mercredi 10 juin 2009

Le déni oui-oui

L'ouverture d'un procès aux assises d'Indre-et-Loire, que l'on annonce à grand spectacle, a permis à l'Association française pour la reconnaissance du déni de grossesse (Afrdg) de trouver un créneau médiatique pour se faire entendre.

Il n'est pas certain que ce soit là une stratégie de communication bien futée, malgré les bonnes intentions. Ce procès va réunir grand nombre d'experts et ténors du barreau, devant un parterre de journalistes spécialisés, plus enclins à noter les effets de manche que les subtilités psychologiques.

Par ailleurs, dans ce type de dramaturgie, on noie volontiers le poisson en courant deux lièvres à la fois, comme on dit en filant et tissant des métaphores tirées par les cheveux...

Franz Marc, Deux Lièvres.
(C'est une oeuvre sur papier, mais je n'ai rien trouvé
concernant la technique et la date.)

Hier, quelques mots, captés par surprise, entre deux explosions du moteur à quatre temps dont ma quatrelle est équipée, sur une radio que j'ai supposé être France Inter, ont accompagné mon parcours autoroutier vers le lieu de mon éreintant travail.

"Il y avait du bruit; j'ai arrêté le bruit."

Cette phrase, qui est le constat fait par une femme au terme de son déni de grossesse, me semble décrire ce qui est au cœur du déni universel: l'être ou l'événement perçu comme bruit, parasite, qu'il faut alors étouffer, faute de pouvoir l'entendre, le percevoir comme être ou comme événement.

Un bruit est caché dans le paysage,
saurez-vous le trouver ?

Puisque j'ai aujourd'hui, concernant le traitement des images, métaphores, analogies et comparaisons, qui ne sont pas raisons, l'esprit primesautier d'un chasseur d'escargots au lasso dans la pampa normande, je n'hésite pas à affirmer que le déni de démocratie fonctionne bien selon ce schéma.

Considérez l'exemple de ce déni qui a affecté le NON au référendum de 2005, ce bruit indésirable qu'il fallu plus de deux ans de "pédagogie" pour étouffer sous les oreillers d'un congrès parlementaire à Versailles, où la populasse, selon la solide tradition régionale, fut tenu à bonne distance, par barrières, cordons de CRS et gaz lacrymogènes, du lieu où sa volonté devait s'exprimer dé-mo-cra-ti-que-ment.

D'autres "bruits", ailleurs en Europe, ont été ou seront "arrêtés" par application de méthodes idoines, mais tout aussi respectueuses de la volonté populaire.

In memoriam, avant de dire amen.

Le beau bébé abstentionniste dont vient d'accoucher le dernier passage aux urnes sera facile à réduire au silence: il est déjà tout silence, fait de votes non exprimés, voire nuls...

Mais puisqu'il fait bon poids, sa présence se remarque, et l'on peut s'amuser à en tenir compte, tout de même, en s'amusant à recalculer les taux de réussite des diverses listes, rapportés aux total des inscrits. Ce n'est là qu'une manière assez plaisante de prendre les choses, quoiqu'elle ne déride guère les austères gardiens et défenseurs du noble "devoir électoral" (expression à peu près aussi ludique que celle de "devoir conjugal").

Plus sérieusement, des escadrons entiers d'employés des instituts de sondage et d'opinion s'activent pour fournir aux éditorialistes de quoi couvrir le bruit par le bruit de leurs fines analyses. Vu le portrait type (tranche d'âge, catégorie socioprofessionnelle, etc.) de l'abstentionniste obtenu, je suis tranquille: je peux sortir d'un air dégagé dans la rue, la future brigade de répression de l'abstention ne va pas me courser.

N'oublions pas pour finir de couvrir le "bruit", les habituels commentaires sur les décisions à prendre (ou pas) rue de Solférino pour refonder les fondations du fondement du parti qu'est mal parti... Il s'agit là d'un fond sonore ronronnant que l'on n'entend même plus.

La nouveauté, et c'est une aubaine, réside dans le succès imprévu des Verts Zeuropéens, menés par l'histrion soixantuitard, monsieur Daniel Cohn-Bendit.

C'est vrai qu'il a une grande gueule, l'ex-Dany-le-rouge, passé au vert (en fait, il doit être daltonien), mais il ne sait pas poser sa voix: en fin de campagne, il est tout enroué, le malheureux... Ses glapissements, entre quintes de toux, ne pourront pas couvrir longtemps le bruit que font ceux dont l'existence est quotidiennement déniée, malgré le bulletin de vote qu'on veut leur mettre de temps en temps dans les pognes.

Et qu'ils ne veulent même plus prendre.

6 commentaires:

JBB a dit…

"je peux sortir d'un air dégagé dans la rue"

Je serais toi, je parierais pas là-dessus. Me semble que tu as une tête de coupable idéal, de ceux qui agressent les vieilles dames devant les distributeurs de billets de banque et qui refusent de rien mettre dans l'urne.

Sinon, très joli billet : respect.

Guy M. a dit…

Je me méfie quand même des vieilles dames: elles peuvent glapir aussi fort que Dany le vert.

(Merci, c'est trop...)

Marianne a dit…

Jolie métaphore sur les abstentionnistes , il n'est pas nécessaire de les congeler pour les conserver ils le sont déjà . C'est comme pour les manifs , c'est plus confortable de les faire devant la télé .

Guy M. a dit…

Je suis un abstentionniste souvent dans la rue, rarement dans l'isoloir et jamais devant la télé.

Et mon autoradio est couvert par le bruit de la quatrelle...

Flo Py a dit…

Je ne sais si j'y suis plus sensible parce que pour la première fois de ma vie, je me suis abstenue, mais j'ai l'impression que les abstentionnistes en prennent particulièrement plein la carafe, ce coup-ci, non ?...

En flânant sur le blog de Fontenelle, j'ai découvert une jolie photo rigolote, alors je partage :-)

Bises !

Guy M. a dit…

Ne t'en fais pas, on en a vu d'autres, nous les vieux: on sait bien côté carafe, qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse...

Bises itou.