assemblage de raccourcis, allusions, amalgames, insinuations, symétries, approximations, parallèles, comparaisons, qui mettent toute la puissance de la mauvaise foi au service de la (parfois) bonne cause (mais pas toujours).

Quelques croquis de Dominique Vivant Denon.

Dans le Monde daté de ce jour, la chronique "Sans détour" de Caroline Fourest s'intitule L'"islam light" selon Vincent Geisser, et nous donne le point de vue éclairé d'une fervente représentante de l'esprit des Lumières sur le conflit qui oppose, au CNRS, le sociologue-politologue Vincent Geisser à Joseph Illand, fonctionnaire de sécurité de défense.

(Sur ce sujet, il est possible de consulter la page du réseau scientifique TERRA, qui tient à jour les informations et donne un grand nombre de liens.)

Dès l'introduction, Vincent Geisser est défini, de manière elliptique mais assez carrée, comme un chercheur "connu pour ses prises de position polémiques en faveur de l'islam radical", dont le "contentieux" avec un ingénieur général, Joseph Illand, met en émoi le monde de la recherche.

C'est l'occasion de rappeler que l'une des contributions les plus remarquées de madame Caroline Fourest, en compagnie de onze autres intellectuels contemporains, est l'introduction dans l'horizon de la pensée hypermoderne d'un nouveau point de Godwin, passé inaperçu jusque là: l'Islamisme radical. Voir à ce sujet le Manifeste des douze.

Les précisions apportées sur le rôle du fonctionnaire de sécurité de défense du CNRS sont un petit montage de copicollages divers, et sont annoncées par un charmant "Son périmètre est flou". (Il s'agit du périmètre de la fonction de Joseph Illand.)

A la fin de cette section, le périmètre est toujours aussi flou, mais on s'en moque, n'est-ce pas ? La présence d'un tel fonctionnaire protecteur dans un institut de recherche fait consensus démocratique, non ?

L'origine du conflit est résumée:

Joseph Illand est entré en conflit avec Vincent Geisser au sujet d'une enquête fondée sur un questionnaire ethnique, que le chercheur menait au mépris de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

On admire la précision des détails... La rédactrice de la chronique ne pouvait pas s'étendre davantage, probablement, sur une recherche qui a reçu l'accord de la direction du CNRS; elle préfère introduire le mot-clé "questionnaire ethnique" et ce symbole des libertés démocratiques qu'est la CNIL...

On sait que le motif de la plainte de Joseph Illand réside dans la vivacité de la réaction de Vincent Geisser, exprimée dans un courriel privé, face aux difficultés rencontrées par une doctorante portant le voile.

Madame Caroline Fourest nous le rappelle, avec modération, et ajoute:

Interpellée par de nombreux chercheurs, Valérie Pécresse s'est engagée à suivre ce litige en "veillant à la liberté d'expression des chercheurs". C'est heureux. Un membre du CNRS n'a pas à rendre des comptes sur un mode disciplinaire pour un courriel ni même pour ses prises de position, si polémiques soient-elles. (...)

C'est là une admirable position voltairienne, non ?

Comme tous les candidats du bac l'ont appris encore cette année: "Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire." (Citation tellement ressassée que je me demande si elle est authentique.)

Cause toujours...

Comme il lui reste une demi-colonne, Caroline Fourest va rebondir sur ce "si polémiques soient-elles", qu'elle a complété d'un "Et elles le sont", pour nous entretenir des prises de positions de Vincent Geisser, qu'elle prend bien soin de confondre avec ses travaux scientifiques (c'est plus commode):

En fait de "contribution scientifique", l'essentiel des travaux de Vincent Geisser consiste à stigmatiser toute personne critique envers l'intégrisme musulman comme étant "islamophobe" (SOS-Racisme, des journalistes, et même le recteur de la Mosquée de Paris), tout en répandant des clichés sur les musulmans laïques sur les sites islamistes. Le vrai musulman serait celui qui ne renonce pas à porter le voile ou à faire le ramadan comme l'exige la République laïque "assimilationniste". Geisser parle même de "national-laïcisme" à propos de la loi sur les signes religieux à l'école publique... A l'inverse, le moindre musulman éclairé est raillé comme faisant partie de l'"Islam light", un "produit qui se vend bien". Ayaan Hirsi Ali ou Irshad Manji, menacées de mort par les islamistes, sont décrites comme des "poupées Barbie de l'Islam light", que l'on favorise par "érotisme victimaire".

