mardi 6 mars 2012

Prestige de l'uniforme

Bien que j'aie décidé de ne suivre la campagne électorale en cours que d'un seul œil - le plus myope - et d'une seule oreille - la plus sourde -, il ne m'a pas échappé que le candidat Nicolas Sarkozy avait eu un peu de mal à surmonter sa déconvenue de Bayonne. Se montrer beau joueur, dans ces circonstances, était nettement au dessus de son talent de baratineur de bistrot...

Espérons que la lettre de monsieur Jean Grenet, maire de la ville, lui a envoyée pour lui "présenter ses profonds regrets et ses excuses sincères pour les incidents qui ont assombri [sa] venue au Pays Basque" lui aura été un véritable baume sur cette grave blessure d'amour-propre. Mais peut-être aurait-il préféré une lettre de démission.

(Au fait, que va devenir le diligent préfet des Pyrénées Atlantiques ?)

On aurait aimé avoir le son.
(Photo : Reuters.)

Moins risquée était, hier, la rencontre avec la France forte, représentée par "plusieurs personnalités locales", au bar Le Diplomate, à Saint-Quentin (Aisne). Il faut reconnaître que, pour estimable qu'il soit, l'indépendantiste picard est relativement rare. De plus, la garde rapprochée présidentielle s'honorait du renfort de l'impressionnante carrure de monsieur Xavier Bertrand, député-maire de la ville et ministre de tas de choses - Travail, Emploi, Santé. Tout s'est donc bien passé et aucun incident n'est venu "assombrir" cette visite en Picardie.

Auparavant, le président, ou le candidat - je ne sais -, avait été accueilli au son de la Marseillaise dans l'enceinte de l’établissement public d’insertion de la Défense (EPIDe) de Saint-Quentin. Il a assisté à un lever de couleurs judicieusement choisies, du bleu, du blanc et du rouge - je crois -, et "s’est rendu en salle de cours d’enseignement général, de simulateur de conduite et de code de la route". Enfin, au lieu de faire honneur au Fouquet's du coin, il a préféré déjeuner à la cantine, "entouré de VI avec lesquels il a longuement dialogué" - précisons, pour la bleusaille, qu'un VI, c'est un "volontaire d'insertion".

Preuve que "les EPIDe contribuent avec succès à l’insertion des jeunes qui passent entre leurs murs", ce repas n'a été marqué d'aucune tentative de bagarre de petits suisses ou de purée catapultée à la petite cuillère.

Le candidat semble avoir été fortement impressionné
par le simulateur de conduite.
(Photo : Gaël HERISSE / L'Aisne Nouvelle.)


On aura noté que ces jeunes bénéficiaires du dispositif "Défense 2eme chance", portent un assez triste uniforme. Cela doit être un des moyens employés pour "assurer l’insertion sociale et professionnelle de ces jeunes", mais le raisonnement m'échappe un peu...

Tout comme m'échappe celui qui a amené la direction de l'internat d'excellence de Sourdun (Seine-et-Marne) à instaurer le port d'un uniforme pour les élèves qui y sont accueillis :

Jupe ou pantalon noir, chemisier blanc pour les filles, pantalon noir, chemise blanche et cravate pour les garçons, blazer avec l'écusson de l'internat pour tous.

Cette "harmonisation vestimentaire" serait, selon monsieur Bernard Lociciro, proviseur de l'établissement, destiné à "combattre la tyrannie des marques" et à "créer un sentiment d'appartenance à l'établissement", en instaurant une "égalité entre les élèves".

Tout en permettant, selon le même, de gagner du temps et d'économiser de l'énergie :

"Auparavant, il y avait un code vestimentaire mais qui n'était pas toujours respecté. Chaque matin, les professeurs devaient scruter les élèves de haut en bas, c'était beaucoup d'énergie et de temps perdu."

Soit.

(On imagine la scrutation matinale...)

"Combattre la tyrannie des marques" est une noble mission pour l'école, et je serai bien le dernier à ironiser à propos des éléments de langage ronflants de monsieur le proviseur, et néanmoins collègue. Car cette "tyrannie", je l'ai vue s'établir, en quelque sorte, progressivement tout au long de ma carrière. Tout comme j'ai vu les cadres de l’Éducation Nationale se soumettre de plus en plus à de faux concepts savamment choisis pour masquer l’absence de réflexion de fond chez ceux qui les utilisent. Ainsi, face à la partie bien visible de l'emprise du marché sur de jeunes sensibilités, on préfère parler de "tyrannie des marques" et travailler à leur émancipation en érigeant tout un ensemble d'interdictions qui feront paraître, à certain(e)s, le port de l'uniforme comme un moindre mal inévitable...

