jeudi 29 mars 2012

La mise à mort

L'acte étant en lui-même empreint d'une certaine gravité, il était de tradition de procéder à la mise à mort d'un être humain en y mettant les formes. Inventées ou platement véridiques, les petites histoires de la guillotine nous renseignent sur les délicates attentions dont le condamné à la peine capitale était l'objet.

Il y avait, pour commencer, son réveil avant l'aube, souvent évoqué. Deux ou trois matons expérimentés pénétraient avec célérité dans la cellule, afin de l'en extraire après l'avoir comme il faut entravé. C'est que le bougre pouvait se démener, et les costauds étaient suivis de précieuses personnalités qu'il fallait protéger. Parfois on lui passait la camisole de force, car l'usage voulait, sans doute, qu'on ne cogne pas trop fort. Estourbir l'homme qui devait mourir, et – cela va de soi – l'occire inconsidérément auraient été des fautes professionnelles graves...

Le condamné était emmené, à petits pas, dans les bureaux de la prison, où l'on signait une levée d'écrou. C'est donc un peu contraint mais presque libre qu'il allait pouvoir être décollé. On suppose que cette idée pouvait lui être comme une notable consolation qui s'ajoutait à celles que pouvaient lui prodiguer son avocat et tout ministre du culte à sa convenance...

Dans la plupart des récits, on raconte que l'administration lui accordait un petit verre d'alcool pour la route et une cigarette pour se détendre. Pour la gnôle, il s'agissait, semble-t-il, d'une rasade de rhum, probablement produit dans nos anciennes colonies et/ou nos futurs département ultramarins. On dit que le prisonnier récemment libéré pouvait, à sa demande, être resservi. Selon certains, il poussait parfois l'intempérance jusqu'à vider la bouteille. Mais, face au tabagisme, l'administration se montrait beaucoup moins laxiste, n'autorisant qu'une seconde cigarette, non par peur de voir son condamné être emporté par un foudroyant cancer broncho-pulmonaire, mais par crainte de perdre trop de temps à ces dernières inhalations nicotinées.

Une rapide toilette débarrassait prestement le condamné du col de sa chemise et des mèches de cheveux retombant sur son encolure, et le bourreau n'avait plus qu'à s'appliquer à ne pas massacrer son exécution.

Un point de vue.
(Dessin de Pancho, comme on lit,
prélevé sur l'histgeobox, qu'on peut lire.)


On conviendra que ces pratiques d'une exquise courtoisie sont fort éloignées de la mise à mort d'un condamné par la foule assemblée, ce que l'on présente parfois comme étant la forme originelle de l'exécution capitale, et l'un des actes politiques premiers des groupes humains en cours d'organisation. Progressivement enfouie dans les douceurs de la civilisation, cette scène primitive est restée présente. Les grandes exécutions théâtralisées en place publique où le souverain d'ancien régime conviait son bon peuple en étaient sans doute une réminiscence. Elles avaient en outre l'avantage de pouvoir faire la démonstration du pouvoir qu'il avait de "laisser vivre et faire mourir ses sujets" – pouvoir qui survécut longtemps sous la forme du droit de grâce présidentiel.

En république troisième, la guillotine a continué à être donnée en spectacle jusqu'en 1939. Elle avait été privée de son échafaud par un décret du 25 novembre 1870, mais elle attirait encore les foules. Si le record de quelques 50 000 à 60 000 spectateurs établi sous le second Empire n'a pas été égalé, il s'est trouvé tout de même 40 000 personnes pour assister à l'exécution d'un certain Joseph Martini, à Montpellier, en 1892. Le public, bon enfant, huait ou applaudissait les acteurs, et la République y faisait parade de son inflexibilité devant le crime – car, avec les progrès de la civilisation, la peine de mort était devenue affaire de pure justice.

