lundi 2 janvier 2012

Tous leurs vœux dans le même panier

Je suis évidemment trop vieux pour en garder un souvenir très précis, mais il me semble que les vœux candidataires de janvier 2007 avaient eu un petit côté guilleret que je n'ai pas retrouvé ces jours-ci. Et pourtant s'annonce également une prometteuse "année électorale" comme notre culture démocratique aime à en faire fleurir périodiquement dans le plus fin des terreaux républicains.

Mais, sans être particulièrement bilieux, j'ai trouvé que tous leurs vœux avaient des relents de gueule de bois...

Certes, malgré le défaut de spectacle pyrotechnique et l'absence de Lady Gaga, la fête parisienne fut une belle réussite. Il s'y réunit, nous assure-t-on, 360 000 solitudes, encadrées par 10 000 policiers et secouristes, qui ont pu, dans les beaux quartiers de la capitale, dégueuler à pleins gosiers leur joie d'être encore en vie. Et cela, "dans un climat festif et de totale sérénité", selon la préfecture de police qui s'y entend.

Les membres de l'équipe gouvernementale, on le sait, avaient été appelés à modérer leur soif d'exotisme. Aucun, me semble-t-il, n'a été signalé en compagnie du bon peuple de France réuni sur les Champs-Élysées pour une soirée si bon enfant. Tous ont dû célébrer le changement de millésime dans l'intimité.

A deux exceptions près.

Monsieur Claude "même pas peur" Guéant a été aperçu, durant 28 minutes, à Villers-le-Bel, où, selon Arthur Frayer, journaliste de Le Monde, "on a cru, devant la présence massive de micros et de caméras convoqués pour l'occasion, à une déclaration au sujet du policier conducteur du véhicule qui sera prochainement jugé" (1).

Mais :

De la mort de Moushin et Laramy et de toute cette affaire, il a, pourtant, à peine été question. Claude Guéant, cerné de journalistes, n'a eu que cette phrase sur les événements de 2007 : "Il y a eu un accident dans le passé. Il est symbolique que le ministre de l'intérieur vienne ici."

Tout aussi symbolique, je suppose, la visite dont monsieur Gérard "même pas peur, moi non plus" Longuet a honoré nos troupes stationnées - mais pas que - en Afghanistan. A son arrivée, samedi matin, il a assisté, à l'aéroport de Kaboul, à la levée des corps des deux légionnaires tués le jeudi précédent dans la province de Kapisa, salué "les sacrifices consentis" et "les efforts engagés", et proclamé que "la vocation de la France n'est pas d'être présente indéfiniment sur des théâtres extérieurs".

Il aurait ensuite passé le réveillon aux côtés de nos soldats.

Si elle a été prise au cours de cette soirée, la photographie que l'AFP a vendue aux médias tendrait à montrer qu'elle s'est déroulée "dans un climat festif et de totale sérénité". On pourrait croire que, ressuscitant le Théâtre aux Armées, le ministre s'apprête à pousser la chansonnette...

Peut-être, après tout, a-t-il livré son interprétation personnelle de ce très grand classique du comique troupier qu'est Avec l'ami Bigeard (2).

Mais pourquoi ne pas avoir coiffé un "béret français" ? (3)
(Photo : Joël Saget/AFP.)

Après cette folle nuit de réjouissances, la lecture de la presse en ligne, hier matin, donnait envie de se recoucher vite fait, et si possible en 2011...

J'ai pu résister, vaillamment, à cette tentation en découvrant le très intéressant entretien que Le Parisien a réussi à obtenir de monsieur Luc Ferry, ci-devant ministre de la Jeunesse et de l’Éducation nationale - de 2002 à 2004 -, et actuellement président délégué du Conseil d’analyse de la société. C'est toujours un grand plaisir de lire, à défaut d'écouter, les propos de ce grand philosophe anti-anti-humaniste contemporain que le doute ne semble jamais effleurer. Le voir ainsi revenir, en un premier de l'an, sur le devant d'une scène un peu désertée (4) a été pour moi comme l'annonce d'une aube nouvelle.

Face à Charles de Saint Sauveur, monsieur Luc Ferry a imaginé de se poser en déçu de presque cinq ans de sarkozisme...

A propos des vœux du président, il fait la fine bouche - un exploit pour cette grande gueule philosophique :

Malgré des vœux protecteurs et la promesse de rouvrir quelques chantiers, son bilan reste extraordinairement mince.

Dit-il.

J’ai été déçu, comme tous ceux qui ont voté pour lui.

Dit-il encore.

On peut être étonné d'un tel laconisme chez ce grand bavard un peu bravache, mais ce qui affleure des raisons profondes de cette déception permet, aux âmes aussi sensibles que la mienne, de comprendre.