Il ne semble pas que l'on ait considéré que l'excessif souci de paraître - si répandu par ailleurs, et surtout chez les adultes - pouvait être tout simplement tempéré par le développement de ce qu'on appelait jadis l'esprit critique.

Mais il s'agit là d'une forme d'esprit qui a largement disparu de l'école, à tous les niveaux.

Ne viser que la production de citoyens perroquets uniformisés fait gagner beaucoup d'énergie et de temps...

Reste encore à harmoniser les trousses et les classeurs.
(Photo : Joffrey Vovos pour Le Parisien.)

Il m'aura été épargné de voir mes élèves revêtu(e)s d'un uniforme aux couleurs mortifères de "l’égalité entre les élèves", et je ne m'en plaindrai pas...

Mais je m'attriste un peu en parcourant le portfolio du Parisien.

Ce n'est pas le cas de tout le monde :

"Plus de jeans troués, de pantalons qui tombent au milieu du caleçon ou de strings en dentelle qui dépassent", se réjouit déjà Diane Delamarre, professeure de lettres classiques.

Ce qui me rappelle les jérémiades collégiales entendues jadis en salle des profs. Au cours de l'une de ces séances de déploration, je m'étais, je crois, un peu oublié, demandant à mes collègues :

"Mézenfin, mézenfin, c'est-y que ça vous dérange, ou c'est-y que ça vous démange ?"

8 commentaires:

Phlune a dit…

"présenter ses profonds regrets et ses excuses sincères pour les incidents qui ont assombri [sa] venue au Pays Basque"

J'ai mal lu, dans un premier temps, j'ai cru que c'était le P.D.G. de la France qui s'excusait...

Portnawak ...

;-)

Guy M. a dit…

Tu rêves...

ysabeau a dit…

Je suis toujours mitigée concernant les uniformes à l'école. C'est assez pratique et ça permet surtout d'abolir les différences entre ceux qui ont de l'argent et ceux qui n'en ont pas. En outre, ça évite d'avoir à se poser des questions sur ce qu'on doit enfiler pour aller en cours. D'un autre côté, je n'aime pas les uniformes pour en avoir subi enfant dans les bonnes (et moins bonnes) écoles que j'ai fréquentées (entre autres raisons).
Une chose est sûre, on aurait pu concevoir autre chose que des uniformes de croque-mort pour ces gamins.
Je me souviens, dans les années 1980 d'un établissement antillais qui avait adopté l'ensemble jean t-shirt blanc comme uniforme. C'était, à mon avis, une bonne idée.

Guy M. a dit…

Je crois que la tenue unique est une fausse solution bien commode qui consiste à remettre à plus tard, et plus loin, soit en dehors de l'école, le désir de frime des "djeun's"...

Car il me semble que c'est au fond une question de désir - dont le marché a su tirer bénéfice. Et je suis persuadé que ce genre de question ne se règle pas par la frustration - ici, de l'uniforme.

olive a dit…

Tout à fait d'accord pour l'esprit critique, contre l'uniforme. Quant à Quentin et Cantine, voici (merci rezo).

Guy M. a dit…

Où l'on voit que le candidat commence par le yaourt.

On craint même qu'il n'ait pas mangé autre chose, le pôvre !

Ysabeau a dit…

Effectivement, la meilleure solution aurait consisté à simplement imposer un code vestimentaire aux gamins. Ce qui aurait permis d'éviter le matraquage des marques et leur aurait appris, ce qui est important, qu'en société, en fonction du lieu, du moment et des gens, il y a généralement une tenue plus adaptée que d'autres tout en leur permettant de développer leur personnalité, ce qu'un uniforme ne fait pas. Parce que, effectivement, l'abominable pantalon de survêt aux trois bandes (dorées) qui hurle je coûte cher ça ne passe pas très bien partout, pas plus que le costume cravate d'ailleurs. Et entre les deux il y a une infinité de variantes.

Guy M. a dit…

Oui, les variantes sont aussi le plaisir de la vie...

(Et le serial-frimeur qui voudrait la ramener un peu trop peut très bien se faire moucher par l'un des adultes de l'institution.)