Je m'étonne que le procédé qui consiste à lancer une rafale d'affirmations péremptoires, accompagnées de parcelles de citations, hors contexte de référence, soit encore employé dans la presse. Cela me semble un peu grossier, et finalement assez peu "déontologique", comme on dit maintenant. Mais c'est avec de tels procédés que notre auteure en arrive à la conclusion que les idées de Vincent Geisser "peuvent difficilement revendiquer leur 'scientificité' sans être questionnées."

L'estocade finale introduit une allusion à "l'affaire Redeker" et enchaîne, en toute légèreté:

Rappelons que ce dernier risquait la mort et a dû quitter son poste. Vincent Geisser, lui, risque au mieux une remontrance. Que ses collègues inquiets se rassurent. L'Etat continuera de le rémunérer pour fournir des articles à des sites où l'on incite à la haine contre les esprits critiques.

J'aime beaucoup, je dois dire, cette imperceptible œillade adressée aux joyeux contribuables français qui payent pour l'entretien de ces chercheurs nuisibles et haineux, ou, au mieux, comme on sait, feignants et inutiles.


PS:

Pour ceux qui, malgré cet article si lumineux, désireraient d'autres lumières que celles-là, je signale l'article du blog des livres de la revue La Recherche.

Et je reproduis ces notes d'Olivier Roy, directeur de recherche au CNRS.

Quelques raisons pour défendre Vincent Geisser et raison garder

1) On peut être pour ou contre le droit de porter le voile sur son lieu de travail, mais cela ne doit pas être décidé par un officier de sécurité au nom des impératifs de la défense nationale. Cela relève de la loi et du droit du travail.

2) Les sciences sociales ne doivent pas être considérées comme un domaine sensible sur le plan de la défense nationale : c’est une vision soviétique du savoir.

3) Le devoir de réserve ne s’applique pas par définition aux universitaires, car c’est une limite à la liberté universitaire. De toute façon, il ne doit concerner que les fonctionnaires d’autorité, comme l’ingénieur général Illand, Haut fonctionnaire de Défense (HFD).

4) Au CNRS comme à l’université (et oserait-on dire en France), la liberté intellectuelle est la règle. Toute utilisation de procédures détournées pour la limiter est une menace pour la démocratie.

5) Il y a d’excellentes raisons pour être en désaccord avec V. Geisser : il suffit de le dire et d’écrire, pas de le faire taire ; V. Geisser n’a aucune autorité sur qui ce soit et ses propos n’engagent que lui. Par contre, le HFD prétend incarner l’Etat.

En un mot ce genre de procès et de sanction n’existe que dans des pays de tradition autoritaire (Russie, Turquie, Egypte, Algérie, Tunisie) et n’a pas sa place en France.

Si le HFD comme personne porte plainte, c’est son affaire : le CNRS n’a pas à prendre fait et cause pour lui contre un chercheur et surtout n’a pas à anticiper le jugement d’un tribunal pour sanctionner le chercheur.

15 juin 2009 - 20h32

4 commentaires:

Dorémi a dit…

Ce n'est pas la première fois que les écrits de la dame se trouvent sujets à caution (pour dire les choses gentiment), s'pas ?
Il me semble que Sébastien Fontenelle les épingle régulièrement, sa compagne et elle, mais pas que lui... Demande à Jean Ziegler ou à Pierre Tevanian, par exemple.
Bise, monsieur Guy.

Guy M. a dit…

Les mêmes procédés se retrouvent dans la campagne, particulièrement indigne, contre Jean Ziegler.

Indigne et exemplaire, puisque Ziegler avait cru pouvoir répondre et s'expliquer, ce qui a donné lieu à une réponse à la réponse, où la mauvaise foi s'exacerbe.

Bises, madame Dorémi.

Marianne a dit…

J'ai assisté à un échange verbal violent entre l'Ufal et Riposte laïque qui m'a laissé perplexe sur la méthode de ces organisations pour atteindre leurs objectifs , par contre Fourest est restée stoïque . Depuis je suis leurs actualités de loin .Même si la cause m'interpelle la ou les méthodes me déplaisent et devant autant de critiques d'un côté comme de l'autre , j'ai grande difficulté à comprendre .

Guy M. a dit…

J'ai toujours un peu de décalage avec les combattants de la laïcité, qui pour moi ne saurait être qu'une exigence de tolérance... Or, posée comme fin en soi, elle se met à mimer le dogme.

Alors, je ne m'y retrouve guère.