Lui qui sait parler à l'oreille du président...

Je l’ai dit au président : c’est un problème majeur, car la détestation est personnelle. (Ceci à propos de "la détestation de Nicolas Sarkozy".)

...le président ne l'écoute même pas !

Cela fait deux ans que je dis au président de concevoir un grand projet pour la jeunesse… en vain.

On comprend, on comprend, car les grandes douleurs du désamour sont muettes.

Il n'en dira pas plus.

Notre grand déçu ne sombre pourtant pas dans le plus noir désespoir. Il rêve d'un "gouvernement d'union nationale" :

Moi, j’aimerais Juppé à Bercy, Védrine au Quai d’Orsay, Filippetti ou Migaud aux Affaires sociales, Longuet à l’Intérieur, Cahuzac au Budget… Ces gens-là travailleraient très bien ensemble.

On voit qu'emporté par cette exaltante vision d'avenir, il en oublie un(e) ministre pouvant enfin mettre en œuvre ce "grand projet pour la jeunesse" qui lui tient tant à cœur...

Lui-même ?

Que non, il "préfère un million de fois plus écrire des livres"...

Tant mieux...



(1) Pour qu'on comprenne bien, le rédacteur de l'articulet du Monde avait rappelé à ces oublieux lecteurs que

En novembre 2007, deux jeunes avaient trouvé la mort dans un accident de moto, percutés par une voiture de police. Deux jours de très violents affrontements s'en étaient suivis, faisant une centaine de blessés chez les forces de l'ordre.

(2) Ooops ! Un renvoi de pétillant Vermot. Le ferait plus, promis...

(3) "La casquette, c’est bon pour les ouvriers, le chapeau, c’est pas pratique, tandis que le béret, c’est simple, c’est chic, c’est coquet !", Prévert frères, L'affaire est dans le sac, 1932. Cela peut se voir à la fin de la vidéo postée sur le blogue Actualités 34.

(4) Curieusement, le chapeau introductif de l'article nous avertit, comme pour expliquer l'incongruité de sa présence, que "Luc Ferry aura 61 ans mardi"... On est ravi pour lui, c'est un bel âge...

5 commentaires:

Justin Bessou a dit…

"Je suis évidemment trop vieux", dites-vous.J'sais pas dans quel état vos êtes; mais avoir pris de la hauteur avec la poésie verticale de Juarroz (cf votre texte du 31 XII 11) et atterrir auprès de ces personnages "même-pas-peur" peut représenter quelques risques, genre luxation de neurones: non?...Enfin, c'est juste un conseil pour votre santé!
... Toujours assez surpris de voir citer Juarroz.Trop méconnu.Certains de ses poèmes me poursuivent depuis longtemps: "Aujourd'hui je n'ai rien fait./ Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.//Des oiseaux qui n'existent pas/ont trouvé leur nid./Des ombres qui peut-être existent/ont rencontré leurs corps./Des paroles qui existent ont rencontré leur silence.// Ne rien faire sauve parfois l'équilibre du monde,/en obtenant que quelque chose pèse/ sur le plateau vide de la balance" (in 13° poésie verticale, chez Corti)...Il y a aussi, entre autres, cette postface à "voces"... d'Antonio Porchia...
... Salut et paix.
PS: apprécié certains textes de votre blog (je découvre)qui mériterait plus de fréquentation (estimée sur la base des réactions trop peu nombreuses).
===

Guy M. a dit…

Il est assez naturel qu'à mon âge - celui, précisément, de mon quasi exact contemporain Luc Ferry -, les chutes dans l'escalier deviennent un sujet d'inquiétude...

Cependant je m'efforce de tenir bon la rampe.

(Mais il est bien difficile de rester à l'étage où se situe la poésie de Juarroz !)

emcee a dit…

"... apprécié certains textes de votre blog (je découvre)qui mériterait plus de fréquentation":
Mais, si, on est là! c'est simplement que les billets de Guy se passent souvent de commentaires ;-)
Bonne année à toi, Guy, et à tes (innombrables) lecteurs/trices.
Gardons le cap, malgré les tempêtes.

Marianne a dit…

Je suis d'accord mériterait plus de lecteurs , peut être sommes nous nombreux ? sauf que pour les commentaires pas évident de gravir l'escalier , les marches sont hautes !

Guy M. a dit…

@ emcee,

D'après gougueule analitixe, que je consulte régulièrement, je bénéficie d'un lectorat très estimable - au moins l'estimé-je beaucoup.

Bonne année itou, c'est pas encore la fin du monde.

@ Marianne,

Pour les statistiques, je suis plutôt du genre Sam Suffit. Quant au commentaires, s'il y en avait 420, qui les lirait ? La quantité ne compense jamais la qualité...