Certains politiques ne sauront pas se montrer assez inflexibles en ces moments. Ce fut le cas de Georges Clémenceau, lors de l’exécution de l’anarchiste Emile Henry en 1894. Un journaliste de La Libre parole, le journal d’Edouard Drumont, raconte :

Mon voisin a un haut-le-cœur. Blême, il approche un mouchoir de sa bouche. Il chancelle. Des amis le prennent sous le bras, l’emmènent. Ce cœur sensible, c’est Clemenceau.

Durant le débat parlementaire sur l’abolition de la peine de mort qui se tint en 1908 – il n'y en eut pas d'autre avant 1981 -, Maurice Barrès put se gausser de "ce cœur sensible" en se réjouissant que le président du conseil ait jadis renoncé à une carrière médicale.

Il va sans dire qu'un excès de bravoure de la part du condamné posait un autre genre de problème... On lui demandait de mourir en homme, avec courage, mais pas de faire le cabot pour susciter l'admiration du public.

Ce Tigre qui n'aimait pas le sang.
Georges Clémenceau, par Edouard Manet.

Le 24 juin 1939, le président Albert Lebrun signait un décret visant à supprimer complètement l'admission du public aux exécutions capitales "en raison de manifestations regrettables" qui en avaient marqué le déroulement. On y précisait la liste très réduite des assistants autorisés et/ou requis, et on y envisageait même une étroite limitation de l’information :

"Aucune indication, aucun document relatifs à l'exécution autres que le procès-verbal ne pourront être publiés par la voie de la presse, à peine d'une amende de cent à deux mille francs."

Cette décision suivit de peu la publication dans la presse de photographies prises au cours de l'exécution de Eugen Weidmann, guillotiné devant la prison de Versailles, le 17 juin précédent. Une centaine de clichés aurait alors circulé - un film fut même tourné d'un balcon proche du lieu.

Jusqu'à l'abolition de la peine de mort, il ne fut plus jamais question de rendre à nouveau publiques les exécutions capitales, et personne ne proposa de les retransmettre à la télévision...

La dernière exécution publique, Versailles, 17 juin 1939.

Depuis le 9 octobre 1981, date de promulgation de la loi abolissant la peine de mort, la mise à mort d'un individu, eût-il avoué ou revendiqué quasi publiquement les crimes les plus condamnables, n'est plus, en France, un acte de justice.

On peut penser qu'en dehors d'un état de guerre déclarée, l'acte de tuer un homme peut être une simple affaire de police. Par maladresse, et cela relève de la bavure, ou par nécessité, et cela s'autorise de la légitime défense.

Autant dire que l'on peut s'étonner d'entendre un élu saluer un tel acte d'un tonitruant :

"Justice a été faite... et bien faite !"

Déclaration suivie d'un silence de mise à mort...



PS : La plupart des données factuelles ont été tirées d'un site dédié à la guillotine. L'anecdote sur Clémenceau vient d'un article d'Emmanuel Taïeb - qui ouvre bien d'autres perspectives que celle-là...

3 commentaires:

Marianne a dit…

On peut effectivement s'étonner et même dénoncer ce genre de propos . Si seulement cela pouvait les desservir lors des prochaines élections !

Ysabeau a dit…

Évidemment que justice n'a ni été faite, ni, a fortiori, bien faite. En l'espèce, cela ressemble à une exécution sommaire...


Sinon, je dois dire que la fois où j'ai été sur la liste des jurés d'assises, j'ai remercié monsieur Mitterrand, tout mort qu'il était, d'avoir aboli la peine de mort. Parce que, décider de la mort de quelqu'un, c'est une chose terrible.

Guy M. a dit…

@ Marianne,

Il y a un tel déferlement de propos ineptes et ignobles que celui-ci est sans doute déjà oublié...

@ Ysabeau,

Il faut remercier aussi Robert Badinter, sans oublier toutes celles et tous ceux qui sont, durant deux siècles, restés inflexibles pour demander l'abolition de la peine de mort.