vendredi 9 mars 2012

Une certaine idée de l'Algérie

Immanquablement, d'ici une dizaine de jours, le déroulement de l'actuelle campagne va croiser le calendrier du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie.

Cela sera peut-être l'occasion, pour le candidat Sarkozy, de tenter de racler le fond de cuve électoral pour y repêcher quelques voix nostalgiques et revanchardes.

Pour ce faire, il pourra bénéficier des lumières de son confident-conseiller, monsieur Patrick Buisson, grand spécialiste de cette période.

Le "gourou du président", comme l'appellent certains, a en effet suivi, à l'Université de Nanterre, des études d'histoire. Elles ont été couronnées par la rédaction d'un mémoire de maîtrise sur le mouvement prônant l'Algérie française. Ce travail universitaire avait reçu le patronage de Raoul Girardet, ancien membre de la branche "Action politique et propagande" de l'OAS - Organisation de l'armée secrète -, mais aussi ancien maurassien et ancien résistant.

Après quelques années passées dans l'enseignement, Patrick Buisson se lança dans le journalisme. Son talent s'exprima avec un sombre éclat dans les colonnes de l'hebdomadaire Minute dont il fut correspondant à l'Assemblée nationale, avant d'en prendre la direction. Évincé en 1987, il devint, pour six ans, directeur de la rédaction générale de Valeurs actuelles.


Patrick Buisson, en 1987, lisant la bonne presse.
(Photo AFP.)

De cette période de "journalisme engagé" date un ouvrage au titre dépourvu de toute ambiguïté : O.A.S - Histoire de la résistance française en Algérie, paru en 1984, sous la double signature de Pascal Gauchon et Patrick Buisson, avec une préface du capitaine Pierre Sergent. Ce livre a été édité par Jeune Pied Noir, qui en propose, sans doute depuis des années, les derniers exemplaires :

Par le texte et par l'image vous allez revivre le combat pour l'Algérie française de 1958 à 1962 - Le texte de Pascal Gauchon, professeur agrégé d'histoire, est la première synthèse objective et complète d'un combat de 4 ans, de Jeune Nation à l'O.A.S., du MP 13 au FNF, du FAF au CNR. 190 photos inédites ajoutent leur force expressive au récit - En annexes les plus beaux textes de l'Algérie française : Colonel Bastien-thiry, Antoine Blondin, Jean Brune, Jacqyes Perret, Maître J-L Tixier-Vignancour, Cdt Denoix de Saint-Marc... 168 pages - 5 cartes - Format 230 x 320 - Papier brillant 110 g.

Devenu officiellement politologue-conseil de l’Élysée, notre historien n'a pas vraiment abandonné le sujet de son diplôme, semble-t-il, puisqu'en 2009 il y est revenu avec la publication, chez Albin Michel, de La Guerre d'Algérie 1954-1962. Classé dans la catégorie "Beaux livres", et accompagné d'un DVD, cet ouvrage a reçu une préface de Michel Déon, de l'Académie française. Certains libraires (en ligne), ainsi que la bibliographie de Wikipedia, donnent Hélie Denoix de Saint Marc comme coauteur ; d'autres non... Et le site de l'éditeur ne reconnaît pas comme membre de son écurie littéraire cet ancien parachutiste putschiste qui a été élevé à la dignité de Grand'Croix de la Légion d'honneur, le 28 novembre dernier, par monsieur Nicolas Sarkozy, alors président de la République.

Remise de la Grand'Croix à Hélie Denoix de Saint Marc,
mise en scène sur une idée de Patrick Buisson, L'Express dixit.
(Photo : Reuters.)

Dans sa présentation de ce livre, l'éditeur - à moins que ce ne soit l'auteur lui-même - affiche une certaine idée de l'histoire :

Cinquante ans après, les évènements d’Algérie demeurent très proches du cœur de beaucoup de Français. Du soulèvement de 1954 à l’indépendance de juillet 1962, le drame politique et humain qui s’est joué sur la terre algérienne a laissé bien des cicatrices. On croyait déjà tout connaître de l’implacable enchaînement des faits et puis voici qu’avec cet album le service cinématographique des armées ouvre ses archives. Ces images, pour la plupart inédites, racontent une autre histoire : celle d’un rêve algérien impossible. Elles nous signalent que l’erreur serait de ne voir dans la guerre d’Algérie que l’ultime et tragique épisode d’une ère coloniale en fin de course.

Un autre point de vue a été exprimé dans une tribune qui a été publiée par Le Monde le 22 décembre 2009 et qui n'a pas encore été versée dans les archives réservées - profitons-en. Elle est signée d'un groupe de professeurs d'université - Omar Carlier, Michel Cornaton, Mohammed Harbi, Jean-Charles Jauffret, Gilbert Meynier, André Nouschi et Pierre Sorlin - et s'intitule L'Algérie que rêvait l'armée française.

Incipit :

L'Histoire s'écrit en confrontant des documents d'origine différente, et Patrick Buisson n'avait pas l'intention de faire œuvre d'histoire en publiant ce luxueux album où il ne montre que les photos prises par le Service photographique des armées durant la guerre d'indépendance algérienne. Que dirait-on d'un ouvrage consacré à cette guerre qui serait illustré uniquement avec les photos du FLN (Front de libération nationale) ? Qu'il s'agirait d'apologie, non d'histoire. Rien dans le titre très général ne dit qu'il s'agit d'une vision unilatérale, mais cela était sans doute inutile : l'armée se raconte l'Algérie qu'elle a rêvée, et fait encore post bellum rêver l'auteur.

Explicit :

L'album de Buisson a sa place dans la campagne visant à exalter "l'identité nationale" : coédité par Albin Michel, la chaîne Histoire, le ministère de la défense – l’État –, recommandé sur le site du secrétariat d’État aux anciens combattants – encore l’État –, il s'inscrit dans la privatisation publique. Son esthétisme colonial-guerrier à sens unique vise à décourager la réflexion sur la dimension historique de la colonisation et les causes de son échec.

Cela donne une vision assez explicite du travail de l'historien Patrick Buisson.

2 commentaires:

Marianne a dit…

L'heure est grave et tous les soutiens sont acceptés pour ce couple de gens " ordinaires " domicilié à l'Elysée depuis 2007 et qui souhaiterait tellement prolonger le bail !

Guy M. a dit…

..."tous les soutiens sont acceptés".

Et on est prêt à aller les chercher, avec les dents.